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Faux espoirs

Publié le 10 septembre 2007 par Nicolas Creisson
Voici un arrêt fort intéressant rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, qui aurait pu déclencher une petite révolution dans nos prétoires.
Il s’agit de la plainte d’un justiciable français, prévenu devant le tribunal correctionnel, qui, faute d’avoir pu obtenir le jugement complet avant l’expiration du délai, n’a pu se déterminer sur l’opportunité d’en interjeter appel.
Rien de nouveau puisque jamais, au grand jamais, la motivation d’un jugement correctionnel n’est lue en audience publique, lors du délibéré.
Et il est bien rare que le jugement motivé soit rédigé avant l’expiration du délai (en général, il n’est motivé qu’en présence d’un appel).
Dans l’espèce ici commentée, l’avocat du requérant avait adressé après le délibéré une lettre au greffe, afin d’obtenir copie du jugement et d'en connaître la motivation. Quelques jours avant l’expiration du délai d’appel, cet avocat écrivit une seconde lettre aux mêmes fins, adressée cette fois au vice-président du tribunal. Puis il rédigea une troisième lettre au premier Président de la cour d’appel qui lui répondit en lui indiquant que le jugement lui avait été délivré et que « les formalités de l’article 486 du code de procédure pénale [n’étaient] pas prescrites à peine de nullité par principe ».
La Cour européenne a estimé quant à elle, qu'en l'espèce, la seule lecture à l’audience du dispositif du jugement du tribunal correctionnel avant l’expiration du délai d’appel a porté atteinte aux droits de la défense du requérant. En effet, faute d’avoir pu obtenir le jugement complet avant l’expiration du délai d’appel, il avait pour seule issue d’interjeter appel sans connaître aucun élément de la motivation retenue par le tribunal correctionnel.
Malheureusement, cet arrêt ne fera pas jurisprudence.
En effet, à y regarder de plus près, la Cour européenne exclut toute possibilité de recours sur le même fondement, en l’état du droit positif actuel français.
Ainsi dans l’arrêt commenté la Cour a constaté qu’à l’époque des faits, la possibilité d’interjeter un appel purement conservatoire n’était pas sans conséquence pour lui car cela l’exposait à l’appel incident du ministère public sans que son propre désistement ultérieur mette fin à l’instance, comme cela est le cas aujourd’hui en vertu de l’article 500-1 du code de procédure pénale. Un tel appel conservatoire exposait donc le requérant à l’aggravation éventuelle de sa peine par la cour d’appel, sans qu’il ait pu au préalable réellement mesurer ses chances de succès.

Pour mémoire, la nouvelle rédaction de l’article 500-1 du Code de procédure pénale, issue de la loi du 9 mars 2004, en vigueur le 1er octobre 2004, est la suivante : Lorsqu'il intervient dans un délai d'un mois à compter de l'appel, le désistement par le prévenu ou la partie civile de son appel principal entraîne la caducité des appels incidents, y compris celui du ministère public si ce désistement intervient dans les formes prévues pour la déclaration d'appel. Constitue un appel incident l'appel formé dans le délai prévu par l'article 500, ainsi que l'appel formé, à la suite d'un précédent appel, dans les délais prévus par les articles 498 ou 505, lorsque l'appelant précise qu'il s'agit d'un appel incident. Dans tous les cas, le ministère public peut toujours se désister de son appel formé après celui du prévenu en cas de désistement de celui-ci. Le désistement d'appel est constaté par ordonnance du président de la chambre des appels correctionnels.
En conclusion, rien n’a changé. Si nous voulons connaître la motivation d’un jugement correctionnel, il faut interjeter appel, quitte à se désister dans les délais pour que les éventuels incidents soient frappés de caducité.
Demeure intacte, par contre, la difficulté rencontrée par les parties civile souhaitent faire exécuter les dispositions civiles des jugement correctionnels qui doivent attendre parfois plusieurs mois la grosse du jugement...
La Cour européenne sera-t-elle saisie sur ce point ?
L’arrêt AFFAIRE BAUCHER c. France (Requête no 53640/00) ARRÊT 24 juillet 2007 : Le requérant se plaignait de ne pas avoir eu connaissance de la motivation du jugement du tribunal correctionnel avant l’expiration du délai d’appel et de l’atteinte à son droit à un double degré de juridiction en découlant (articles 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention et 2 du Protocole no 7 à la Convention) (…). LA COUR, À L’UNANIMITÉ, Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention (…) Est en ligne sur HUDOC : Fichier Word - La fiche descriptive
Le premier (à notre connaissance) a avoir signalé cet arrêt est Anaclet de Paxatagore : CEDH, 24 juillet 2007, Baucher c/ France :
Intéressant arrêt de la CEDH, qui vient de sortir, sur la question de la motivation des jugements au pénal.
La pratique ordinaire des tribunaux correctionnels français est de ne pas motiver leurs jugements. Cette pratique a pour seule et unique justification objective la masse considérable des jugements rendus. Elle est possible parce que dans la grande majorité des cas, les gens reconnaissent leur culpabilité, ce qui rend la motivation assez peu utile. En pratique, seuls les jugements qui font l'objet d'un appel sont motivés. Les autres font l'objet d'une motivation stéréotypée ("il résulte de la procédure et de l'audience que les faits sont établis")…

Voir également, sur avocats.fr :
MOTIVER !, par bertrand.belval Version imprimable HTML ou PDF
Voici un arrêt qui ne devrait pas passer inaperçu !

CEDH : La France multirécidiviste , par gilles.devers - Version imprimable HTML ou PDF
La France condamnée, et en récidive ! Une peu honorable revue de détail : absence de motivation des jugements correctionnels (...) tout un programme !
Sur bellaciao.org : France condamnée 6 fois à Strasbourg

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