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Le blues des blouses blanches helvétiques

Publié le 10 avril 2009 par Francisrichard @francisrichard

Le blues des blouses blanches helvétiques Le 24 mars 2009 les médecins généralistes et leurs assistantes médicales ont fait grève et sont descendus dans la rue (photo ci-contre tirée de 24 Heures du 24.03.09 ici ). Ils étaient près de 2000 à défiler dans les rues de Lausanne et 3000 dans celles de Genève - il y a 550 cabinets de généralistes dans le canton de Vaud et 800 dans celui de Genève.
Ces manifestations sont une première en Suisse. Une répétition avant la journée du 1er avril où c'est au plan national que le mouvement s'est étendu. Au total 15'000 personnes auront défilé ce jour-là à travers tout le pays, dont 2'000 à Berne.

Dans le canton de Vaud, le 24 mars, une pétition de soutien aux médecins généralistes a recueilli - en trois semaines - 41'000  signatures et a été remise au Grand Conseil vaudois. Ce qui montre un soutien indéniable de la population à ses médecins. A Berne, le 1er avril, Pascal Couchepin, ministre de la santé n'a pas daigné recevoir lui-même la lettre de protestation des médecins qui lui était destinée, faisant dire par son porte-parole qu'il avait « trop de travail ».

Pourquoi une telle mobilisation ? Parce que Pascal Couchepin a décidé unilatéralement, sans écouter vraiment les arguments des intéressés, pour des raisons d'économies - 200 millions de francs par an -, de  baisser les tarifs de 4'000 analyses au 1er juillet prochain - 20 à 25% sur les analyses courantes - et que, singularité suisse, un grand nombre de médecins généralistes - les deux tiers à Genève par exemple - disposent d'un laboratoire d'analyses à leur cabinet.

Si ces laboratoires d'analyses en cabinet ne représentent qu'une source de revenus marginale pour les médecins, ils participent à la qualité des soins et représentent un grand nombre d'emplois d'assistantes médicales - 500 emplois dans le canton de Vaud, équivalents à 330 emplois à temps plein. La mesure prise par Pascal Couchepin sonnerait le glas de la plupart d'entre ces laboratoires de proximité, qui ne pourraient pas fonctionner à perte indéfiniment, et, en conséquence, se traduirait par la disparition de nombreux emplois d'assistantes médicales.

« Selon l'Union suisse de médecine de laboratoire, la disparition des labos de proximité provoquera au contraire [d'une économie] une explosion des coûts, estimée à plus d'un milliard de francs. » (24 heures du 23 mars 2009)

Les arguments avancés par les médecins sont à prendre en considération. Pouvoir faire des analyses immédiatement en cas d'urgence, sans temps d'attente, fait partie de la qualité des soins et représente un gain de temps et d'argent. La disparition des labos de proximité que sont les cabinets engendrera un surcoût non négligeable en déplacements des patients et en consultations supplémentaires et provoquera l'engorgement des grands laboratoires et des hôpitaux, du fait que 50% des analyses sont effectuées en cabinet médical.

Les médecins généralistes sont-ils à plaindre ? Oui et non.

Le revenu médian d'un médecin est de 177'000 francs dans le canton de Vaud et de 170'000 dans celui de Genève, ce qui représente, déduction faite des charges sociales, un revenu net de 130'000 et 120'000 francs respectivement. A titre de comparaison c'est ce que gagne un professeur de gymnase en seconde partie de carrière.

Le blues des blouses blanches helvétiques
Dans 24 Heures du 23 mars, à la veille de cette grève doublée de manifestations, Jean-Pierre Pavillon (photo ci-contre tirée du site de la SVM, Société vaudoise de médecine  ici ),  président des médecins vaudois, déclarait : « Dans quinze ans, nous ne serons pas en grève, mais à la retraite. Et si cette politique continue, il n'y aura pas de relève ». Le docteur Pavillon incrimine là une politique qui, en rendant la tâche du médecin généraliste moins attractive et plus contraignante, décourage les vocations.

« Plus de la moitié des généralistes du canton de Vaud ont plus de 55 ans » déclarait Pierre-Yves Maillard, ministre vaudois de la santé, à 24 Heures le 24 mars 2009 (ici ). Selon le conseiller d'Etat vaudois,  président de la Conférence cantonale des directeurs de la santé (voir L'Hebdo du 2 avril 2009),  pour augmenter le revenu des médecins généralistes, il conviendrait d'intervenir à trois niveaux :

« Berne y consacrerait une partie des 200 millions économisés sur les tarifs d'analyses ; les cantons y affecteraient les sommes qu'ils ne dépenseront pas dans l'extension des services d'urgence dans les hôpitaux ; enfin, la FMH [Foederatio Medicorum Helveticorum] modérerait les tarifs de certains spécialistes ».

Il faut savoir en effet que si, en 2005, les médecins généralistes - qui représentaient alors 35% des 10791 médecins - gagnaient  en moyenne 197'000 francs, par exemple les ophtalmologues - 4% des médecins - gagnaient en moyenne 334'000 francs, les gynécologues - 7% des médecins -  253'000 francs, les neurochirurgiens - 0,3% des médecins - 411'000 francs.

Toujours selon L'Hebdo (ici ) du 2 avril 2009, Pascal Couchepin aurait déclaré le 19 mars que l'Etat n'a pas à intervenir dans les revenus des médecins parce qu'ils sont « indépendants » et que c'était aux assureurs et aux médecins - la FMH en l'occurrence - de s'entendre pour réduire les disparités entre généralistes et spécialistes. Or la FMH considère justement que seules quelques  centaines de spécialistes gagnent beaucoup et que ce n'est pas en réduisant leurs revenus que ceux des généralistes seront revalorisés.

Quoiqu'il en soit, la remarque de Pascal Couchepin sur la fixation des revenus des médecins qui ne serait pas du ressort de l'Etat apparaît surréaliste quand on sait que l'Etat intervient dans tout le système de santé helvétique. En effet les primes d'assurance maladie obligatoire sont certes fixées par les compagnies, mais après approbation de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). Le même OFSP fixe les tarifs des actes médicaux (Tarmed) et le nombre de médecins qui peuvent exercer dans le pays. Il négocie avec l'industrie pharmaceutique l'introduction et le prix des médicaments mis sur le marché.

Autrement dit le marché de la santé, qui est un marché comme un autre, est entièrement contrôlé et réglementé par l'Etat. En favorisant les intérêts des uns au détriment des autres, et vice-versa, les décisions que prend l'Etat ne peuvent être qu'arbitraires et contraires aux droits des acteurs de ce marché que sont les patients, les médecins, les professionnels de la santé d'une manière générale, les industries pharmaceutiques et les assureurs.

Il est ainsi frappant de constater qu'en intervenant sur les prix de certaines prestations médicales, comme les analyses, l'Etat qui prétend tout savoir provoque en réalité des dégâts collatéraux. Dans cet ordre d'idées ne faudrait-il pas se demander si cette intervention omniprésente de l'Etat n'est pas à l'origine de la pénurie annoncée pour demain des médecins généralistes ?
Francis Richard  


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