La Reine Adjani & ses sujets
Un film franco-belge de Jean –Paul Lilienfeld (2009), avec Isabelle Adjani & Denys Podalydès
Résumé : Dans un collège situé dans une zone difficile, Sophie Bergerac, une prof présentée comme « psychorigide » par certains de ses pairs (qui la taxent même de raciste), rassemble ses élèves pour un cours de français sur Molière qui sera donné dans la salle des fêtes. Malheureusement, ces derniers lui en font voir de toutes les couleurs et elle a bien du mal à obtenir un semblant de calme, jusqu’à ce qu’elle surprenne deux de ses collégiens se disputer à propos d’un sac. Sac qui, dans la confusion qui s’ensuit, laisse échapper son contenu : un pistolet automatique. S’en emparant, Sophie laissera libre cours à des années de frustrations et de vexations et obtiendra le silence désiré dans une classe désormais prise en otage. A l’extérieur, sa seule amie prie pour qu’il n’arrive rien de grave et accuse le proviseur et l’Inspection de ne jamais l’avoir soutenue. Quand arrive un négociateur du GIGN qui comprend bien qu’il faudra au plus vite débloquer la situation, susceptible, d’après la ministre de l’Education nationale, d’engendrer dans le quartier une crise sans précédent…
Affublé d’un titre dont le ridicule suscite le questionnement, la Journée de la jupe intrigue dès le départ et les quelques images présentées dans la bande annonce : images sales, cadrage serré façon reportage, décors pauvres, voici qui cadrait mal avec ce qui s’annonçait pourtant comme le grand retour de la reine Isabelle. Oui, voilà, le nom est lancé : Adjani. A elle seule, tout un programme. Comédienne hors pair, à nulle autre pareille, qui sait révéler des trésors insoupçonnables d’émotion paroxystique au point qu’on la dirait possédée, habitée à sa manière par des rôles marquants, toujours forts, qui la font illuminer la pellicule et exploser l’écran de nos nuits blanches. Difficile en effet de l’oublier, hypnotique, dans le très troublant Possession de Zulawski, hiératique dans le très sanglant la Reine Margot de Chéreau, magnifique dans le très tentant l’Eté meurtrier de Becker. Adjani, que l’excellent site de l’IMDb (Internet Movie Database) présente comme :
one of the most talented and accomplished actresses in the history of French and world cinema
dans une mini-biographie très complète de John C. Hopwood.
Talentueuse. Tant qu’on la trouve parfois excessive dans ses éclats, elle qui interprète la folie comme personne. Bien que boudée en son temps par les journalistes (qui lui font maintenant des ponts d’or pour ne serait-ce qu’un signe de tête de sa part), elle n’a jamais vraiment quitté le cœur des Français, d’autant que les chaînes de télévision savent programmer régulièrement certains de ses plus grands succès, de la Gifle à Camille Claudel, spéculant sur l’aura de celle qui détient toujours le plus grand nombre de César d’interprétation (quatre au total). On oublie vite, ou on pardonne ses choix de film post-1990 : Toxic Affair était un ratage quasi-total, ni véritable comédie, ni drame convaincant et on ne retiendra du poussif Diaboliques que la bonne entente qui s’est maintenue avec Sharon Stone.
Un (énième) retour à l’écran ne pouvait qu’attirer les curiosités, dans un film dont le scénario lui a été présenté par Smaïn comme étant un rôle pour elle. Las, les aléas de la production transformèrent le tournage et le destinèrent davantage pour la télévision que pour le cinéma. Heureusement pour son avenir, le chaleureux accueil qui lui fut réservé lors d’un récent festival (à la Rochelle, soit 5 mois avant la Berlinale) devait lui ouvrir des portes qu’on croyait définitivement refermées.
Qu’en est-il alors ?
A vrai dire, il s’agit d’un métrage assez difficile à commenter. Tout, de l’interprétation au sujet, en passant par les thèmes abordés, oscille entre les clichés et le culot. Les jeunes comédiens, Sonia Amori mise à part, semblent réciter des textes qui sonnent comme autant de lieux communs, constamment ponctués d’interjections et d’expressions qui font « jeune ». Pourtant, à bien y réfléchir, les ados d’aujourd’hui ne parlent pas autrement. L’exagération manifeste de la locution et de la gestuelle qui apparaît à la projection s’efface lorsqu’on la compare aux situations bien réelles qu’on peut être amené à vivre dans des quartiers aussi sensibles que celui dans lequel est censé avoir été tournée cette fiction. Il y a peu, j’étais convoqué (bien malgré moi) dans le bureau d’un principal pour témoigner à propos de l’attitude de certains élèves de 4e qui étaient venus au CDI perturber le travail de mes CM2 invités à réaliser des affiches avec la complicité d’une classe de 6e. J’ai eu face à moi trois individus finalement assez proche des sauvageons dont on nous bassine le manque de savoir-vivre, touchants dans leur sincérité maladroite à s’excuser, là aussi comme s’ils jouaient leur propre rôle dans une production de Besson. Adjani et Podalydès en tête, mais aussi l’inénarrable Jackie Berroyer (en principal dépassé par les événements, qui préfère au final s’en laver les mains) ou encore Anne Girouard (bien loin de la naïve Guenièvre de Kaamelott) proposent des jeux nettement plus nuancés et riches : sont-ils plus réalistes pour autant ? En tout cas, Isabelle Adjani étincelle, mariant la dérision comme la panique, les confidences comme les insultes avec un savoir-faire rare : son personnage, constamment sur le fil du rasoir, passe par tous les stades du « pétage de plomb » qui menace les enseignants de ce genre d’établissements.
Et l’intrigue, au départ assez facile et prévisible, bascule insidieusement en abordant de très nombreux thèmes difficiles touchant les filles et les garçons des communautés plus ou moins bien intégrées dans la culture française (la drogue, le respect, le SIDA, les bandes organisées, le statut des femmes, la religion et la politique à l’école) : dans ce huis clos scandé par les interventions souvent vaines du négociateur (dont les problèmes de couple arrivent un peu artificiellement) et les prises de décisions contestables de la ministre, on ne sait bientôt plus qui prend qui en otage. La situation dérape, échappe et glisse entre les doigts de ceux qui croyaient la contrôler : les jeunes prennent les choses en mains, avant d’abandonner l’autorité à l’adulte qui, elle-même, ne paraît plus pouvoir trouver de solution. Il y aura des sacrifices et de nombreux perdants ainsi que quelques accusations plus subtiles qu’elles n’y paraissent.
Film amer et un peu maladroit, désespéré mais lucide, promenant son désenchantement et ses désillusions tout en semblant croire en un avenir lointain un brin meilleur – à condition que tous y prennent une part active. Pas gagné d’avance.