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Le 4 février dernier, Carole Zalberg a publié son sixième ouvrage, Et qu'on m'emporte. Il s'agit du second volet de sa Trilogie des tombeaux, entamée en 2008 avec La mère horizontale.
Ce premier tome présentait déjà fort bien les personnages : Fleur, sa mère Sabine, la Grand-Mère Emma, ainsi que l'arrière grand-mère ... . Il est question ici d'essayer de transcrire toute la complexité des rapports mère/fille. Cette filiation en particulier apparaît douloureuse pour les quatre générations présentées. Seule la souffrance est transmise intacte, même si chaque génération représente une époque, un mode de vie, un sacrifice.
Carole Zalberg atteint au fil du temps, et dans cette trilogie en particulier une maîtrise des voix et des regards. C'est ce qui donne à ses personnages toute la richesse psychologique dont le roman a besoin pour illustrer pleinement le mal matriciel, ce cercle infernal des utérus à la fois condamnés par leur épanouissement et frustrés par l’accomplissement.
Chacune des femmes remonte donc aux sources des souffrances, à l'origine des inaptitudes à l'amour, des incapacités à assumer, élever. Chacune interroge la mémoire, ou ce qu'il en reste, et dresse un bilan de toute la douleur accumulée.
Cette mémoire avait déjà été convoquée dans deux de ses ouvrages précédents : dans Léa et les voix, Antoine sort de son marais (la maladie d'Alzeihmer) pour discuter mentalement avec sa petite fille ; dans les Mémoires d'un arbre, un grand chêne raconte toutes les scènes marquantes dont il a pu être témoin, victime, ou acteur malgré lui. Il semble que ce soit un thème essentiel, l’une des pièces d’un édifice qui se construit et aide à construire l’œuvre, en même temps que la vie : car la vie est constituée de ce va-et-vient éternel entre passé, présent et avenir, où nulle donnée ne peut être écartée. Le jeu des regards, des points de vue, et la mémoire sont parfois convoqués dans des moments difficiles, des moments où le corps n’obéit plus à l’âme qui l’habite. C’est le cas d’Antoine, d’Emma. Le plaisir n’existe plus, et pour les personnages de Carole Zalberg, c’est une douleur. Car si l’âme doit être dressée, et combattre, le corps n’écoute pas toujours la consigne. C’est un peu l’image que l’on retient de ce grand chêne, qui ne peut que subir ou ressentir, sans jamais pouvoir intervenir.
Lili, dans Mort et vie de Lili Riviera, transformera ce corps non pour le rendre plus beau, mais au contraire pour faire d’elle-même le symbole personnifié de cette société monstrueuse dans laquelle elle évolue, et qui réclame précisément d’elle qu’elle achève ses vertus dans un dernier sanglot à l’aube de l’agonie. Ainsi, autrefois objet d’admiration, son corps deviendra objet de dégoût, et de condamnation. Le corps trahit ou est trahi, et cette perte de l’instrument du plaisir provoque chaque fois une remise en question, qui peut aller jusqu’à la mort. D’ailleurs, chez la mauvaise mère tout juste capable d’aimer son enfant, la maternité n’est-elle pas précisément cette trahison du corps qui bouscule l’être au plus profond ?
Carole Zalberg a le talent immense de pouvoir transformer la vie en fiction, faire d’une vérité romanesque un roman véritable, une histoire authentique. Dans ses romans jeunesse, très appréciés par nos jeunes lecteurs (Le jour où Lania est partie a été plébiscité plusieurs fois par les enfants, remporté de nombreux prix), il est toujours question de transmettre quelque chose à l’enfant. Lania est victime de l’esclavage moderne, et cette histoire touche le jeune lecteur sans recourir au drame ou à la violence. Il s’agit là de toucher la conscience sans la braquer. Dans Mon père, ce héros, la jeune héroïne parle de l’éloignement de son père, médecin du monde. Carole Zalberg réussit le pari de faire entrer les enfants dans le monde des adultes, par les préoccupations qui leurs sont communes, sans douleur ni catastrophisme.
Aussi, on réalise que le plus grand pouvoir de l’auteur est cette idée de transmission, de don. Son caméléonisme lui permet de transmettre des valeurs essentielles sur tous les terrains. Carole Zalberg a ce besoin de donner, de prêter, de dialoguer, comme lorsqu'elle donne ses mots au chanteur compositeur Berthier, ou sa poésie au talentueux photographe Gilbert Brun. Il y a comme un besoin d'apaiser, de soigner chez Carole : car dire, c'est déjà moins consentir au mal. L'explorer, le fouiller, le comprendre c'est déjà rechercher le moyen de s'en débarrasser. On peut penser que son pire cauchemar serait d'être précisément cet arbre qui dit « J'étais là, en tout cas, éternel témoin qu'aucun d'eux ne savait entendre. 1».
1. Expo photo avec G. Brun, cliché n°20.
La mère horizontale et Et qu'on m'emporte : Albin Michel
Le jour où Lania est partie : Nathan poche
Mort et vie de Lili Riviera et Chez eux : PHébus
Les mémoires d'un arbre : Le cherche midi.