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Au glacier de Passu avec Ayoub Khan

Publié le 15 avril 2009 par Argoul

Le ciel est clair ce matin à Gulmit, Pakistan - tout bleu ; le paysage est riant, à peine estompé de brume dans les lointains. Inutile de préciser que les glaciers étincellent, d’une lumière blanche à peine soutenable telle les égides des dieux grecs. Le petit-déjeuner est servi à l’intérieur, dans la salle commune qui fait très « gîte rural » français. Selon la tradition des alpinistes, nombreux à venir tenter l’escalade depuis l’étranger. La salle est ornée sur les murs d’un vieux fusil, d’un arc antique, et de divers trophées. Il y a là les cornes d’un yack d’un mètre d’envergure, la tête énorme d’un mouflon – appelé ici mouton de Marco Polo – et un léopard des neiges, mais seulement sous la forme d’un dessin. Le pain est « maison », comme la confiture d’abricots un peu caramélisée. Elisabeille préfère le miel. Quant à reine Marie-Claude, elle « prend des idées » de décor paysan pour sa bourgade agricole chalonnaise où elle n’a (elle l’a affirmé hier soir pince sans rire) « ni chauffage, ni eau courante ». Bien que prof de math, on est écologiste ou on ne l’est pas ! Mais je n’en crois rien.

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Nous partons en jeep pour l’approche du glacier de Passu, fort loin du gîte. Un guide local nous accompagne, un vieil édenté marrant qui parle un anglais qui roule. Passu est un massif-cathédrale avec ses contreforts, ses clochetons et son clocher aigu, triangulaire.

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Nous débutons la randonnée à pieds à 2643 mètres.

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Notre guide se nomme Ayoub Khan et est célèbre dans les milieux alpinistes. Il a participé dans sa jeunesse aux expéditions parties à l’assaut des 7000 mètres. « J’étais le plus rapide », nous dit-il gentiment. A l’époque, le tourisme n’existait pas, seulement des expéditions sportives. Il nous montre le paysage : « nous sommes sur l’un des chemins même de la Route de la Soie car, du temps des Anglais (il y a un siècle), un glacier barrait le reste de la vallée. » Silence religieux ; nous avons l’impression de fouler le chemin de l’histoire. Alentour, les pics se découpent en ocre, déchiquetés vers leur base suivant une logique fractale. Le ciel est toujours bleu et il fait très chaud car aucun courant d’air ne vient troubler la réverbération des rayons sur les roches. Ayoub Khan parle encore : « j’ai vaincu le Rakaposhi avec les alpinistes anglais en 1957. J’ai grimpé avec le français Mazeau le Nanga Parbat en 1982, par la face Diammer. J’ai monté le Mustabachi sans crampons, un plus de 7500 mètres, uniquement avec un bâton comme celui que je tiens à la main. » Il a un bâton adapté à sa taille : « c’est important qu’il soit aux dimensions propices. Pour le faire, il faut compter par poignées, comme font les petites filles en effeuillant les marguerites. On récite un dicton religieux. Il faut que la dernière poignée tombe sur « chance » ou « richesse ». Né en 1936, il nous raconte avoir commencé d’accompagner des expéditions à 21 ans. « Avant 1949, dit-il, les gens pouvaient arriver à pieds par la Chine » (les amateurs de contrepets, dont Marie-Claude, apprécient l’exploit). « Après, les maoïstes ont fermé la frontière. Depuis, il faut remplir beaucoup de papiers pour passer la frontière ! » Il a rencontré tout ce qui compte dans l’alpinisme mondial des années 60 à 80. « J’ai rencontré Reinhold Meissner, on m’a invité à grimper en Georgie aux États-Unis et en Cumbria au Royaume-Uni. »

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Aujourd’hui, le guide a voulu commencer « par la fin » du circuit de promenade. Nous terminerons aussi le pique-nique par la faim… Les « anciens » du groupent râlent : « trop de pauses ». Ce n’est pas bon pour leurs vieilles articulations rouillées, ni pour leur souffle court jamais entretenu. Ils sont comme ces diesels poussifs qui toussent avant de chauffer. Une fois fatigués, ou dans l’effort, « les vieux » sont comme des vaches qui aspirent à l’étable ; ils s’avancent, tête baissée, les yeux vers les cailloux, indifférents aux trains qui passent. Ils ruminent leur douleur et, en bons intellos, ils les commentent sans fin. Ils se montent la tête entre eux ; ils se persuadent de n’en plus pouvoir. Ces « moi je » ont oublié il y a longtemps les principes romains du stoïcisme et n’ont aucune idée du zen japonais. Leur ego et tout ce qui va avec, leur confort, leurs certitudes, leurs habitudes, est ce qui seul compte, sans égard pour le monde et pour les gens, pour les nuances des montagnes ou les plantes qui poussent (sauf celles qui se fument).

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La grimpée est longue. La beauté comme la vastitude se méritent ; n’y accèdent que ceux qui s’en sont montrés dignes par leur effort ou leur force d’âme. Cent mètres sous le sommet, nous laissons nos sacs à l’ombre d’un rocher pour grimper directement. La vue au sommet, à 3475 mètres, n’est guère différente d’en bas en ce qui concerne les alentours cernés de montagnes, mais elle donne une impression d’immensité due au vide qui nous entoure. La vallée cultivée est bien lointaine, tache de vert dans le brun sec qui entoure la rivière. Les sommets étincellent, lumineux et immuables.

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Nous mordons le pain savoureux agrémenté de Vache-qui-Rit à l’ombre du roc où les sacs étaient restés. Une salade de pâtes réhydratées tente la majorité mais elle fait bien synthétique dans un tel paysage et je n’en goûte pas. La descente est dure sous le cagnard. Nous passons près du glacier de Passu et pouvons observer ses séracs dressés comme une mer en furie immobile. Mais la journée se traîne ; cela fait neuf heures que nous marchons. Voilà longtemps que nous n’avons plus d’eau. Ayoub Khan va en chercher dans une flaque du glacier mais il est nécessaire d’attendre une heure l’action des pilules de désinfection. Lui n’en a cure et il boit directement l’eau glacée. Nous retrouvons la vallée par les abords du glacier, un chaos de roches bouleversé par le lourd mouvement de la glace. Nous croisons sur la fin un groupe de jeunes Pakistanais qui vont voir la glace. Ils sont minets, un peu frimeurs, nous interpellant en anglais et serrent toutes les mains. Polos à col en V, lunettes noires, chaînes d’or au cou, ils sont avides d’exister dans la modernité, bien loin des lubies médiévales des Talibans. Les jeeps nous attendent sur la piste avec des pommes et des abricots, tout à fait bienvenus.


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