Dans une de ses nombreuses déclarations sur les rémunérations des patrons, notre Président a estimé comme anormal qu’un patron ayant commis des fautes puisse toucher un bonus. On peut penser que le caractère vertueux de sa vie privée et l’extrême délicatesse de ses propos portent Nicolas Sarkozy à considérer que l’important pour un patron est de ne pas commettre de fautes. C’est une erreur profonde. Ce qui est jugé, ce n’est pas la conduite mais plutôt et presque uniquement les résultats. Une entreprise ne rémunère pas plus le travail que l’effort mais seulement la réussite. La conséquence immédiate en est que le respect de la morale n’est pas la qualité première attendue chez ceux qui ont pour tâche de construire le succès de leur entreprise.
Il est ainsi apparemment fort simple de déterminer si tel ou tel membre d’une entreprise, et en particulier un patron, mérite ou non un bonus : ses résultats sont-ils ou non conformes à ses objectifs ? Et ce principe demeure valable en temps de crise. Un salarié, quand même serait-il patron, perçoit un salaire pour effectuer un certain travail et se trouve payé même lorsque les temps sont durs (je ne traite pas ici du cas du menu peuple qui peut, par une décision du patron, se trouver réduit au temps partiel ou jeté au chômage). Par contre, qu’il y ait eu ou non des erreurs commises, les bonus doivent par essence-même disparaître quand les résultats ne sont pas au rendez-vous.
La réalité est un peu moins simple. Une première difficulté réside dans la fixation des objectifs. C’est ainsi que l’industrie sidérurgique, vouée après la deuxième guerre mondiale à l’ardente obligation de participer à la reconstruction du pays, a conservé ensuite trop longtemps les yeux fixés sur le tonnage d’acier produit. Or, lorsqu’une coulée est inutilisable, on l’enfourne à nouveau, augmentant ainsi sans valeur ajoutée ce fameux tonnage. A ne viser que des tonnes, on a ainsi perdu de vue le rendement, ce qui a pu contribuer à des difficultés lorsque la concurrence étrangère s’est intensifiée. De même, se concentrer sur le chiffre d’affaires en négligeant la marge conduit à des déboires. Il est donc nécessaire de fixer plusieurs objectifs et de les pondérer ensuite selon leur importance respective.
Une deuxième difficulté est de mesurer les résultats, cette mesure étant rarement le fruit d’une démarche contradictoire. Malheur au subordonné dont les résultats ne contribuent pas à ceux de son supérieur. Ce dernier peut alors aisément maîtriser les dépenses salariales de son unité en minimisant les résultats obtenus par certains de ses collaborateurs. J’ai aussi vu d’une entreprise subordonner l'obtention d'une prime à l’atteinte d’un niveau de satisfaction des clients de 80%. Lorsqu’elle souhaitait comprimer un peu les dépenses salariales, il lui suffisait d’afficher un niveau de satisfaction de 78% et le tour était joué, le mécanisme de détermination du niveau de satisfaction atteint s’avérant le plus souvent obscur et inconnu des salariés.
La situation me semble différente dans le cas des cadres dirigeants. Ceux-ci disposent d’un avantage certain sur les autres salariés, c’est qu’ils fixent le plus souvent eux-mêmes leurs objectifs. C’est sans doute ce qui leur permet de préserver régulièrement leurs bonus. Dans la situation présente, qui n’était guère prévisible, du moins dans son ampleur, si ces patrons peuvent arguer de bons résultats, c’est que leurs objectifs ne contribuaient pas à la santé de l’entreprise. Si leurs résultats ne les privent pas de leurs bonus, c’est à eux-mêmes d’y renoncer.
En effet, ou bien ils n’ont pas fixé le bon cap, ou bien ils ont mal piloté, ou bien ils n’ont pas eu de chance. Mais, même dans cette dernière hypothèse, leur sort demeure bien plus enviable que celui de n’importe lequel de leurs éventuels licenciés.