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Comment concevoir le temps ? Les dimanches (très en retard) de la philosophie. Séance 42.

Publié le 15 avril 2009 par Herbertlegrandkhan

Le temps est bien dur à concevoir pour un esprit humain, limité par notre propre matière. Le temps est invisible, insensible, imperceptible. On ne devine sa présence qu’à travers ses effets comme le frisson d’un lac sous les caresses du vent. Nos ancêtres ont probablement découvert sa trace dans notre chair. “Le temps quotidiennement nous vole quelque chose, la poignée de cheveux et l’ivoire des dents” (Référence : Ne chantez pas la mort.). Sa trace la plus évidente dans la nature est le changement des saisons. Il n’est pas étonnant que les peuples d’Asie aient développé une conception cyclique du temps et de la vie. En Europe, nous avons abordé depuis l’antiquité une vision linéaire du temps. Il est comme une rivière sans source dont les eaux s’écoulent perpétuellement vers l’infini. Les progrès de la physique et la découverte de la relativité ont bouleversé notre perception du temps. On sait que les eaux peuvent ralentir pour le nageur. Avant cela, les Mésopotamiens nous ont appris à découper les jours en heures, les heures en minutes et les minutes en secondes. Enfin, les jours nous permettent de mesurer la vie des hommes. J’en étais resté à cette conception linéaire du temps, occupé à tracer tristement des croix sur les murs de ma chambre en attendant mon épilogue, quand les écrits de Stig Dagerman ont remis en cause ma vision des choses :

“Personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité. Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n’est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par l’obscurité et les jours par les nuits, c’est un voyage imprévisible entre des lieux qui n’existent pas. Je peux, par exemple, marcher sur le rivage et ressentir tout à coup le défi effroyable que l’éternité lance à mon existence dans le mouvement perpétuel de la mer et dans la fuite perpétuelle du vent. Que devient alors le temps, si ce n’est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure – et quelle misérable consolation, qui n’enrichit que les Suisses ! (…)

Je peux reconnaître que la mer et le vent ne manqueront pas de me survivre et que l’éternité se soucie peu de moi. Mais qui me demande de me soucier de l’éternité ? Ma vie n’est courte que si je la place sur le billot du temps. Les possibilités de ma vie ne sont limitées que si je compte le nombre de mots ou le nombre de livres auxquels j’aurai le temps de donner le jour avant de mourir. Mais qui me demande de compter ? Le temps n’est pas l’étalon qui convient à la vie. Au fond, le temps est un instrument de mesure sans valeur car il n’atteint que les ouvrages avancés de ma vie.

Mais tout ce qui m’arrive d’important et tout ce qui donne à ma vie son merveilleux contenu : la rencontre avec un être aimé, une caresse sur la peau, une aide au moment critique, le spectacle du clair de lune, une promenade en mer à la voile, la joie que l’on donne à un enfant, le frisson devant la beauté, tout cela se déroule totalement en dehors du temps. Car peu importe que je rencontre la beauté l’espace d’une seconde ou l’espace de cent ans. Non seulement la félicité se situe en marge du temps mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie.”

Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, 1952.

Références : Traduction française. Lecture musicale par le groupe Têtes Raides.

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