David vs Goliath
The International : un film de Tom Tykwer (2009), avec Clive Owen & Naomi Watts
Résumé : Louis Salinger, agent spécial d’Interpol, est à Berlin où un de ses acolytes est sur le point d’obtenir des renseignements cruciaux concernant l’implication de l’IBBC, grande banque internationale basée au Luxembourg, dans un trafic d’armes. Mais son collègue meurt juste avant de le rejoindre, apparemment d’une crise cardiaque. Salinger, persuadé qu’il a été assassiné comme tous ceux qui se sont frottés à cette entreprise aux liens douteux avec le crime organisé, persuade Eleanor Whitman, sa supérieure, de l’aider à poursuivre son enquête, même si les indices s’avèrent minces et l’influence de la banque extrêmement néfaste…
Disons-le tout de go : je ne voulais pas le voir. En tout cas , pas au cinéma. Un concours de circonstances, un de plus, a présidé à ma présence dans la salle plutôt bien remplie. Dernier jour du Printemps du cinéma, dernier soir plutôt : une séance de rattrapage en quelque sorte.
La bande annonce ne m’avait pas accroché : l’image froide et le contexte ne parvenaient pas à me persuader à y assister, malgré la présence de Clive Owen, que je (re)découvre chaque fois avec encore plus d’émerveillement. Ce bonhomme, que je n’ai d’abord connu qu’à travers un nom prononcé dans une liste de prétendants au rôle de Bond (James, alias 007, vous connaissez ?), juste avant qu’il n’échoit, à la surprise générale, à un Daniel Craig qui saura faire taire la plupart des détracteurs précoces, ce bonhomme, disais-je, avait su m’époustoufler dans les Fils de l’Homme où il promenait sa silhouette de héros fatigué et ses yeux de séducteur circonspect dans un contexte de fin du monde filmé par une caméra surdouée. Son segment dans Sin City faisait également partie des moments les plus réussis de ce film contestable. Owen qui se construit doucement une image flatteuse dans des rôles où son physique avantageux n’est pourtant pas le premier atout.
J’oubliais malgré tout Naomi Watts qu’il serait malséant de taxer d’invisible tant elle sait s’investir dans des rôles même mineurs.
A 3.50€ la séance, en lieu et place d’un Harvey Milk déprogrammé, il n’en fallait pas davantage – comme quoi, des noms sur une affiche demeurent des arguments tout à fait valables au moment du choix.
Et le spectacle en valait la chandelle. Sans temps mort, avec un sens aigu du découpage, le réalisateur culotté du Parfum nous balade dans des lieux particuliers, de la gare de Berlin au lac de Garde, en passant par une ruelle du vieux Lyon, le siège d’Interpol, Milan, Istanbul et sa Mosquée bleue, Manhattan et surtout l’intérieur du musée Guggenheim qui sert de scène monumentale à un long gunfight, violent et d’une rare intensité. Salinger, constamment dépassé par les événements et freiné par des pressions venant de très haut, ne lâche pas le morceau, alimentant sa hargne et sa pugnacité d’une énergie qui semble inépuisable, même si ce justicier semble souvent à bout, d’avoir trop tiré sur la corde et essuyé les plâtres. Un héros très américain, qui sait que, parfois, il ne peut compter que sur lui et qui, face à l’adversité, n’abandonne pas. Jamais. Un homme à principes, bien qu’il y ait là dessous la volonté de réparer quelques torts dont il se sent plus ou moins directement coupable. Certes, sa vie personnelle a été sacrifiée : du coup, contrairement à son associée qui a un enfant et un mari, il est capable d’aller très loin.
S‘il ne peut lutter à armes égales avec l’institution tentaculaire qu’il est aisé de détester – tant elle stigmatise la haine de ceux que la crise actuelle bafoue sans vergogne – il a des appuis qui s’avèrent précieux : des hommes en fait, reconnaissants et compétents, et qui lui font confiance. C’est d’ailleurs régulièrement sur cette dualité là que se joue le jeu dangereux qu’il ne peut pas gagner sur le papier : une société disposant de moyens dignes d’un état et qui ne recule devant aucune turpitude, éliminant avec soin les gêneurs, et un homme soutenu par d’autres individus, qui sait qu’à un moment ou un autre il sera à son tour la cible des tueurs qui protègent l’IBBC. Sa mémoire et sa persévérance lui permettront d’avancer et de détecter des failles dans l’imposant système qui avait pourtant réussi à déjouer les ambitions de ceux qui l’avaient précédé. Puisque quelqu’un, à la solde de la banque, semble supprimer les inopportuns, autant remonter la piste du tueur. D’autant que des éléments épars finissent par lui apprendre qu’il s’agit toujours du même…
Sometimes you find your destiny on the road you took to avoid it.
prononcé par Wilhelm Wexler
Sur un rythme narratif soutenu et malgré des dialogues assez convenus, Tykwer parvient à distiller une ambiance oppressante au travers d’une partition extrêmement efficace bien que discrète, plus lancinante que démonstrative, ce qui lui évite le piège d’un montage trop nerveux et lui permet de privilégier l’ambiance et la tension nerveuse à l’action hypertrophiée. Pourtant, et comme en un passage obligé, on a droit aux 2/3 à une fusillade qui, niant le spectaculaire importé d’Asie, sait se montrer hypnotique et intense : pas de ralenti ni d’effets de caméras, mais des cadrages efficaces et un rythme tendu.
Au final, on repart avec la sensation d’une bonne séance, bien pleine, même si on peut déplorer une fin en demi-teinte semblant démontrer l’importance des enjeux et le peu d’impact des événements : une fin qui ne sied pas à l’ambition reconnue du metteur en scène, comme si soudain il s’était retenu, ne sachant quelle conclusion privilégier. A bien y réfléchir, il faut bien avouer qu’il y avait peu d’options satisfaisantes et que des combats aussi déséquilibrés sont légion au cinéma. L’actualité rattrape donc, bien opportunément, les faits exposés qui n’apparaissent, rétrospectivement, que comme une péripétie dans un monde décidément bien éloigné de la portée des individus : le fait que certains plans aient été retournés pour que le film sorte plus tard que prévu (et s’ajuste alors à la crise mondiale) et s’adjoigne un peu plus d’action que dans le script initial montre bien que le propos était plus intellectualisé au départ. Mais il se serait peut-être un peu trop rapproché d’un Lord of war trop facile et sans envergure.