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Le petit Sun Tzu illustré

Publié le 29 mars 2009 par Boustoune


En l'an 208, sous la dynastie Han, la Chine est divisée en plusieurs royaumes, dans une stabilité très relative. Cao Cao, un général particulièrement belliqueux et ambitieux, devenu premier ministre, réussit à persuader l'empereur de mener la guerre contre les suzerains supposés déloyaux. Après avoir conquis tous les territoires du nord, il décide de continuer sa croisade mégalomane (oui, il est chaud Cao Cao... ) en cherchant querelle aux deux royaumes restants, celui de Lu-Bei, au sud-ouest, et celui de Sun Quan, au sud-est. Avec ses 800000 soldats contre les quelques 50000 hommes défendant les deux provinces, le combat semble plié d'avance. Mais, comme vont le prouver les leaders des deux royaumes menacés, l'union fait la force, et Cao Cao risque fort de repartir chocolat de sa folle tentative de conquête...
Les 3 royaumes - 6 
Je sais ce que vous vous dites. Déjà, qu'il faut que j'arrête les jeux de mots débiles sur Cao Cao. Ensuite, que Les 3 royaumes est encore d'un de ces films compliqués sur les alliances et trahisons entre provinces de la Chine féodale, où on peine à comprendre qui est qui...
Vous n'avez pas tout à fait tort, au début du film du moins. Le temps que les enjeux se mettent en place, le spectateur occidental, peu au fait de ces combats sanglants qui ont jalonné l'histoire de la Chine, se retrouve un peu perdu. Pire, l'alternance de scènes d'action et de pur mélodrame laisse à penser que l’on va assister à un ersatz du déjà très moyen Les seigneurs de la guerre.
Mais les craintes vont bien vite se dissiper.
Déjà parce que la bataille de la Falaise rouge (ou de Chi Bi, titre original du film) est l’une des plus célèbres batailles de l’histoire de la Chine impériale, et a inspiré bien des récits épiques. Le film est tiré de l’un d’entre eux, « L’histoire des trois royaumes » de Louo Kouan-Tchong (1), un classique de la littérature chinoise. Donc un gage de qualité au niveau de la construction du récit…
 
Ensuite, parce que c’est John Woo qui est à la baguette, et ça se voit à l’écran.
En revenant tourner en Chine après une parenthèse hollywoodienne de plus de quinze ans, au bilan plutôt mitigé, le cinéaste a retrouvé l’inspiration et une bonne partie du style qui a fait sa réputation. Evidemment, ne vous attendez pas ici à voir l’une de ces fusillades d’anthologie dont il a le secret. Le film se déroule en 200 après J.C. : les premiers canons ne seront inventés par les chinois que mille ans après, et les premières armes à répétition ne sont apparues qu’au 19ème siècle… Mais il faut se rappeler que les premiers films de John Woo étaient des films de sabre ou d’arts martiaux. Les gunfights sont donc sans problème remplacés par des combats à la lance ou à l’épée, eux-aussi magnifiquement chorégraphiés, et mis en scène avec un sens du rythme et de l’esthétique qui une fois de plus nous laisse pantois. Le cinéaste semble également s’être beaucoup amusé à recycler les vieux trucs qui sont sa marque de fabrique : les glissades sur le dos, les ralentis en plein cœur de l’action, les face-à-face où les personnages se menacent mutuellement avec une arme, le guerrier protégeant un nouveau-né au péril de sa vie, et même le sempiternel envol de colombes, qui sert aussi de prétexte à un beau plan-séquence aérien survolant l’ensemble de l’immense armée de Cao Cao.
Si vous aimez le spectaculaire, vous allez être servis. D’autant que la production s’est donné les moyens de ses ambitions. Avec ses décors somptueux (dont la reconstitution d’une immense colline de 12 m de haut et 200 m de large), ses milliers de figurants (dont mille soldats prêtés par l’armée chinoise, pour plus de réalisme dans l’action), ses trois équipes technique et la contribution des meilleurs experts en effets visuels, ses huit mois de tournage et ses 80 millions de dollars de budget, Les 3 royaumes est le film le plus cher de l’histoire du cinéma asiatique. Autant dire qu’on s’en prend plein les yeux et que l’on ne s’ennuie pas un instant durant les deux heures vingt de projection (2).
 
Mais n’allez surtout pas croire que Les 3 royaumes ne s’adresse qu’aux aficionados de films de guerre et d’action violente. John Woo a également apporté un soin tout particulier à la psychologie des personnages et aux liens qui les unissent. Car c’est moins à la force brute qu’à l’intelligence tactique, la ruse, la solidarité et le sens du collectif que les plus faibles vont surpasser les plus puissants. Les stratégies inventées par Zhuge Liang, le stratège de Liu Bei donnent lieu à de jouissifs moments de bravoure (la technique des miroirs, la création d’un labyrinthe humain emprisonnant les assaillants ou la façon très maligne de voler les flèches des troupes adverses, entre autres…).
Les 3 royaumes montre comment 50000 hommes en ont terrassé 800000, juste avec une tortue, une colombe, un air de musique, la position des nuages et une tasse de thé ! Et, quand même, quelques milliers de morts dont John Woo, pacifiste dans l’âme, déplore le sacrifice en faisant dire à Zhou Yu, le leader de la coalition « Nous avons tous perdu aujourd’hui ». Avec ses images saisissantes de paysages dévastés et de milliers de cadavres jonchant le sol, le film fait évidemment froid dans le dos, et se positionne bien loin d’une l’apologie idiote de la guerre et de la violence. Il s’agit plus de l’illustration des sages conseils édictés par Sun Tzu dans « L’art de la guerre » (3) : préparer minutieusement les batailles de façon à limiter les pertes humaines, respecter un code de morale et d’honneur, utiliser la ruse et la psychologie pour pouvoir, le cas échéant, vaincre sans combattre…
Dans Les seigneurs de la guerre, Peter Chan abordait à peu près les mêmes thématiques, et jouait lui aussi la carte du réalisme. Il allait même un peu plus loin dans la description des arcanes du pouvoir et les magouilles politiciennes qui ont de tout temps pesé sur la stabilité des régimes impériaux en Chine. Mais, sa mise en scène est loin d’avoir l’élégance de celle de John Woo. Dans un cas, les ralentis ne sont que des effets inutilement tape-à-l’œil, dans l’autre, des figures de style faisant partie d’une sorte de ballet, une chorégraphie parfaite.
Même chose pour le rythme du film. Sans paraître trop long, Les seigneurs de la guerre finissait par s’essouffler alors que Les 3 royaumes ne subit aucun temps mort du début à la fin. (4)
Les 3 royaumes - 5 Les 3 royaumes - 8 Les 3 royaumes - 9
En revanche, les deux films partagent la même qualité de jeu d’acteurs. On retrouve d’ailleurs dans les deux films Takeshi Kaneshiro, toutefois plus à son avantage dans le rôle du génial Zhuge Liang, fin stratège capable de lire dans les nuages. Initialement, c’est Chow Yun Fat qui devait incarner Zhou Yu, mais l’acteur fétiche de Woo s’est désisté pour de basses raisons de gros sous (Chow mon ami, permets-moi de te dire, malgré toute l’admiration que je te porte, que refuser un tel rôle auprès du metteur en scène qui a su mieux que quiconque te mettre en valeur, c’est une colossale boulette. Et tout ça pour jouer dans des nanars – du moins c’est ce que je crains – comme Dragonball evolution, quelle misère !). Du coup, le cinéaste a fait appel à l’excellent Tony Leung, qu’il a aussi dirigé à deux reprises. L’acteur est une fois de plus très bon dans le rôle de ce seigneur de guerre pas mégalo- mais mélomane. Il trouve son contrepoint en la personne de Zhang Fengyi, cruel à souhait dans son incarnation de Cao Cao, le seigneur de guerre pas mélo- mais mégalomane…
Parfaitement rythmé, subtilement interprété, truffé de formidables morceaux de bravoure et porté par une mise en scène étincelante, Les 3 royaumes marque le retour en forme d’un cinéaste dont on n’attendait plus grand-chose. Il manque juste un brin de noirceur et d’ambiguïté pour atteindre les sommets de la filmographie de John Woo. Des qualités qui sont peut-être présentes dans la version intégrale de l’œuvre, mais il faudra attendre une hypothétique sortie en DVD pour le vérifier… En attendant, la version actuellement en salles vaut le déplacement…
Note : ÉtoileÉtoileÉtoileÉtoileÉtoile
(1) « Les trois royaumes » de Louo Kouan Tchong – ed. Flammarion (3 volumes)
(2) La version proposée au public occidental dure 2h25 et est un condensé de deux films de 2h20 chacun ! Soit une durée réduite de moitié ! De quoi expliquer certaines coupes un peu abruptes dans le montage européen… Pourquoi n’avoir pas respecté le format original ? Dommage…
(3)  « L’art de la guerre » de Sun Tzu – coll. Champs – ed. Flammarion
(4) Le film de Peter Chan a aussi été remonté spécialement pour le public occidental, et amputé d’une bonne partie de sa longueur d’origine. Encore une fois, ce procédé est stupide…


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