Non, bien sûr, les temps sont durs et c’est la crise. Financière, économique, politique, sociale, sociétale et je ne sais plus quoi encore. La gauche n’est plus la gauche, la droite non plus. Les repères, les critères d’antan ont foutu le camp. Plus personne ne sait quoi faire ou ne pas faire. La planète donne des signes de fatigue, les terriens achèvent de la vider de sa substance tellement qu’ils en ont pompé la manne qui n’est pas inépuisable. L’âge d’or est derrière nous, l’horizon est bouché. Et je ne vous parle pas de la couche d’ozone béante, de la banquise fondante ni des ordures ménagères ou des déchets nucléaires. Un : j’ai pas plus de solutions pour tous ces trucs que les mecs du G 20. Deux : j’en ai marre de la sinistrose ambiante et désormais je ne lis plus les journaux que pour leurs mots croisés ou leurs problèmes d’échecs. Surtout, j’ai trouvé un espace temps où je suis bien et dont Georges Haldas (dont j’avais déjà parlé ici)a magnifiquement bien parlé dans ce poème. Lisez plutôt :
Epoque heureuse
Logés dans le cristal
on buvait la lumière
Chaque jour recousait
le travail matinal
Plus douce que la mer
une brise attisait
comme un feu d’espérance
On renaissait à l’aube
toujours neuf à soi-même
On mangeait à midi
servis par des mains d’anges
qui devinant sans cesse
nos secrètes pensées
en chassaient la tristesse
On devenait plus jeunes
La solitude même
était comme un fil d’or
Chaque silence en nous
laissait parler les morts
Je me suis souvenu des poèmes de Georges Haldas l’autre soir en voyant à la télé le superbe documentaire consacré à Ivry Gitlis . Oui, je télévise : tout va mal, mais il y a encore du pain et des jeux… et parfois quelques pépites comme ce film de Sandra Joxe qui mêle images d’archives, déambulations nostalgiques mais alertes de Gitlis à Jérusalem et Haïfa, leçons de musique et leçons de vie d’un violoniste d’exception. Ce type a une approche de la musique et de l’existence étroitement liées, dans une quête passionnée de ce qu’il appelle « la rencontre » authentique avec la musique pour medium. Cette disposition existentielle m’a ainsi fait penser à ce que l’écrivain (il préfère dire “écrivant”) Georges Haldas désignait comme « l’état de poésie » et aussi le « sens de l’autre » ou la quête du « Grand Autre », par exemple dans L’échec fertile, un superbe petit livre d’entretiens avec Claire Bourgeois. Partitions sublimées par un interprète au plus haut point maître de son art et de son archet ou poèmes ciselés au plus juste des ressources du langage : les deux voies visent au même but. Et atteignent par la médiation, tant d’un art que d’un rapport particulier à l’altérité, ce lieu idéal et intemporel, cette époque heureuse dont parle Haldas. C’est aussi une manière de se réaliser comme l’indique ce Retour à soi qui fait immédiatement suite à cette époque qui pourrait être celle où l’on a l’intuition sensible de cette Source commune à tous…
Retour à soi
C’est la descente heureuse
C’est la nuit sans limite
Les chemins se confondent
Les pierres s’amenuisent
Un grand jardin recueille
les restes de nos vies
Et nous parlons le soir
une langue inconnue
que seul un chien comprend
une étoile ou cet or
qui brille dans le vin
Et nous rend à nous-mêmes
comme un pain sans levain
Georges Haldas vit à Genève depuis 1917, boulevard des Philosophes, titre d’un de ses recueils de chroniques. On trouvera une bibliographie très complète ici et une très belle évocation du personnage là .