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Souvenirs de Corée du Nord (10) - Simple comme un coup de fil

Publié le 05 avril 2009 par Fredo
En Corée du Nord, quand on part sur le terrain plusieurs jours, il arrive qu'on ait besoin de communiquer avec la base à Pyongyang. Parce que c'est quand même pratique parfois de pouvoir prévenir les copains pour les avertir qu'on a eu un problème sur la route, ou que le fournisseur s'est trompé de pièce, et que le nouvel échangeur de chaleur qu'on a apporté avec soi sur 500 km, et bien ce n'est pas le bon, et que la machine qu'on est venu réparer ne marche pas sans.
Oui, des fois, on doit appeler Pyongyang. Et là, les ennuis commencent.
En janvier 2009, la Corée du Nord s'est dotée d'un réseau de téléphonie mobile 3G, très moderne, installé par la compagnie égyptienne Orascom, qui en a d'ailleurs profité pour recarreler une pyramide abandonnée au centre de Pyongyang. Mais il existait déjà, avant même Orascom, un réseau mobile, accessible principalement par les étrangers, et qui marchait très bien… à Pyongyang.
Parce que téléphoner en province, c'est une autre histoire. Oh, on s'y préparait un peu, pourtant ! On amenait précieusement son petit portable, avec ses deux batteries et ses recharges de crédit au cas où. Mais pour qu'un portable fonctionne, il faut des relais. Et les endroits où on travaille n'en disposent pas toujours.
Une solution très simple quand le portable ne marche pas, c'est tout le téléphone fixe, et de bonnes vieilles lignes terrestres. Encore faut-il que les lignes fonctionnent. Parce que l'étranger au nord n'a pas le droit de se servir des lignes domestiques usuelles; il n'a le droit d'utiliser que les lignes dites "internationales".
Internationales, ça veut dire que les étrangers parlent dedans. Il faut donc aller au centre de communications internationales de son hôtel, pendant les heures ouvrables, et garder son sens de l'humour. Car le téléphone en Corée du Nord, c'est un peu comme un tour de magie de José Garcimore.
Des fois ça marche, et des fois ça marche pas.
Exemple. Wonsan, octobre 2007. De très fortes inondations ont eu lieu en août, et nous sommes en plein cœur du programme d'urgence qui va durer 6 mois. Suite à un problème technique (une pièce laissée dans la mauvaise caisse à Pyongyang, c'est ballot), nous devons appeler la capitale pour demander à un technicien de nous la ramener. Nous allons donc au centre de communications de l'hôtel. Mais la ligne est coupée, quelque part. Impossible de joindre Pyongyang. Le portable ne marche pas non plus : ça aurait été trop facile.
Mais notre guide, lui, peut appeler Pyongyang sans problème. Il utilise tout simplement les lignes coréennes, qui marchent très bien. Nous demandons à pouvoir les utiliser exceptionnellement (contexte d'urgence, bla bla, les violons). Pas possible. C'est interdit. Les étrangers n'ont pas le droit de parler dans la ligne.
La solution, kafkaïenne à souhait, s'est imposée d'elle-même : le technicien français à Wonsan expliquait le problème à son traducteur, qui parlait en coréen via le téléphone à l'autre traducteur à Pyongyang, lequel traduisait ensuite au second technicien français juste à côté de lui. On a fait plus efficace… Et puis – sinon, ça aurait été trop facile - l'un de nos deux traducteurs s'était un peu fâché avec Molière, et utilisait du roumain pour les mots qu'il ne connaissait pas – des fois que ça marcherait. C'était une conversation très technique (décrire la pièce, les types de raccords nécessaires, comment l'installer, etc.) à laquelle aucun des nos deux braves traducteurs ne comprenaient goutte.
C'est déjà pas facile d'expliquer à sa brave maman, face à face, comment faire fonctionner un magnétoscope ; imaginez maintenant de lui expliquer, à 300 km de distance et à travers deux traducteurs coréens en panique, comment retrouver une valve anti-retour parmi quelques centaines de pièces disséminées dans une vingtaine de caisses, et vous aurez une petite idée de l'ambiance à Wonsan ce jour-là.
Au bout d'un quart d'heure, nos deux techniciens s'époumonaient et hurlaient leurs instructions, l'un dans le hall son l'hôtel à Wonsan, l'autre dans son bureau à Pyongyang, dans l'espoir que chacun entende la voix de l'autre par-dessus l'épaule de leurs traducteurs respectifs…
Les télécoms nord-coréens, camarade, ils te font aimer l'an 2000.
[Wonsan. Photo de Kernbeisser, tout droits réservés]
Autre exemple, toujours en province (parce que c'est là qu'on rigole le plus, tout de même). Nos deux techniciens sont envoyés dans deux villes de province différentes et cherchent – les lourds – à communiquer. C'est vrai que, avec le recul, on se dit que ça aurait été plus simple de les garder collés ensemble, ces deux-là. Mais sur le moment, cela ressemblait à une bonne idée, d'en avoir un dans chaque ville. Bref. Ils sont chacun dans leur hôtel, et cette fois ni les lignes internationales ni les lignes coréennes ne fonctionnent. Mais nous savions que le portable de l'un, dans son hôtel à Sariwon, a une bonne réception. Et les lignes internationales dans l'hôtel où se trouve l'autre fonctionnent… pour appeler l'étranger.
Notre technicien à Wonsan a donc appelé sa copine en France sur son fixe. Il lui a demandé de prendre son portable, d'appeler le technicien à Sariwon, et d'accoler les deux combinés. Comme nous nous en doutions, la qualité n’est pas terrible, mais ça marche. Le prix à la minute est sans doute exorbitant mais on s'en foutait, parce qu'on n'a pas atteint la minute. La ligne entre Wonsan et sa copine a été coupée avant.
Ca aurait été trop facile.

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