Février 1999, me voici à Montréal pour un raid en skidoo qui me mènera à Obedjiwan
village Indien à 1500 km de toute terre civilisée.
A mon arrivée la douce ambiance de l’aéroport de Dorval est vite estompée par le froid " sibérien " lorsque s’ouvrent les portes menant à l’extérieur. Le thermomètre affiche – 20° et mon guide et
ami Jean Vinet propriétaire de la Compagnie " Shaman Expédition " à un petit sourire narquois qui en dit long sur l’aventure qui m’attend. Jean Vinet est un ancien champion d’haltérophilie
reconvertit dans le tourisme d’aventure et plus spécialement dans la moto-neige. Sa reconversion est une réussite car il a su s’extraire du train train habituel des nombreuses compagnies qui
fleurissent depuis quelques années et qui proposent des circuits soit disant dans le Grand Nord à quelques kilomètres de Montréal……..
Une auberge dans le
bois.
Après avoir fait une bonne centaine de kilomètres nous voici à son auberge acquise il y a peu de temps. Un véritable paradis. Imaginez une bâtisse en bois rond dotée de 10 chambres, au cœur d’un
parc de 8 hectares dans le silence de la forêt avec un nom qui sonne bien " au vieux shaman ".
L’intérieur est chaleureux et ma première visite est pour la vieille cheminée en pierre où un bon feu de bois réchauffe mes membres engourdis par le froid intense. Après m’être installé nous
discutons de ce raid. Une grande boucle où tous les types de terrains sont présents : lacs, forêts, plaines, sentiers, rivières gelées. Le kilométrage de cette chevauchée est impressionnant plus
de 2500 km. De quoi avoir sa dose de froid pour le restant de ses jours... d’autant plus que dans ces territoires se sont des températures de – 35° voire – 45° qui m’attendent.
Le lendemain c’est le grand jour, après un copieux petit déjeuner nous enfourchons nos Polaris 500, de véritables bêtes de course avec des accélérations montant à 160 km/h. Bien emmitouflés dans
nos combinaisons grand froid, cagoulés, casqués, c’est le départ.
Pas une âme en vue. Pas âme qui vive sur les 100 premiers kilomètres ! Plein gaz, nos skidoo foncent. Nous flottons littéralement sur la poudreuse qui se soulève derrière notre passage. Depuis le
cow-boy chevauchant les plaines de l’Ouest, l’humanité n’avait pas inventé d’images aussi enivrantes de liberté. Je découvre le Far-West du Nord. Nous sommes au cœur de cette vaste région peu
peuplée du centre du Québec que l’on nomme parfois " Attikamie " en l’honneur des indiens Attikameks qui l’habitent. On l’appelle aussi Haute-Mauricie car elle occupe la partie nord du bassin de
la Saint-Maurice qui prend sa source au barrage Gouin construit en 1927 et d’une superficie de 10 000 km2.
Il n’y a pas si longtemps, seul l’hydravion et le chemin de fer permettaient d’accéder à ces contrées isolées. Devant les touristes de plus en plus nombreux, les trains de jours ont remplacé le
train de nuit qui serpentent à travers la forêt, avant d’atteindre Senneterre en Abitibi-Témiscamingue. Entre les deux un chapelet de hameaux, villages, camps de bûcherons, réserves indiennes,
clubs de pêche et de chasse. Des destinations qui ne figurent pas encore dans le guide Michelin : Clova, Parent, Windigo, Weymontachie, Casey. Mais c’est surtout l’hiver que la région s’anime
grâce aux mordus du skidoo. Depuis 3 jours avec mon guide Jean que j’ai surnommé depuis belle lurette " caribou " car c’est aussi un guide de chasse qui passe de temps en temps à la télévision,
je parcours ces espaces sauvages. Notre " courte expédition " fera 1000 km en forêt.
Ce soir là devant le motel 21 bolides des neiges sont stationnés en attendant le départ du lendemain.
Cap au Nord
Le lendemain, nous partons pour une chevauchée de 300km. Le ciel est bleu est la température est de – 30°. Le siège de mon skidoo glace mon postérieur mais au bout de quelques kilomètres tout
rentre dans l’ordre. Nous emportons des raquettes, quelques gamelles et des rations de survie ainsi que le nécessaire pour confectionner un abri de fortune au cas ou……
Un premier arrêt s’impose à la montagne du Diable. Un sommet panoramique à couper le souffle permet d’embrasser d’un seul coup d’œil l’immensité du territoire à parcourir. A perte de vue des
lacs, des forêts, des montagnes.
A midi on trouve un relais pour casser la croûte et se réchauffer. Il faut en profiter car bientôt les services se feront plus rares. Nous sommes encore loin de Parent. Les arrêts pour admirer le
paysage nous ont retardés, il faut presser l’allure. Le mauvais état de la piste ralentit notre progression et la nuit tombe. Nous sommes fourbus quand à la sortie d’un virage des lumières
brillent aux fenêtres d’un grand chalet. C’est la pourvoirie du Fer à Cheval. Ce sont eux qui, du printemps à l’été, offrent le gîte et la nourriture aux chasseurs et aux pêcheurs. Et ici, au
beau milieu de nulle part, une cuisine honnête et un lit douillet nous attendent.
Le lendemain, pas âme qui vive, aucun bruit et pour cause la neige tombe à gros flocons et amortie le bruit des pas. Pas question d’attendre la fin de la tempête qui peut durer toute la journée.
La température s’est adoucie et nous voilà sur une très belle piste qui longe la rivière Michinamécus bien connue des descendeurs de rivières. Dans le sous-bois quelques gélinottes et lièvres
détalent à notre passage. Mais attention il est interdit de poursuivre les animaux. Ils ont besoin de toute leur énergie pour lutter contre les loups.
Parent, capitale de la
cambrousse.
Nous voici à Parent, ce gros village est perdu au milieu des bois. Un peu désuet il possède un charme inimitable, que seules les années d’isolement en forêt peuvent créer. C’est le rendez-vous
des indiens et des trappeurs, le refuge de quelques citadins qui ont fui la ville et ses percepteurs……ici personne ne viendra les chercher. Le vieil hôtel de ville en bois, les orchestres et
danseuses qui s’arrêtent parfois, on se croirait en plein western.
" Essayez de me trouver une autre ville au Québec où les hôtels sont ouverts 24 heures sur 24 ! " lance un résidant. Dans ce pays un hôtel désigne un endroit où l’on boit. Ici les règlements sont
élastiques, les taxes rares et la bureaucratie étrangère. Parent a connu son âge d’or du temps où les compagnies forestières " bûchaient " et aussi durant la guerre froide : une base militaire
avec un radar chargé de détecter les bombardiers soviétiques avant qu’ils n’atteignent Montréal. Parent avait alors des équipes de hockey, une salle de curling, un cinéma et plus de 1000
habitants.
Mais la station radar rendue désuète par les satellites a été fermée, le centre d’entretien de la Canadian national a brûlé et la machinerie a remplacé les bûcherons. Parent est devenue une ville
fantôme, mais ceux qui sont restés y sont farouchement attachés. Après une nuit reposante nous repartons vers le village voisin de 115 km.
Nous filons sur des montagnes russes enneigées au coucher du soleil, la neige scintille, comme une poudre d’or. Le spectacle est grandiose.
Clova, 37 âmes…..nous tombons sur un souper de la chambre du commerce ! Tous les commerçants se sont réunis pour voir le " petit français " et me vendre quelque chose, quel générosité et quel
accueil. Chacun se plait à me demander si je n’ai pas froid, si le skidoo existe en France. Je réponds à chacune de leur question avec un brin d’humour pour chacun. C’est la moto-neige qui a
redonné vie à ce hameau qui devait être rayé de la carte, les bûcherons sont partis, l’école a fermé, l’hiver tous les commerçants fermaient sauf l’épicerie qui ouvrait une fois par semaine. La
venue du skidoo, l’ouverture d’une pourvoirie et de ses 20 chalets, un garage et un restaurant ont permis à la petite communauté de reprendre vie. La nuit fut courte et bien arrosée…..
Il neige abondamment lorsque nous quittons Clova pour la traversée du réservoir Gouin. Nous sommes loin des pistes balisées du sud. Une petite trace blanche sur l’immensité du réservoir est notre
seul repère. Il faut faire très attention et ne pas la quitter, car le risque est alors grand de s’embourber dans les nappes de " slush " qui se forment un peu partout là où la glace se fissure
en laissant passer l’eau. Nous traversons l’ancien poste d’Oskélanéo jadis un village où passaient les expéditions minières et où les indiens venaient vendre leurs fourrures. Une pourvoirie
occupe aujourd’hui les derniers bâtiments du village ; nous arrêtons le temps de saluer les pêcheurs qui pratiquent la pêche sur glace et nous repartons vers Obedjiwan, la réserve indienne tout
au nord, toujours aveuglés par la tempête. Parfois la piste disparaît, seule la consistance de la neige molle sous les skis, nous fait comprendre que nous quittons la piste. Notre principale
préoccupation est de ne pas nous perdre. Le plan d’eau est un carrefour d’îles, de presqu’îles et de baies qui s’élancent dans toutes les directions. S’aventurer sans guide sur cette mer gelée
est un véritable suicide.
Obedjiwan la cité
indienne.
Nous sommes maintenant en " territoire Indien ". c’est le pays des Attikameks descendants probables des Tête-de-Boules que les missionnaires français rencontrèrent jadis en remontant la
Saint-Maurice.
Les Attikameks sont aujourd’hui 3500 francophones pour la plupart et Obedjiwan est leur plus gros village. Les Attikameks savent qu’une des routes d’avenir des grands circuits de motoneige passe
chez eux. Ils ont formé leur propre club et ont commencé à percer des pistes qui iront plus loin vers le nord. La grande aventure de demain. Ce n’est pas le territoire vierge qui manque à
l’appel.
Tard dans la soirée nous arrivons à la lumière des phares à Obedjiwan, le but de notre voyage, était de comprendre la dure réalité de la vie des pionniers qui il y deux siècles ont traversé ces
contrées sauvages mais dangereuses. Ce qui nous a pris 7 jours se faisait à cette époque en 3 mois avec des conditions climatiques très dures non pas avec des motoneiges mais avec des traîneaux à
chiens. Durant ce circuit réservé aux " pros " plus de 300 km ont été couvert chaque jour. C’est harassant, mais le voyage en vaut la chandelle. Les paysages enneigés sont sublimes, parfois nous
traversions des lacs gelés sur des dizaines de km à la vitesse de 140km/h. nous n’avons pas rencontrés une foule de personnes ici, c’est le silence. Par contre lors de notre arrivée dans les
villages isolés nous étions accueillis à bras ouvert et l’hospitalité québécoise n’est pas un vain mot. Et dire qu’il va falloir bientôt retrouver la vie trépidante du sud et tous les tracas de
la vie quotidienne, mais qu’importe : quand on a goûté au Grand Nord il est bien rare de ne pas y revenir, c’est une drogue que l’on ne peut se passer.