Nouveau sondage, auquel j'ai comme la dernière fois attendu la centième réponse pour l'arrêter.
Il s'agissait donc de dire s'il faut ou non abolir le monopole scolaire de l'Éducation nationale. Cette question en impliquait une seconde. Non seulement, pour les 55 % qui ont répondu « oui », s'agit-il d'autoriser ce qui l'est déjà, à savoir l'enseignement privé, mais aussi de le mettre sur un pied d'égalité avec l'enseignement public en matière de financement. Ainsi, une famille qui placerait ses enfants dans l'enseignement privé pourrait, si la liberté scolaire était garantie en France, récupérer l'argent qu'elle consacre habituellement à l'Éducation nationale (premier poste budgétaire de l'État) et le réaffecter à un établissement véritablement privé : contrairement au « privé sous contrat », dont les enseignants sont rémunérés... par l'État, les établissements privés, dans une situation de liberté scolaire effective, rémunéreraient leurs enseignants grâce aux droits de scolarité versés par les parents.
C'est à une telle évolution qu'appelait implicitement Philippe Nemo en conclusion aux Deux Républiques françaises. Plutôt qu'une « privatisation radicale de l’Éducation nationale » que je prônais au terme de ma recension, peut-être faut-il envisager une voie médiane, qui assurerait non le caractère privé de l'instruction, mais du moins une véritable concurrence éducative.
Vers la concurrence éducative
Cette voie médiane est le « chèque-éducation ». Celui-ci consisterait en une déduction d'impôt octroyée par l'État en échange du paiement des frais de scolarité à un établissement privé. Il permettrait ainsi aux familles de placer leurs enfants dans l'établissement de leur choix, mais aussi d'exercer une saine concurrence sur l'Éducation nationale qui, voyant nombre d'élèves échapper à son emprise, serait bien forcée de se réformer, ou plutôt d'accepter les réformes mises en place par son ministère de tutelle. Le chèque-éducation serait une mesure éminemment égalitaire, puisqu'il garantirait à chaque mineur une éducation de qualité, certifiée par un office ministériel. Pour être totale, cette petite révolution scolaire nécessiterait également l'abolition du monopole public de la collation des grades, qui place aujourd'hui les facultés catholiques sous la tutelle des universités publiques.
Pour l'heure, cette réforme n'est pas près de voir le jour en France, l'enseignement dit privé étant toujours soumis aux programmes de l'Éducation nationale, et le véritable enseignement privé, hors contrat, n'étant pas accessible à des familles qui doivent déjà, comme les autres, s'acquitter de la part de leurs impôts consacrée à financer l'Éducation nationale. Cette situation est proprement discriminatoire, et il est étonnant que presque seuls des partis et associations comme Alternative libérale, Liberté Chérie ou encore comme SOS-Éducation proposent l'instauration du chèque-éducation dans leurs programmes et revendications. Même l'UMP, sur laquelle se portent pourtant la grande majorité des suffrages catholiques, ne l'envisage pas, proposant seulement d'aménager une carte scolaire qu'il faudrait simplement supprimer.
Qualité, mixité et liberté
Qu'attendre du chèque-éducation ? D'abord un surcroît de qualité dû à l'émulation entre les établissements, et donc entre les enseignants, puisque les familles cautionneraient ou bien sanctionneraient une école en fonction de ses résultats.
Pour éviter l'apparition, ou plutôt la réapparition, d'un système scolaire à deux vitesses, il faudrait s'assurer que le montant moyen du chèque-éducation permette de financer une scolarité de base. L'office ministériel en question devrait y veiller.
Le deuxième bienfait du chèque-éducation est, par la suppression de la carte scolaire, de favoriser une plus grande mixité sociale, et donc aussi une meilleure intégration.
Enfin, l'abolition des programmes uniques permettrait aux enfants placés dans le privé d'échapper à la mainmise d'idéologues dont les méthodes pédagogiques tout autant, ce dont on parle moins, que leurs options politiques et philosophiques, ont largement contribué au désastre éducatif que personne, pas même les syndicats d'enseignants, n'ose plus nier. Pour les enfants restés dans le public, il est à espérer que la libéralisation scolaire aurait un effet analogue à l'ouverture des frontières de l'Allemagne de l'Est : l'extinction du « Mammouth ».
Conditions sine qua non
Au risque de faire hurler au protectionnisme mes amis libéraux anglo-saxolâtres, je préconise toutefois que seuls les établissements dispensant leur formation en français reçoivent l'agrément ministériel pour percevoir les chèques-éducation des familles.
La cohésion linguistique d'une société est en effet indispensable non seulement à l'égalité entre les citoyens, mais aussi à leur liberté, puisque la concorde sociale, garante des libertés publiques, ne saurait être assurée dans une « Tour de Babel ».
De la même manière, l'habilitation ministérielle ne devrait être accordée qu'à des établissements respectant les valeurs de la République, entendue ici comme le corpus des idéaux qui fondent l'État de droit et la démocratie libérale : liberté intellectuelle et scientifique, tolérance religieuse, primat de la raison, etc.
Ainsi, les établissements scolaires régis par des sectes ou des mouvances religieuses intégristes ne pourraient pas se voir verser les chèques-éducation des familles.
Le chèque-éducation : une mesure coûteuse ?
La principale objection que je reçois des opposants au chèque-éducation est le surcroît de prix qu'il engendrerait. Cela ne manque pas de sel, dans un pays où une majorité relative des recettes fiscales est allouée à l'éducation : si vraiment, ce sur quoi je suis d'accord avec ces mêmes opposants, l'instruction des enfants est capitale, l'argument du prix ne devrait venir que dans un second temps. Il faut d'abord déterminer si les ressources consacrées à l'éducation ne seraient pas mieux investies dans des établissements responsables puisque placés dans une situation de concurrence, et s'il ne vaut mieux pas, plutôt que de payer cher une éducation dont les résultats sont désastreux, payer éventuellement plus cher une éducation de meilleure qualité. Dans les deux cas, monopole scolaire public et liberté scolaire privée, le coût de l'éducation est élevé, chose normale pour un domaine aussi crucial.
Mais seul le second permet aux familles de conserver leur liberté en matière éducative.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.