Consommation et modes de vie en France. Un ouvrage de Nicolas Herpin et Daniel Verger, La Découverte, coll. "Grands Repères", 2008
La bicyclette symbole de l'évolution des modes de vie en France depuis un siècle ?
Moyen de transport bon marché, elle se popularise durant l'entre-deux-guerres, les photographies des premiers congés payés l'attestent parfaitement. Durant les
années 1960 elle est progressivement concurrencée par les engins motorisés. La société de consommation et ses espaces commerciaux périphériques rendent la voiture indispensable. Depuis quelques
années enfin, la bicyclette regagne une place croissante en ville, ses avantages sont reconsidérés. Moins chère que les transports communs, parfois plus rapide, plus respectueuse de
l'environnement, bénéfique pour la santé, elle correspond à un nouveau mode de vie urbain, à de nouvelles attentes, un nouvel engouement. Cet exemple qui peut sembler anodin à certains, nous
semble néanmoins heuristique pour comprendre l'évolution diachronique des modes de vie d'une société.
Cet ouvrage de Nicolas Herpin et Daniel Verger qui fête ses vingt ans, refondu et actualisé dans la présente édition, réussit à éclairer des évolutions macrosociales en les articulant en permanence à des situations précises. Cette approche nous semble nécessaire, le seul regard lointain cherchant à identifier les grandes évolutions en matière de consommation ne peut se suffire à lui même. Les auteurs proposent de décrypter ainsi les principaux postes de la consommation des ménages identifiés par la Comptabilité nationale que sont l'alimentation, l'habillement et le soins cosmétiques, le logement, les transports, les loisirs, et la santé. Ce faisant, ils croisent systématiquement les angles d'approche (notamment à l'aide des petits encarts bien connus dans cette collection) ce qui rend leur travail beaucoup plus complet tout en restant accessible à un large public.
Les données disponibles sur la question sont conséquentes et régulières depuis un demi-siècle. L'INSEE avec ses enquêtes « Budget de famille » et les statistiques de la Comptabilité nationale mises à jour année par année depuis 1959, sont les deux principales sources statistiques. Des sources complémentaires établies par les différents ministères de la Santé, de la Culture ou des Transports sont mobilisées.
Les deux premiers chapitres sont consacrés à la présentation du cadre d'observation des dépenses ainsi qu'à l'analyse des grandes tendances concernant les modes de vie des Français. Les auteurs reviennent sur la naissance des enquêtes réalisées sur les dépenses des ménages pauvres à la fin du XVIIIème siècle. Ces travaux trouvent au XIXème siècle un contexte favorable à leur extension. L'agitation des classes laborieuses, les relais politiques de ces dernières et l'action des hygiénistes mobilisent un nombre croissant d'acteurs autour de ces enquêtes. Une des questions récurrente est celle de la méthodologie de la collecte des données, celle-ci conditionnant directement les conclusions des experts. Aujourd'hui encore les auteurs rappellent que la définition de la consommation, notamment de la consommation effective qui prend en compte les dépenses des administrations publiques individualisables (santé, éducation, logement, et culture) mais pas la production domestique, conditionne l'appréciation du niveau de vie des ménages. Les normes de mesure de la Comptabilité sont également abordées. On apprendra ainsi très sérieusement que la première pose de moquette dans son logement est considérée comme de la FBCF (de l'investissement) alors que la seconde sera une consommation !
Un article du Monde.fr daté du 28 janvier 2009 annonce que pour la première fois depuis trente ans la consommation des ménages réalisée dans les grandes surfaces a diminué par rapport à l'année précédente[1]. Cette baisse s'est cependant reportée sur les maxidiscounts. Le présent ouvrage indique que sur la période allant de 1960 à 2006, l'année 1993 a connu une très légère baisse de la consommation des ménages par rapport à l'année 1992. Le lien entre croissance du PIB et consommation est difficile à appréhender car il existe une certaine inertie des comportements de consommation aux variations du PIB, de même le mode de vie, à travers le taux d'épargne jouant le rôle d'amortisseur des fluctuations du PIB, agit directement sur les dépenses des ménages.
Concernant les postes de consommation, l'alimentation est celui qui a connu la plus forte baisse dans la structure des dépenses des ménages, passant de plus de 31 % en 1960 à moins de 16 % en 2006. Ce constat conforme à la première loi d'Engel ne dit cependant rien des profonds changements structurels de ce poste. On constate tout d'abord un rapprochement des comportements alimentaires des groupes sociaux. Les disparités concernant la part du budget des ménages ouvriers et des cadres supérieurs et professions intellectuelles supérieures sont passées d'un écart de 11 points en 1979 à 4 points en 2006. Les produits de la nature, notamment les produits de la mer directement distribués après la pêche sont en forte baisse, notamment en raison de l'augmentation de leur prix. La vaste gamme des produits lactés est, quant à elle, en très forte hausse depuis 1980. Le constat est identique pour les plats préparés, les légumes congelés, en conserve et déshydratés. Logiquement le temps consacré à la préparation des repas a diminué d'un tiers depuis quinze ans, la baisse du temps consacré par les femmes n'a pas été compensée par une augmentation de la part des hommes. L'obésité connaît une évolution remarquable. Dans l'enquête Inca, la prévalence « surpoids-obésité » chez les 3 à 14 ans est de 6,5 % chez les enfants de cadres et professions libérales contre 19 % parmi les enfants d'ouvriers, agriculteurs, artisans, et commerçants. Cependant le facteur « obésité » reste difficile à isoler d'autres éléments tels que le tabagisme, l'alcoolisme ou la sédentarité. Etre en bonne santé ne peut s'appréhender avec un seul chiffre de l'indice de masse corporelle.
Le poste logement a connu une hausse permanente dans le budget des ménages depuis 1960, il représente aujourd'hui plus de 25 % des dépenses des ménages. La composante « meubles et électroménager » connaît par contre une diminution de sa part, le taux d'équipement des ménages étant souvent arrivé à saturation.
La part des propriétaires a progressé de 42 % en 1963 à 54 % 1988, puis elle s'est stabilisée. Les maisons individuelles sont plus nombreuses, depuis 1975 les deux tiers des constructions nouvelles sont des maisons individuelles. Ce constat s'accorde avec le mouvement de périurbanisation à l'oeuvre depuis une trentaine d'années. Ainsi, en 2004, 73 % des salariés quittent leur commune de résidence pour se rendre à leur travail.
Globalement la mobilité des personnes s'est accrue. En 1982 un individu parcourt en moyenne 18 kilomètres par jour et 23 en 1995, pour une durée identique de 55 minutes. La dépense relative des ménages pour les transports est cependant restée stable, représentant en 2006, 12,5 % du budget moyen. Les déplacements de loisirs sont en forte progression. De 1982 à 1992 ils ont augmenté de 78 %.
En 2006, 83 % des transports métropolitains se font dans une voiture particulière, ce qui correspond également au taux d'équipement des ménages en voitures. Ce taux s'est fortement accru rapidement entre 1950 et 1970, puis moins fortement après cette période, cependant le parc automobile a plus que doublé de 1973 à 1994. Cette expansion est le fait des personnes âgées et des femmes, qui sont de plus en plus nombreux à avoir leur permis de conduire depuis les années 1980. En 2005, presque les deux tiers des voitures achetées par des particuliers l'étaient par des personnes de plus de 50 ans.
Le poste « loisirs, culture communication » représente une part importante de la consommation effective des ménages, 18,1 % en 2006, supérieure à celle de l'alimentation. Cela s'explique sur le temps long par la diminution régulière du temps de travail et l'allongement de la scolarité. Néanmoins, la « révolution culturelle » chère à Joffre Dumazedier n'est pas irréversible. Ainsi, depuis les années 1990 la durée des loisirs des actifs occupés n'a plus augmenté. A la même époque, le temps de travail des cadres est devenu supérieur à celui des ouvriers. Le même constat est fait pour d'autres pays européens.
Alors que dans l'enquête « pratiques culturelles » de 1989 la catégorie « spectacle de rue » n'existait pas, elle a été introduite en 1997 et elle est la plus citée parmi les spectacles vivants. Ces spectacles quasi-gratuits, dont le financement repose sur les collectivités locales, emportent l'engouement des habitants locaux et des touristes, de même que celui des acteurs politiques et économiques des municipalités qui y voient un moyen d'attirer un plus grand nombre de touristes et potentiels consommateurs.
Les soins de santé ont fortement progressé depuis 1960. Leur financement est assuré pour 77 % par la Sécurité Sociale, 7 % pour les mutuelles, et 15 % pour les ménages. Les écarts d'espérance de vie entre cadres et ouvriers notamment, sont restés conséquents. L'enquête SUMER (surveillance médicale des risques professionnels) réalisée en 1994 et 2003 auprès de 50 000 salariés constate la forte dégradation des conditions de travail des ouvriers. L'usage de machine et d'outils vibrants ne cesse de s'accroître, de même que celui des produits chimiques. Les ouvriers du bâtiment, de l'industrie et de l'agriculture sont les plus concernés par cette dégradation.
Les raisons de l'augmentation de dépenses de santé sont présentes à différents niveaux, structurels avec le vieillissement de la population, et l'évolution des normes et demandes de soins, internes suite au progrès technologiques dont les coûts sont de plus en plus lourds. Les pouvoirs publics ont cherché à freiner ces dépenses. Ainsi, les hôpitaux et les cliniques conventionnées ne sont plus financées sur la base de « prix de journée » mais reçoivent une dotation globale de fonctionnement depuis 1984. La tarification à l'acte est une autre forme de limitation des dépenses des hôpitaux.
Concernant les médicaments génériques, malgré des conventions signées avec les médecins et les pharmaciens, leur part de marché reste faible, de l'ordre de 9 % en 2006. Il ressort que lorsque le médecin a le choix entre le médicament générique et le princeps, il prescrit le générique dans « un peu plus d'un tiers des cas »[2].
Le dernier chapitre de l'ouvrage propose d'ouvrir l'analyse de la consommation en prenant en compte ses dernières évolutions. La thématique de l'environnement est abordée, mais les répercussions sur la consommation restent encore mal cernées. L'exemple des biocarburants est illustratif. Ses avantages ne sont réels qu'à la condition de ne pas prendre en compte l'impact des cultures et de leur transformation sur l'environnement des pays producteurs. De même, sans modifier les prix, on peut se demander si l'étiquetage des produits sur les émissions de gaz à effet de serre rejetés par leur production pourra avoir l'impact attendu.
Les nouvelles technologies sont également abordées, cependant on aurait souhaité une réflexion plus prospective quant à leur enjeux et impacts sur nos modes de vie. Mais comprendre le présent, et parfois anticiper l'avenir, nécessite de connaître le passé, une tâche que remplit cet ouvrage synthétique.
Benoit
[1] « Une première depuis trente ans : les Français achètent moins en grande surface » Le Monde.fr 28.01.09
http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/01/28/une-premiere-depuis-trente-ans-les-francais-achetent-moins-en-grande-surface_1147607_0.html
[2] Lemorton C., « La prescription, la consommation et la fiscalité des médicaments », Rapport d'information, n° 848, Assemblée nationale, 2008