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Les bandes de jeunes - Laurent Mucchielli : " Il faut revenir à l'analyse des causes de la délinquance"

Publié le 10 avril 2009 par Jarousseau
Lors d'une visite au commissariat de Gagny (Seine-Saint-Denis), le 18 mars dernier, Nicolas Sarkozy a annoncé de nouvelles mesures contre les bandes. La participation à une bande "en connaissance de cause" ou à un groupement, "même formé de façon temporaire", afin de porter atteinte à des personnes ou à "certains" biens sera punie de trois ans de prison. Un nouveau fichier sera en outre consacré aux violences urbaines et aux bandes.
Selon le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS et auteur, en collaboration, des Bandes de jeunes (2007), de La Frénésie sécuritaire (2008) et d'une Histoire de l'homicide en Europe (2009), les mesures proposées ne répondent pas au problème. Je reproduis aujourd'hui cette interview parue dans l'édition du Monde du 25 mars. L'analyse de Laurent Mucchielli est très pertinente et met en relief l'échec total des politiques sécuritaires engagées par Nicolas Sarkozy.
Que pensez-vous de la nouvelle incrimination annoncée par Nicolas Sarkozy ?
Il existe déjà l'infraction d'association de malfaiteurs définie par l'article 450-1 du code pénal comme "tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes ou délits punis", et punie d'au moins cinq ans de prison. De même qu'il existe déjà une infraction d'intrusion dans les établissements scolaires depuis 1996.
Preuve que les faits divers récents n'ont rien de nouveau. Il existe aussi les circonstances aggravantes d'agir "en réunion" ou, pire, en "bande organisée". Sans parler de la fameuse infraction créée en 2003 par M. Sarkozy visant les regroupements dans les halls d'immeuble.
Je ne pense donc pas que le problème soit juridique ni qu'un fichier de plus changera les conditions du travail des policiers et des gendarmes - le système de traitement des infractions constatées (STIC) fichera bientôt 6 millions de personnes, soit près de 10 % de la population française.
La bonne question est plutôt : jusqu'à quand va-t-on entretenir l'illusion que l'on répond fondamentalement aux problèmes de délinquance en ajoutant des lignes dans le code pénal ? Ce dernier a été modifié à plus de 40 reprises depuis 2002. Les problèmes, eux, sont toujours là. Il faudra bien un jour admettre qu'à force de prétendre que les explications sont des excuses, on nous interdit de penser, on nous rend aveugles sur la société et on nous entraîne dans une impasse collective.
Il serait urgent de revenir à l'analyse des causes de la délinquance.
Quelles sont-elles selon vous ?
Cela dépend des phénomènes et des acteurs concernés. Nous parlons ici des groupes d'adolescents des quartiers populaires impliqués occasionnellement dans la délinquance. Les recherches montrent que, outre la proximité affective et géographique, le facteur-clé dans la constitution de ces groupes est l'échec scolaire.
La première des préventions est donc là. Quant à la sortie de la délinquance pour ces jeunes, elle est conditionnée par l'insertion sur le marché de l'emploi. Seul un travail assorti d'un vrai salaire permet en effet à un jeune d'accéder au logement et de s'installer en couple. Enfin, entre le début et la fin des problèmes, un travail social de grande ampleur, y compris dans les prises en charge judiciaires et une vraie police de proximité seraient de bons outils. Or rien de tout cela n'est à la hauteur des problèmes aujourd'hui.
Que sait-on des bandes que M. Sarkozy définit comme une "mosaïque de tribus" ?

Le chef de l'Etat utilisait déjà ce langage lorsqu'il était ministre de l'intérieur, notamment au moment des émeutes de 2005. Ce ne sont pourtant que des formules qui sont malheureuses, car elles ethnicisent les problèmes sociaux, et qui traduisent une méconnaissance du phénomène.
Du groupe de copains qui "tient les murs" le soir au bas des immeubles en fumant des joints jusqu'à la bande de braqueurs de banque, tout est appelé bandes et délinquance.
Le bon critère n'est pourtant ni le regroupement ni la commission d'infractions. Les véritables bandes délinquantes s'organisent autour d'une activité et d'une finalité délinquantes. En termes juridiques, ce sont donc des associations de malfaiteurs, qui relèvent du travail de la police judiciaire.
Beaucoup plus nombreux sont les groupes que l'on évoquait dans la question précédente, qui pratiquent à l'occasion de la délinquance mais n'ont pas de véritable organisation et dont la composition est fluctuante.
Pourquoi les bandes sont-elles devenues la grande peur de la société contemporaine ?

Les regroupements de jeunes ont toujours fait peur, ils ont la force du nombre et paraissent incontrôlables. Au début du XXe siècle, c'étaient les Apaches, dans les années 1960, les blousons noirs, puis les loubards et les zonards.
Aujourd'hui, ce sont les "jeunes des cités" qui ont la particularité d'avoir le plus souvent la peau colorée, ce qui renforce la peur du fait des caricatures qui tiennent généralement lieu d'analyse sur leurs "origines" et sur l'islam.
Mais si ces peurs persistent, c'est aussi à cause de certains politiques qui cherchent à exploiter les faits divers, et de certains journalistes qui s'y précipitent dans une logique sensationnaliste, comme ces derniers jours.
Propos recueillis par Anne Chemin

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