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Le langage social des émotions

Publié le 28 mars 2009 par Anonymeses

Le langage social des émotions Le langage social des émotions. Études sur les rapports aux corps et à la santé. Un ouvrage dirigé par Fabrice Fernandez, Samuel Lézé et Hélène Marche (Economica Anthropos, 2008)


Le langage social des émotions est un ouvrage collectif qui a pour ambition de proposer une alternative au paradigme sociologique dominant dans le domaine de la santé. A partir d'études de cas circonscrites et diversifiées, relatives à la gestion de la santé, depuis la prise en charge de malades du cancer, de la psychose ou de personnes âgées, il s'agit pour les auteurs qui contribuent à ce collectif de décrire la production et la construction sociale des émotions. Quels rôles jouent les émotions dans le monde de la santé ? Dans quelles conditions sont-elles mobilisées ou valorisées ? C'est l'analyse du travail émotionnel produite par les profanes et les professionnels au cours de leurs interactions, qui est choisie comme voie d'entrée dans l'étude de la construction sociale des émotions. L'hypothèse qui guide l'ouvrage est celle selon laquelle l'activité émotionnelle constitue un véritable travail, puisqu'elle « exige un temps d'accomplissement pour constituer une dimension spécifique de la relation à autrui »[1] Dans l'univers des soins, le travail émotionnel comprend à la fois le contrôle par le soignant de ses propres émotions et la volonté d'induire chez le patient des émotions servant au travail de soins.

L'ouvrage s'organise en deux grandes parties qui rassemblent un ensemble de contributions sous une même thématique. La première partie traite de la « mise en forme des émotions » dans l'organisation du système de soins. La seconde partie s'intéresse davantage aux modalités d'évaluation et de désignation des émotions, lors du travail émotionnel. Il s'agit de réfléchir à l'objectivation des états émotionnels. Nous nous proposons de revenir brièvement sur l'ensemble des participations à l'ouvrage afin d'indiquer les lignes directrices de chacune des analyses.

La contribution de Marcel Drulhe par laquelle débute l'ouvrage, intitulée « Le travail émotionnel à l'épreuve de la transformation du système de soins » pose le contexte nécessaire à la réflexion actuelle sur les émotions dans le travail de soins. Travail de contextualisation nécessaire, parce le système de santé est confronté à une mutation profonde ; celle-ci consiste en une rationalisation de l'organisation du système de soins pour aboutir à des pratiques soignantes productives et efficaces. L'auteur s'interroge sur les reconfigurations du travail émotionnel qu'imposent dans cette transformation de la division du travail des soins et des normes.

Geneviève Cresson et Michel Castra proposent dans leur contribution, intitulée « Emotions et sentiments dans le travail de soin professionnel et profane », à partir d'une approche comparée de leurs travaux respectifs sur les parents impliqués dans la prise en charge de l'enfant atteint de mucoviscidose[2] et sur les professionnels exerçant en soins palliatifs[3] de comparer les expériences émotionnelles des deux catégories d'acteurs étudiées. Les récits des professionnels exerçant dans des unités de soins palliatifs et ceux des parents d'enfants mucoviscidosiques montrent comment des évènements émotionnellement forts entraînent une redéfinition des pratiques, suite à la rupture biographique engendrée avec la rencontre de la mort. Pour les professionnels des unités de soins palliatifs, la tonalité émotionnelle des expériences de soins est souvent considérée comme l'élément déclencheur d'une conversion à une conception plus humaine de la médecine, pour les parents d'enfants malades, c'est le rôle parental en lui-même et l'attachement à l'enfant qui se trouve questionnés.

Marc Loriol et Sandrine Caroly, mettent en avant les enjeux du contrôle des émotions au travail dans leur contribution « Le contrôle des émotions au travail. Le cas des infirmières hospitalières et des policiers de la voie publique » grâce à une analyse comparée du travail émotionnel au sein de deux professions, relativement typées du point de vue du genre, au sein desquelles le contrôle des émotions est présenté comme une compétence centrale du métier.

Hélène Marche dans « Le travail émotionnel et l'expérience du cancer. Un détour par les usages sociaux du rire » étudie les différents usages sociaux de l'humour à la fois par des malades du cancer et dans le travail des professionnels soignants. L'usage de l'humour dans le contexte d'une maladie grave consiste en une activité communicationnelle visant la normalisation du stigmate que représente le fait d'être atteint par le cancer. Il fonctionne à la fois comme tactique relationnelle entre soignants et soignés afin de détendre le patient au moment des soins par exemple, et comme tactique d'évacuation des émotions négatives (honte ou pénibilité de la douleur) du patient.

Julien Bernard dans « Emotions et interactions dans les pompes funèbres. Les ambivalences de l'intéressement » analyse le travail sur les émotions auquel sont contraints les agents des entreprises funéraires. Judith Wolf dans « De la négation à la revalorisation. Quelques enjeux de la prise en charge des émotions en chambre mortuaire », mène au moyen d'une approche ethnographique, une réflexion sur l'évolution de la place des émotions dans le travail en chambre mortuaire.

Catherine Mercadier s'efforce dans « Hôpital silence ! Le travail émotionnel des soignants » de mettre à jour l'impact émotionnel toujours présent dans le travail soignant malgré les exigences de maîtrise des émotions et de comprendre le travail de contrôle de celles-ci auquel contribue l'écriture professionnelle.

Gérard Rimbert, dans « Tour de vaisselle et compassion. L'implication des bénévoles dans un dispositif de séjour pour personnes âgées » s'intéresse à la logique curative de l'accompagnement émotionnel des personnes âgées isolées.

La contribution de Samuel Lézé titrée « Réfléchir l'écho psychotique. Notes sur l'usage de la psychanalyse dans un hôpital de jour pour adolescents » questionne les méthodes de l'accompagnement émotionnel dans l'activité thérapeutique d'un hôpital de jour pour adolescents.

A partir de l'observation d'une cellule d'urgence médico-psychologique à Cuxac d'Aude, touché par les inondations de 1999, Julien Langumier dans « Soutien psychologique et culture du risque. Deux réponses institutionnelles contraires face aux émotions de la catastrophe » sonde les catégories d'interprétation de la souffrance des sinistrés entre reconnaissance du statut de victimes et responsabilisation des habitants de zones inondables.

Fabrice Fernandez dans « Dépasser les mots. Etude sur le pouvoir des émotions au sein d'une fraternité de dépendants » rend compte d'une soirée passée avec les Narcotiques Anonymes, association développant un cadre d'entraide pour arrêter la consommation de drogues, à travers une mise en scène d'un journal de terrain. Cette présentation est l'occasion pour le chercheur de s'interroger sur la place des émotions dans un travail de recherche, mais également de travailler sur le rôle du partage des émotions dans les groupes de travail de l'association.

Yannick Jaffré dans « La mise en texte. Approche anthropologique des décès d'enfants dans quelques autobiographies contemporaines » analyse la mise en texte de cinq essais narratifs ayant trait à la mort d'un proche, travaillant à mettre en évidence la manière contemporaine de dire la mort d'un proche.

Au total, Le langage social des émotions est un ouvrage riche en perspectives. Les contributions, assez nombreuses, bénéficient toutes d'un format court et dense, qui fait de l'ensemble un ouvrage facilement lisible. Les manières socialement différenciées d'exprimer des émotions, de les réprimer... auraient pu être plus analysées dans cet ouvrage, qui fait un peu fi des références aux appartenances sociales des enquêtés.

Par Frédérique


[1] Drulhe, « Le travail émotionnel dans la relation soignante professionnelle, un point de vue au carrefour du travail infirmier », in Cresson, Scheweyer (dir), Professions et institutions de santé face à l'organisation du travail, Rennes, Editions ENSP, 2000

[2] Cresson, Geneviève, Les parents d'enfants hospitalisés à domicile. Leur participation aux soins, Paris, L'Harmattan, Coll « Logiques sociales », 2000

[3] Castra, Michel, Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs, Paris, Puf, Coll « Le lien social », 2003


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