Un Ťpoisson d’avrilť a bričvement ranimé les nostalgies.
Un coup de maître ! Une information précise, détaillée, bien illustrée, diffusée par le musée de l’Air et de l’Espace du Bourget, a annoncé la remise en vol d’un Concorde. Une initiative de grande ampleur, expliquait le long communiqué, tenue secrčte tout au long de sa préparation, bénéficiant du soutien de grands industriels. Et d’ajouter que la DGAC avait donné son accord pour deux premiers vols, des boucles au-dessus de l’Atlantique, la premičre couronnée par un départ et un retour lors de la journée inaugurale du prochain salon de l’aéronautique.
Avouons-le, passé le premier instant de surprise, quelques secondes d’intense réflexion étaient nécessaires pour comprendre …que c’était tout simplement impossible. Un coup d’oeil au calendrier servait de démenti : nous étions le 1er avril.
L’impact de cet excellent coup de pub du musée est néanmoins plus sérieux, plus profond, qu’il n’y paraît ŕ premičre vue. De toute évidence, en effet, l’équipe que dirige avec dynamisme Gérard Feldzer a pris son ręve pour une réalité, le temps d’une journée. Mais, autant le dire franchement, ce ręve est aussi celui d’innombrables passionnés de l’avion supersonique franco-britannique qui donneraient tout pour revoir Concorde survolant, par exemple, le terrain de La Ferté-Alais, devant un Spitfire et aprčs un Caudron G3.
Il y a un mois, le 40e anniversaire du premier vol, célébré dignement ŕ l’initiative de l’association toulousaine Cap Avenir Concorde, a éloquemment confirmé que le mythe est bel et bien intact. Et qu’il n’est pas prčs de s’éteindre.
Jean-Cyril Spinetta, président d’Air France, l’avait dit avec talent le 27 juin 2003, ŕ l’occasion du retour ŕ Blagnac du Fox Charlie : ŤConcorde ne s’arrętera pas vraiment, parce qu’il ne sortira jamais de l’imaginaire des hommesť. Et d’ajouter que ce symbole venait d’entrer dans la légende.
Les déclarations enflammées d’André Turcat, les envolées subliminales de Jean Pinet, les explications de texte de Michel Rétif, les repčres techniques de Jean Rech, les articles, les livres, les films, le rappel des épisodes successifs de l’extraordinaire saga entamée en 1962, ont laissé des traces indélébiles. Une foison de souvenirs de toutes sortes, techniques, opérationnels, industriels, politiques. Le tout autour d’un véritable objet d’art, unique dans l’histoire de l’aviation civile.
Il suffit de revoir un Concorde, au Bourget, Blagnac, Filton, Washington ou ailleurs pour souhaiter qu’il trouve aussi sa place dans les musées d’art moderne. Et, on ne le dira jamais assez, il faut rappeler, encore et toujours, que cet avion hors du commun, installé ŕ l’extręme limite de l’état de l’art, formidable défi technologique, a donné ŕ l’Europe la confiance, la force, l’audace, la volonté, qui lui ont ensuite permis de construire et de réussir Airbus.
Le poisson d’avril de Gérard Feldzer nous a rappelé tout cela, en quelques secondes ŕ peine. Il nous a fait sourire en męme temps qu’il nous faisait un peu mal. Ce n’est pas agréable de souffrir d’un petit coup de blues, męme un 1er avril.
Il y a pire. Nous savons, malheureusement, que Concorde n’aura pas de successeur. Ou, en tout cas, pas avant de nombreuses décennies. Il était notre part de ręve, unique, exceptionnelle, dans une aviation devenue d’autant plus sévčre que les financiers ont pris le pouvoir. Ils sont insensibles au gothique flamboyant, ils n’ont jamais vibré en observant le décollage, toutes post-combustions allumées, du vol AF001 ŕ destination de New York.
La récession, la crise financičre, les banques, les traders, les grands décideurs du G20, occupent désormais toute la place. Le retour sur investissement est roi, pire, monarque absolu, si ce n’est dictateur ŕ part entičre. Merci au musée du Bourget de nous avoir tiré de cette mauvaise passe pendant quelques merveilleuses secondes !
Pierre Sparaco - AeroMorning
(Photo DF31Airslides)