Magazine Humeur

Question de constitutionnalité de l’article 61-1 Constit.: adoption par le conseil des ministres du projet de loi organique

Publié le 09 avril 2009 par Combatsdh

Par communiqué (merci aux commentateurs vigilants de CPDH), on apprend que le conseil des ministres a examiné ce mercredi 9 avril le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution. On se rappelle que, comme l’avait rappelé le Conseil d’Etat (CE, Sect. 11 décembre 2008, ADEFDROMIL voir ce billet et celui-là), l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure d’exception d’inconstitutionnalité est conditionnée au préalable à l’entrée en vigueur d’une loi organique par en définir les modalités comme le prévoit l’article 46-I de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Sur proposition des commissions “Vedel” et “Balladur”, le nouvel article 61-1 de la Constitution prévoit:

Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article”.

constitution.1239283916.jpg

A la lecture de cette disposition et du projet de loi organique, quelles seront précisément les modalités de la future procédure d’exception d’inconstitutionnalité tant attendue (qui devrait enfin permettre de surmonter - ou plutôt contourner - l’arrêt du Conseil d’Etat de 1936 Arrighi) ?

Remarque préliminaire : la loi organique modifierait  l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

marianne_ancienne.1239283961.gif

1. Devant quelles juridictions et suivant quelles modalités soulever le moyen d’inconstitutionnalité de la loi?

  • Devant n’importe quelle juridiction administrative (TA, CAA, Conseil d’Etat, juridictions administratives spécialisées comme la CRR, les CCAS, les sections disciplinaires des ordres professionnelles, etc. etc.) ou juridictions judiciaires (civiles, sociales, pénales - avec des aménagements, etc.), dès lors qu’elles relèvent du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, il sera possible de soulever le “moyen” d’inconstitutionnalité de la loi au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis.

NB: il manque pourtant une juridiction - et non des moindres -, celle-là même qui a encore un “commissaire du gouvernement” alors qu’ailleurs on affuble du mal-nommé “rapporteurs public”: le tribunal des conflits.

Dans les propositions de la commission Balladur, était envisagée la juridiction ne relevant “d’aucun des deux ordres” mais le constituant n’a souhaité maintenir la possibilité de soulever une exception d’inconstitutionnalité devant le TC. Au demeurant, il est toujours possible de la soulever devant le juge finalement compétent.

  • Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en appel (Cour d’appel, Cours administratives d’appel, juridictions administratives spécialisée du second degré comme la Commission centrale d’aide sociale).

Il peut être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation ou devant le Conseil d’Etat aussi bien en sa qualité de juge de premier et dernier ressort, d’appel ou de cassation.

NB : Des aménagements sont prévus pour les juridictions pénales (le moyen ne peut être soulevé devant la cour d’Assises).

  • Pour soulever l’exception d’inconstitutionnalité il faut pour que la requête soit recevable nécessairement présenter le moyen “dans un écrit distinct et motivé.

Autrement dit, il faut nettement distinguer le grief d’inconstitutionnalité de la loi afin qu’il ne soit pas “noyer” au milieu de dizaines d’autres moyens.

Devant les juridictions judiciaires, l’affaire est communiquée au ministère public - s’il n’est pas partie à l’instance - afin qu’il puisse faire connaître son avis sur le moyen.

Dans le cadre d’une instruction pénale, la juridiction d’instruction du second degré est saisie du moyen.

Devant une cour d’assises, le moyen ne peut être soulevé au cours du procès. Mais en cas d’appel d’une décision de premier ressort, il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration d’appel - qui est immédiatement transmis à la Cour de cassation.

  • Le moyen n’est pas d’ordre public. Il n’est donc pas soulevé d’office par le juge.

NB: Le Conseil d’Etat adopte la même position s’agissant de la violation des conventions internationales.

C’est dommageable car on a du mal à comprendre comment la violation par le législateur de droits et libertés garantis par la norme suprême ne constitue pas un moyen suffisamment impérieux pour ne pas devoir faire l’objet d’un moyen soulevé d’office.

2. Procédure de transmission à une juridiction suprême d’un des deux ordres de la question de constitutionnalité:

  • Conditions la transmission :

La question de constitutionnalité est transmise au Conseil d’État ou à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

1°) La disposition légale contestée commande l’issue du litige ou la validité de la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2°) elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs etle dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstance.

Cette condition est importante. Depuis 1971, de nombreuses dispositions de textes légaux ont été déférées au Conseil constitutionnel. Il n’a parfois pas examiné l’ensemble des griefs possibles mais a pris l’habitude d’émettre soit des réserves d’interprétation (souvent dans les motifs mais aussi parfois dans le dispositif cf. déc 10-11 octobre 1984 Entreprise de presse) mais surtout il a développé une technique du “considérant-balai” affirmant “qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever aucune (autre) question de conformité à la Constitution”.
Il s’agit donc là d’un quitus - pas toujours très satisfaisant (voir par exemple, la loi “Hortefeux” de novembre 2007 qui contenait manifestement d’autres inconstitutionnalités mais qui n’ont pas été déférées par l’opposition au Conseil constitutionnel. Compte tenu du “considérant balai” et du dispositif, les particuliers ne pourront plus soulever l’exception d’inconstitutionnalité contre cette loi).

La seule exception est le “changement de circonstances” - qu’il faudra établir (on reconnaît là de nouveau la “patte” du Conseil d’Etat - cf. CE 10 janvier 1930 Despujol).

3°) La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Là aussi on retrouve une notion habituelle en contentieux administratif (doute sérieux sur la légalité, moyens sérieux, etc.).

Examen prioritaire de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution sur ceux garantis par les conventions internationales

Normes suprême oblige (CE 1998 Sarran, Cass 1999 Fraisse), le grief d’inconstitutionnalité de la loi est examiné prioritairement au grief d’inconventionalité lorsque dans le moyen soulevé ou les requêtes et mémoires il est, en même temps, développé une atteinte aux droits et libertés garantis par les engagements internationaux de la France (CEDH, pactes et conventions des nations unies, principes généraux du droit communautaire).

Réserve est néanmoins aux “exigences résultant de l’article 88-1 de la Constitution”. En décodé, cela signifie sous réserve notamment des questions de transposition de dispositions “inconditionnelles et précises” de directives par la loi puisque dans ce cas, le Conseil constitutionnel (2004 LCEN; 2006 DADVSI) et le Conseil d’Etat (2007, Arcelor-Atlantique) ont prévu un mécanisme permettant de recourir aux règles et principes généraux du droit communautaire inspirés de la tradition constitutionnelle commune des Etats membres et des engagements internationaux des Etats membres en matière de protection des droits de l’homme garantissant l’effectivité du principe ou de la régle constitutionnel (par renvoi préjudiciel pour le CE; sauf pour les dispositions  “manifestement incompatibles” par le Conseil constitutionnel) et sous réserve de la réserve de constitutionnalité (ou pour le Conseil constitutionnel des “règles et principes inhérents à l’identité constitutionnelle de la France”) [désolé, c’est compliqué].

  • Délais de transmission

La question est adressée au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé par la juridiction “avec les mémoires ou les conclusions des parties”.

Elle n’est susceptible d’aucun recours (décision juridictionnelle).

Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu’à l’occasion d’un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige.

  • Sursis à statuer

Comme pour une question préjudicielle, la juridiction saisie du grief qui décide de transmettre la question sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi par ces derniers, du Conseil constitutionnel.

Néanmoins, le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

Il n’est pas sursis à statuer lorsqu’une personne est privée de liberté à raison de l’instance, ni lorsque l’instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté - l’exception d’inconstitutionnalité ne doit pas être un procédé pour obtenir une libération dans l’attente de la décision.

Etrangement, la juridiction peut également “statuer sans attendre la décision relative à la question de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu’elle statue dans un délai déterminé ou en urgence”.

Autrement dit, si le grief est soulevé devant le juge administratif de la reconduite à la frontière ou le juge des libertés et de la détention dans le cadre d’une mesure d’éloignement ou de rétention d’un irrégulier,le juge statue sans attendre la réponse à la question…

La réponse sera donc dénuée d’intérêt pour le requérant. en cas de déclaration d’inconstitutionnalité de la part du juge constitutionnel en réponse à la question posée cette solution est pour le moins critiquable!

Il est néanmoins précisé que si la juridiction de première instance statue sans attendre et s’il est formé appel de sa décision, la juridiction d’appel sursoit à statuer à moins qu’elle ne soit elle-même tenue - elle-aussi - de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence (comme de nouveau la cour d’appel en matière de rétention administrative, par exemple).

En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

Enfin, si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation ou, s’il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute décision sur le pourvoi tant qu’il n’a pas été statué sur la question de constitutionnalité.

Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.

3. Examen de la question de constitutionnalité devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation

  • Délais:

Dans les trois mois à compter de la réception de la transmission, la haute juridiction doit s’être prononcé sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité.

 

  • Conditions :

Le renvoie est prononcé si les conditions sus-citées sont remplies et que la disposition contestée soulève une “question nouvelle” ou “présente une difficulté sérieuse” (là aussi on sent la “patte” du Conseil d’Etat puisque la formulation s’inspire manifestement des avis sur une question de droit de la loi du 31 décembre 1987 au sein des juridictions administratives - L.113-1 CJA).

  • Procédure et forme.

Au sein de la Cour de cassation, le premier président est destinataire des transmissions. Il en avise immédiatement le procureur général.

L’arrêt de la Cour de cassation est rendu par une formation présidée par le premier président et composée des présidents des chambres et de deux conseillers appartenant à chaque chambre spécialement concernée.

Toutefois, le premier président peut, si la solution lui paraît s’imposer, renvoyer la question devant une formation présidée par lui-même et composée du président de la chambre spécialement concernée et d’un conseiller de cette chambre.

La décision est communiquée à la juridiction qui a transmis la question de constitutionnalité et notifiée aux parties.Evidemment si le moyen est soulevé pour la première fois devant le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, ces juridictions posent directement la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel dans les mêmes conditions mais sans la procédure de transmission préalable.

Elles sursoient à statuer jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel se soit prononcé. Il en va autrement quand l’intéressé est privé de liberté à raison de l’instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.

Si le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation est tenu de se prononcer en urgence, il peut n’être pas sursis à statuer.

 4. Le règlement de la question de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel

  • Saisine :

La décision du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel lui est transmise avec les mémoires ou les conclusions des parties. Le Conseil constitutionnel reçoit une copie de la décision par laquelle le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation décide de ne pas le saisir d’une question de constitutionnalité.

  • Informations:

Dès réception, le Conseil constitutionnel avise immédiatement le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Ceux-ci peuvent adresser au Conseil leurs observations sur la question de constitutionnalité qui lui est soumise.

Rien n’est mentionné sur les éventuelles “portes étroites” et amicus curiae.

  • Délais:

Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine.

Les parties sont mises à même de présenter contradictoirement leurs observations.

L’audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel.

  • Aide juridictionnelle

Lorsqu’une question de constitutionnalité a été transmise au Conseil constitutionnel, la contribution de l’Etat à la rétribution des auxiliaires de justice qui prêtent leur concours au titre de l’aide juridictionnelle est majorée selon des modalités fixées par voie réglementaire.

  • Décision:

La décision du Conseil constitutionnel est motivée. Elle est notifiée aux parties et communiquée soit au Conseil d’Etat, soit à la Cour de cassation ainsi que, le cas échéant, à la juridiction devant laquelle la question de constitutionnalité a été soulevée.

Le Conseil constitutionnel notifie également sa décision au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

La décision du Conseil constitutionnel est publiée au Journal officiel.

Il n’est pas dit le nom que la décision revétira: déclaration de conformité? avis sur une question de constitutionnalité?


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Combatsdh 295 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte