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Mahmoud Darwich : le feuilleton d’un héritage

Publié le 06 avril 2009 par Gonzo

Peu avant sa mort en août dernier, Mahmoud Darwich aurait confié à ses proches qu’il avait un recueil prêt à être publié. Son frère, avec un petit groupe d’amis, en a donc cherché la trace dans les papiers du poète et a trouvé, de fait, différentes ébauches, ainsi que des poèmes plus achevés.

Que faire pour la publication ? Sirine Hulayla (ض (سيرين حليلة) a rapporté récemment les questions qui se sont alors posées à ce « comité des amis ». Bon nombre d’entre eux pensaient qu’il ne fallait retenir que les textes clairement achevés. Mais le romancier libanais Elias Khoury a fini par convaincre tout le monde en expliquant que, s’il fallait donner aux lecteurs la possibilité de découvrir ces derniers textes, personne ne pouvait prendre la place du poète disparu. Il convenait donc de donner au public l’intégralité des textes, sans y toucher. Cependant, cette publication posthume ne devrait pas paraître comme un recueil (dîwân) à l’égal des précédents, mais, au contraire, sous un titre différent, Les derniers poèmes, pour bien marquer son caractère inachevé.

Trois mois à peine après cette décision, Riad El-Rayyes, l’éditeur exclusif de Mahmoud Darwish depuis le début des années 1990, mettait sur le marché (à la mi-mars) ce nouveau livre du poète palestinien : Je ne veux pas de fin à ce poème… (لا أريد لهذه القصيدة ان تنتهي ). Le titre, reprenant celui de la pièce la plus aboutie du volume, n’est pas celui de l’auteur à qui la mort n’a pas laissé le temps de donner la touche finale à son texte. C’est le choix d’Elias Khoury, qui a donné les textes à l’éditeur (un peu plus de 150 pages, une trentaine de pièces) et qui a accompagné la publication d’un petit opuscule d’une trentaine de pages dans lequel il explique aux lecteurs les conditions qui ont permis que soient retrouvés ces textes.

Les problèmes ont commencé lorsqu’un certain nombre de poètes – Shoukri Bazzi (شوقي بزيع) dans Al-Hayat, Muhammad Shams Al-din (محمد علي شمس الدين ) dans le Safîr entre autres – ont fait part de leur étonnement en découvrant dans le texte plus d’une faute, notamment au niveau de la prosodie.

En effet, si une partie importante de la poésie arabe contemporaine relève aujourd’hui de ce qu’on appelle en français le vers libre, Mahmoud Darwich pratiquait quant à lui le « poème cadencé », c’est-à-dire cette écriture poétique qui s’est diffusée dans le monde arabe avec l’école irakienne des années 1950 et qui, tout en se libérant de nombre des conventions poétiques de l’âge classique, n’en conserve pas moins une part important de ses règles rythmiques fondées sur une alternance codifiée de séquences brèves et longues.

Pour certains, c’est bien mal servir la mémoire du poète disparu que de publier un recueil aussi fautif. Et la critique s’adresse donc à ceux qui sont à l’origine de la publication, à commencer par celui qui en a publiquement endossé la responsabilité en accompagnant les poèmes de son propre texte, à savoir Elias Khoury. Lequel n’est sans doute pas étranger à un plaidoyer que publie alors Al-Hayat où il est affirmé, à grand renfort d’interprétations savantes – rendues possibles par le fait que le système graphique de l’arabe autorise plusieurs lectures – que « Mahmoud Darwich ne se trompait pas ! » [sur les questions de prosodie en tout cas...]

Sans doute, mais le texte n’en est pas moins bourré de fautes, répond ironiquement Shoukri Bazzi à celle qui a eu la maladresse d’indiquer dans son article qu’elle a eu accès au texte original. Car tel est bien le problème pour Riyad El-Rayyes (رياض الريس), une des parties potentiellement « responsables » des erreurs qui entachent la réputation du poète palestinien. Dans une tribune publique, reprise par plusieurs quotidiens, le responsable de cette très grande maison d’édition rappelle que Darwich corrigeait attentivement les épreuves qu’il lui soumettait, et qu’il travaillait à partir du texte original fourni par l’auteur. Or, malgré ses demandes réitérées auprès d’Elias Khoury, il ne lui a pas été possible d’obtenir copie de ce texte original et il a donc dû se contenter d’une version électronique, publiée telle quelle. Quant au texte d’Elias Khoury, Rayyes explique qu’il lui a fallu batailler ferme pour qu’il soit imprimé à part, et non pas sous forme de préface ou de postface au recueil, ce qui ne s’était jamais produit du vivant de Darwich. Enfin, Rayyes regrette publiquement que le « comité des amis » ait confié l’édition de ce volume à quelqu’un qui a fini par se l’accaparer, et affirme envisager une nouvelle publication du volume, corrigé, et cette fois sans le commentaire d’Elias Khoury, bien entendu !

Bien entendu, ce que recouvre en réalité cette polémique, c’est la question (trop classique) de l’héritage non pas esthétique mais moral et politique de Mahmoud Darwich. Et ce qui est reproché à Elias Khoury, c’est d’avoir tenté de s’approprier symboliquement l’héritage littéraire de cette très grande figure des lettres arabes, ou pour le moins d’avoir donné l’impression de vouloir le faire.

Triste feuilleton du petit monde des lettres, qui n’est pas vraiment à la hauteur de la mémoire de ce très grand poète et qui révèle surtout combien le monde arabe est à la recherche de figures dans lesquelles il puisse se reconnaître.

Une polémique qui risque de se répéter dans quelques mois, lors du prochain ramadan, si, comme annoncé dans la presse dès novembre dernier, Faris Ibrahim mène son projet jusqu’à son terme. Spécialiste des séries télévisées construites autour de la biographie de célébrités culturelles arabes (les chanteuses Oum Kalthoum et Esmahane, le poète Nizar Qabbani), le producteur et acteur syrien a en effet en projet une version télévisée de la vie de celui qui a incarné l’affirmation palestinienne. Le tournage n’a pas commencé que déjà, sur Facebook, on se mobilise contre un tel projet.

L’héritage de Mahmoud Darwich risque fort de tourner au mauvais feuilleton…

Reste le souvenir de cette icône de la poésie arabe moderne, que l’on voit sur cette vidéo éclater en sanglots lors d’une lecture publique à Tunis, au souvenir de ceux qui ont donné leur vie pour une cause à qui manque cruellement cette voix.


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