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Les Impromptus Littéraires - feu d'artifices...

Par Sandy458
"Feu d'artifices"... voici le thème de la semaine à triturer...
On allume la mèche, on se met à l'abri et on lève les yeux pour profiter du spectacle...
Au fait, ça se passe chez les impromptus mais ça, vous vous en doutiez...


"Quetzalcoatl.

Cactus, pierres, grains de sable, humeur minérale figée dans une atmosphère stérile de fin des temps,  tout, dans ce désert, est plongé dans une attente angoissée et fébrile.

Des individus - hommes, femmes, enfants assis en tailleur sur la croûte terrestre brûlante -  sont alignés grotesquement à perte de vue. Ils couvrent l'étendue, dociles comme des pions voués à être sacrifiés sur un grand échiquier.

Un silence complet règne jusqu'à ce qu'une rumeur enfle du sol puis se mue en clameur pendant que des ondes telluriques sillonnent le sable.

Les pierres explosent sous la secousse sismique, criblant l'air d'aiguilles de silex.

La terre vibre convulsivement, bientôt s'annonce les dernières contractions de l'enfantement.

Le sol s'affaisse sur lui-même à l'épicentre de son tremblement, éventré par un long serpent qui jaillit en projetant un voile démesuré composé de poussières et de roches.

Il est là !

Enfin là, l'objet de nos peurs et de nos aspirations, la fin et l'absolu réunis dans un accouplement obscène !

Mes compagnons de misère l'espéraient tous comme je l'attendais : avec répulsion et désir ardent d'être le fruit de sa prochaine prédation.

Quetzalcoatl, le légendaire serpent à plumes, ondule à travers les individus avec souplesse et vélocité. Son corps creuse un profond sillon où s'engouffre en bouillonnant le soupir du passé, le gémissement du présent, le souffle du futur... tous flots fondateurs de l'univers et de la temporalité des mortels.

L'énorme reptile s'arrête devant moi, sa tête couronnée d'un halo de plumes vibrantes.  Une lumière insoutenable filtre à travers les fentes de ses yeux minces comme des meurtrières.  Dans le feu d'artifices païen de la vision que nous partageons un instant, crépitent toutes les tortures du monde.

Puis, dans un grondement rauque, il s'élance au-dessus de moi, son interminable corps me survole dans une débauche d'écailles et de plumes animées de couleurs pulsatiles.

Du souffle de son passage, je conserve, imprimée sur ma peau,  une large bande noirâtre de chaire carbonisée.

Le serpent bondit à la verticale - un vacarme assourdissant m'accable - et décrit une parabole dans les airs.

Sa bouche touche le sol en premier, la terre se secoue spasmodiquement sous la force terrible de l'impact.

Il ne lui a fallu qu'une fraction de seconde pour fondre sur un autre être et ne laisser de son passage qu'un tunnel s'enfonçant dans les entrailles du désert.

Malgré la nappe brûlante du sable qui s'abat sur moi, je ne peux détourner mon regard du gouffre béant où a disparu le reptile fantastique et sa proie.

Il ne m'a pas fauché.

Pas cette fois, pas encore, pas moi.

Je comprends que les maudites racines qui entravent mes jambes et mes bras me retiennent captif. Elles s'enfoncent profondément dans le sol et me rattachent solidement à un ailleurs qui empêchent Quetzalcoatl de s'emparer de moi.

Pendant des jours et des lunes incalculables, je rogne patiemment les liens avec mes dents. Le sang emplit ma bouche, je me déchire à ronger, à tirer sur les attaches avec frénésie.

Puis, une formidable secousse, accompagnée de sifflements stridents, annonce le retour du serpent.

Au loin, je le regarde bondir d'un corps à l'autre, s'enfoncer dans le sol, ressurgir.

Sa bouche se rapproche. Mon regard vise l'infini : les fentes vitreuses du serpent.

Au-delà du tumulte qui signe son arrivée, je perçois des torsions sonores habituellement inaudibles.  Les plumes de sa couronne prennent des apparences singulières, elles se déforment et se transforment en en multitudes de reptiles dont les sifflements s'achèvent en complainte.

Pendant l'évaporation lente de mon être, je contemple plusieurs existences et plusieurs issues qui s'enchevêtrent, lesquelles sont miennes ?

Je ressens la peur de l'abandon et une douleur de jouissance incongrue. Au dessus de moi, je surprends les yeux du serpent et les deux crocs plantés dans sa bouche qui s'ouvre largement.

Vite, dénouer les derniers liens de souffrance, fils ténus qui me retiennent encore malgré l'inconscience artificielle.

Vous autres, là-bas, même si vous m'aimez, cesser de vous acharner sur mon enveloppe corporelle, laissez moi partir et franchir le passage qui mène de l'autre côté !

Laissez la bouche du serpent à plumes m'aspirer.

Quetzalcoatl,  Dieu de la mort et de la résurrection... ils m'ont entendu,  je suis enfin libéré !"


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