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Quand la France disparaît du monde

Publié le 06 avril 2009 par Infoguerre

Nicolas Tenzer, ancien élève de l’Ecole normale supérieure et de l’ENA, est président du centre d’études et de réflexion pour l’action politique. Haut fonctionnaire, il vient de passer un an et demi à parcourir le monde dans le cadre d’une mission interministérielle dont est issu Quand la France disparaît du monde. Pour l’auteur, la source de notre effondrement « tient à notre absence de réponse à ce qui constitue la base de la puissance mondiale ». Il explique alors les limites de notre pays mais aussi les moyens de s’en sortir.

Une absence dans des secteurs clés

« Le pays qui entendra compter demain devra se donner les moyens de conquérir une part significative des marchés d’expertises mondiaux ». Les marchés d’expertises concernent l’environnement, l’eau, l’administration des Etats et des collectivités, l’éducation, la sécurité, les infrastructures, la recherche, etc. et génèrent des milliards de dollars de contrats.

Outre l’absence de notre pays sur ces marchés expertises, ce qui permettrait d’imposer des normes, techniques et juridiques, la France est absente de la bataille des idées. Comme le souligne l’auteur, « ce n’est pas une dispute académique entre gens bien élevés, mais une guerre pour la prééminence, politique comme économique ». En étant absent, un pays ne peut y faire valoir ses idées, ses règles et ses principes. Enfin, la France connaît une défaillance dans les réseaux d’expertise, ceux-ci permettant de façonner un pays demandeur sur des problématiques clés (délinquance financière, contrefaçons, lutte contre le terrorisme, etc.).

Pas de stratégie et des insuffisances par rapport à nos concurrents

Ainsi, la France souffre de l’absence d’une stratégie globale mais aussi pays par pays ou par zones géographiques. En effet, notre pays cultive une douteuse indifférence à l’égard du monde. Or, comme l’analyse Nicolas Tenzer, « devant les enjeux du monde nouveau, l’initiative revient à l’Etat – et la faute aussi ». L’auteur liste alors nos lacunes vis-à-vis de nos concurrents et « au-delà des variations propres à chaque nation, ces autres pays disposent le plus souvent de sept qualités que nous n’avons pas » :

1] Ils sont réactifs et rapides, à tout niveau de la hiérarchie. Une décision importante, car étudiée en amont, est prise en deux semaines et un changement d’orientation stratégique est réalisé en deux ans.

2] Ils ont la capacité de dégager la masse critique (moyens financiers et humains).

3] Leur système international est large et multiforme, reposant sur les administrations, le milieu académique, la sphère économique, des fondations politiques ou caritatives.

4] Ils ont une stratégie : ils savent quel est leur objectif dans tel pays, dans telle organisation et dans tel secteur. L’objectif est bien évidemment accompagné de moyens d’action.

5] Ces pays communiquent via des documents stratégiques, des programmes d’action, des documents de travail, des études diverses, très largement diffusés à l’extérieur.

6] Ils ont une politique de présence et de maillage serré, c’est-à-dire qu’ils savent être plus présents que nous dans les lieux de décision et de discussion (organisations internationales, etc.).

7] Leurs ressortissants ont un point commun essentiel : une fierté nourrie par le patriotisme, ce qui les rend solidaires et tournés vers l’intérêt national.

Une disparition progressive mais des solutions existent

Par conséquent, notre politique internationale apparaît en grande partie comme une collection de non choix. Que risque-t-on à persévérer dans cette voie ? comme le note l’auteur, « la disparition de la France du monde n’est pas un événement brutal et tonitruant. Elle se produit en douceur, par un effacement progressif de la carte du monde ». Pis, « nul ne cherchera à apprécier l’évolution du poids de la France dans le monde, à l’aide de données quantitatives et qualitatives. Il n’existe aucun panorama, même frustre, des appels d’offres internationaux que nous remportons en comparaison de ceux de nos concurrents, accompagné d’une généalogie, même sommaire, de nos succès et de nos échecs. Nous ne disposons d’aucune vision d’ensemble de notre participation aux groupes de travail, cercles de pensée, milieux académiques, là aussi comparative ».

Pour retrouver un semblant de puissance, la France se doit d’être présente, à terme, dans cinq domaines clés : un maillage intellectuel mondial, la conquête des marchés d’expertise, la performance de nos ambassades – qui ne dépend pas que des ambassadeurs, mais d’une stratégie en amont -, la reconnaissance du rôle de la fonction publique dans l’action internationale et l’attraction des élites en France.

Mettre en place une nouvelle diplomatie

L’important est ainsi de mettre en place une nouvelle diplomatie. « Imaginons donc cette nouvelle diplomatie. Elle sonnera le glas de la diplomatie du visible et du spectacle, où l’on recherche d’abord le photogénique, fût-il confidentiel à l’échelle du monde. Cette diplomatie de l’éphémère, fondée sur la profusion d’initiatives à un coup, se fait toujours au détriment de l’action. Elle ne s’inscrit pas dans le temps. Le fameux « rayonnement » dont elle s’inspire récuse toute mesure de ses résultats concrets ».

Selon l’auteur, la diplomatie française se caractérise par le paraître et l’éphémère. « Il n’est pas fortuit qu’on ait accordé depuis longtemps un privilège démesuré à la diplomatie culturelle par rapport à celle des idées et de l’expertise. La première n’est pas condamnable dans son principe si elle sait où elle va et se donne les moyens de réussir. Cela n’a pas été souvent le cas. […] La recherche de la visibilité maximale ne saurait se confondre avec celle de l’efficacité maximale ». Ainsi, pour l’auteur, isoler la culture française de la concurrence du monde signifie ne pas lui donner les moyens de triompher.

Quatre égarements à éviter

Nicolas Tenzer revient aussi sur ceux qui pensent que la France devrait se donner des perspectives « à sa mesure ». Pour lui, cela serait méconnaître la réalité du jeu de la puissance dans le monde de demain et quatre illusions sont dommageables :

1] Croire que nous pouvons aujourd’hui nous satisfaire d’un petit nombre de champions alors que ce qui fait la force d’une nation comme le caractère durable de sa puissance, c’est aussi une base de PME solides à l’international.

2] Croire qu’un pays peut se concentrer sur quelques zones géographiques tout en étant absent des plus dynamiques.

3] Croire que seule l’organisation spontanée des forces économiques et les initiatives individuelles peuvent constituer une base suffisante à la puissance d’un Etat.

4] Croire que la France possède un destin international, une vocation évidente, alors que tout cela se construit avec le temps. « Ce que nous avons à vendre ne préexiste pas, mais se bâtit en fonction de deux considérations essentielles : la pertinence et l’efficacité, d’un côté, notre intérêt national, de l’autre ».

Par conséquent, la diplomatie française doit retrouver une faculté de leadership. Comment ? Selon l’auteur, la force d’une diplomatie globale repose sur la détention des éléments de la puissance, d’abord économique, l’organisation concrète de l’influence et la présence active dans des actions de coopération, de développement et de partenariat. Cette nouvelle diplomatie se fonde sur une capacité rapide de décision et d’action mais aussi d’adaptation, intellectuelle et logistique.

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