Hier soir, après de longues hésitations et des menaces maintes fois formulées par mail, forums, commentaires, j’ai pris la décision de me venger des avanies intellectuelles, de la désinformation et de l’infâme brouet doctrinal que nous sert quotidiennement le Monde, et que par un atavisme datant de l’adolescence, je continue habituellement à avaler, si révoltant soit-il.
Mais par une expérience mentale surprenante, on découvre qu’il y a parfois des limites qui s’imposent d’elles-mêmes, sans crier gare et sans qu’on puisse les repousser. Le dernier article consacré au mouvement universitaire était celui de trop.
Le mouvement de mobilisation universitaire a déjà lancé les représailles en élaborant une « charte de bonne conduite vis à vis du journal le Monde« , discuté et expliqué sur le site SLRU, et que je reproduis ici:
- Ne jamais acheter d’exemplaire papier d’une production provenant du quotidien Le Monde ;
- Se désabonner de tout service payant, papier ou numérique, du quotidien ;
- En cas de passage sur le site web ne jamais cliquer sur les liens commerciaux ;
- Se désabonner de sa lettre de diffusion gratuite pour réduire l’argument commercial du nombre d’abonnés à cette lettre ;
- Eviter de visiter le site web, afin de faire chuter les statistiques de visites dont dépend en partie la valeur des encarts publicitaires sur le site.
- Ne pas diffuser sur les blogs, les forums et les listes de diffusion ou de discussions des liens hypertextes ou d’adresses d’URL conduisant au site web (rediffuser, si nécessaire, les articles par copier-coller intégral mais sans liens ou adresses) ;
- Ne dupliquer aucun article provenant du quotidien Le Monde dans les instruments pédagogiques ; éviter de conseiller ces références aux élèves et étudiants.
- Eviter de citer les articles du quotidien Le Monde en références bibliographiques dans les travaux de recherche ;
- Multiplier les analyses sociologiques critiques des choix d’agenda, de cadrage et de couverture qui fassent apparaître la partialité du journal. A défaut, lire par exemple celles de l’observatoire des médias Acrimed : http://www.acrimed.org/article3102.html
- Corriger systématiquement, dans les écrits et les paroles, cette croyances encore présente sur la page de Wikipedia (« D’une façon générale, sa ligne éditoriale lorgne plutôt vers le centre-gauche ») en expliquant que cette impression provient d’un léger strabisme mais que la ligne aujourd’hui regarde franchement à droite.
- En raison des risques de confusion liés à ce strabisme, rechercher les sources ou les exemples de positions conservatrices ou réactionnaires, lorsque cela est nécessaire pour une analyse, une illustration ou une présentation contradictoire, plutôt dans Le Figaro (qui ne trompe personne) que dans Le Monde.
- Eviter d’envoyer des propositions de tribunes pleines de raison, d’humanisme et de bon sens à ce journal; essayer d’abord dans les autres quotidiens.
- Soutenir systématiquement les quotidiens Libération, Médiapart, Rue89, L’Humanité; acheter ces journaux; s’y abonner; s’abonner à leurs lettres de diffusion gratuite; visiter fréquemment leurs sites web; cliquer le plus souvent possible sur les encarts publicitaires; rediffuser sur les listes des diffusion/discussion leurs articles avec les liens pointant vers leurs sites; insérer systématiquement des liens hypertextes dans les blogs en direction de ces journaux; multiplier leur présentation aux élèves et étudiants et les faire travailler sur ces articles; multiplier les références bibliographiques à ces journaux; etc…
À cette pétition, L. Greislamer a répondu un communiqué larmoyant, également lisible sur SLRU, où il conclut qu’il faut laisser Le Monde tranquille, lui qui a déjà tant à faire pour parer les coups qui lui sont portés. Par qui? On ne le saura pas. Le Monde est évidemment une victime totale, absolue, exemplaire, un fanal de l’esprit humain qui lutte seul, contre vents et marées, pour maintenir son indépendance et informer le citoyen au péril de son cours boursier.
Hélas, la réponse ne convainc pas. Tout au plus fait-elle comprendre que, si les protestations, les commentaires, les mails adressés au conciliateur n’aboutissent jamais à rien, Le Monde reste sensible à la trouille – au demeurant bien légitime – de voir son lectorat habituel lui claquer le porte-monnaie au nez.
Évidemment, on opposera que la mort du Monde, aussi biaisée que soit sa ligne éditoriale, n’arrangerait rien à l’état du débat public dans la France sarkozyste. Et on n’aurait pas tort.
Mais faut-il pour cela tolérer qu’un journal utilise sa réputation de sérieux et d’objectivité pour diffuser non pas une information ou une position politique clairement marquée, mais une idéologie masquée? Pour présenter comme une enquête un papier qui n’obtiendrait même pas la moyenne s’il était rédigé par un étudiant de première année à l’EFJ? Faut-il accepter comme une fatalité l’état de la presse française et renoncer à la faire évoluer au simple prétexte qu’elle se porterait déjà mal?
Car M. Greislamer peut bien continuer à protester: Le Monde, selon un processus fort répandu dans notre beau pays dès qu’il s’agit d’institutions « prestigieuses », vit et survit grâce à son propre mythe. Celui d’un journal de gauche, qui serait alimenté par des enquêtes sérieuses et sévèrement contrôlées par le regard critique de journalistes hautement compétents.
Soyons sérieux…
Agissons pour que Greislamer ramène son journal dans la voie de l’objectivité.
Quand les articles sur le mouvement universitaire (et sur la réforme judiciaire, les expulsions de sans-papiers etc.) pourront être considérés comme le résultat d’enquêtes objectives, ou, à tout le moins, exposeront leur point de vue orienté en le signalant explicitement au lieu de le présenter comme une vision équilibrée des choses; quand Le Monde ne fera plus passer pour du journalisme la reproduction servile du point de vue des puissants; quand Le Monde acceptera de diffuser des points de vue qui contredisent sa vision des choses sur ce point, alors l’atmosphère pourra se détendre un peu.
Bref, ma décision était prise. J’allais boycotter Le Monde! Plus un sou pour payer le salaire de Catherine Rollot et des grouillots qui l’accompagnent!
Mais il a bien fallu me rendre à l’évidence: la chose n’était pas vraiment possible.
Tout d’abord, je ne peux tout simplement pas mettre en œuvre le point n°1. Me priver du Monde diplomatique confinerait au masochisme.
Ensuite, je dois reconnaître que l’envie de vengeance qui me tenaille m’avait déjà saisi il y a très exactement 17 mois, à propos d’une sortie journalistique dont j’ai perdu le souvenir aujourd’hui, mais qui m’avait mis dans un état de rage indescriptible. Il y a 17 mois de cela, j’avais donc écrit un long mail d’explication à la rédaction… et avais purement et simplement résilié mon abonnement. Sans réaction de la part du Monde, bien sûr…
Que faire, alors? L’espace d’un instant, j’ai songé à me réabonner pour me désabonner. Un peu vain quand même… À ne plus lire Le Monde du tout. Comment faire?…
Bref, la situation est typique: j’exècre le Monde, et j’ai du mal à m’en passer. Je ne dois pas être le seul.
La seule solution est donc, dans mon cas, de continuer comme avant: ne plus financer les activités du Monde lui-même, le lire de façon critique, réagir par le biais de ce blog quand les dérives me sont insupportables.
À moins que… À moins que nous soyons un certain nombre à acheter des actions de la Société du Monde, et que nous nous rendions en délégation aux AG d’actionnaires pour y un flanquer un barnum monstre!
Des candidats?