Nous vivons une période étrange.
En moins de 10 ans, de nombreux grands sujets pointés et diagnostiqués par une marge souvent qualifiée d’« utopiste », « contestataire » ou « gauchiste » se sont imposés dans le débat public et sont désormais partagés par une majorité, dans l’opinion et dans la classe politique, gauche et droite confondues.
Citons-en quatre :
J’ai souvenir qu’ŕ la fin des années 90, début des années 2000, ces enjeux étaient loin de faire l’unanimité. Ils étaient connotés gauche radicale et protestataire ou Verts âge de pierre...
Militant chez Attac, je me souviens comment il était peu aisé de convaincre sur les marchés le dimanche que les dysfonctionnements de la finance avaient un impact direct négatif sur le salaire, l’emploi et la vie des personnes que l’on croisait. Trop abstrait, trop lointain, trop connoté, trop gauchiste. Aujourd’hui, quelques années seulement aprčs, c’est une évidence pour tout le monde !
Rendons donc ŕ César ce qui lui appartient : je salue ces mouvements de lutte, boudés ou caricaturés par les médias, qui ont défendu et promu ces idées aujourd’hui consensuelles, de maničre isolée et dans l’adversité, depuis 10, 20 et męme 30 ans (cf. par exemple la candidature écologiste de René Dumont ŕ la présidentielle de 1974).
Aujourd’hui, ces idées sont reprises ŕ foison par l’ensemble des acteurs politiques, au premier rang desquels Nicolas Sarkozy qui, adoptant un ton “décroissant”, déclarait en septembre 2008 (en recevant le Pape) : « La croissance économique n’a pas de sens si elle est sa propre finalité. Consommer pour consommer, croître pour croître, n’a aucun sens. Seuls l’amélioration de la situation du plus grand nombre et l’épanouissement de la personne en constituent ses buts légitimes ».
On ne peut que se réjouir que ces idées se soient largement diffusées et disposent maintenant d’une assise majoritaire. Mais il y a 2 mais…
D’abord, on en reste trop au stade des paroles et les actes sont encore loin de suivre et d’ętre ŕ la hauteur des enjeux. Les concrétisations laborieuses et timides du Grenelle de l’environnement ou des G20 en témoignent. Pas évident de mobiliser les gens dans ce contexte, car le pouvoir en place peut toujours répondre qu’il partage le diagnostic, qu’il a commencé ŕ agir mais que tout ne peut pas se faire en un jour, etc. Bref de noyer le poisson. Il est vrai aussi que ces problčmes ne peuvent vraiment trouver de solutions ŕ l’échelle d’une seule nation. Ils impliquent une réponse internationale qui, en pratique, est trčs difficile ŕ construire, faute de volonté politique partagée.
Comme le souligne Pierre Calame, directeur de la Fondation pour le Progrčs de l’Homme, « nous voyons la maison brűler, nous la regardons męme brűler, avec un mélange de fatalisme et de fascination morbide puis nous retournons nous distraire, comme aurait dit Blaise Pascal, ŕ nos activités quotidiennes, avant de regarder ŕ nouveau oů en est arrivé l’incendie. Ou, pour reprendre l’expression d’Aristote, nous sommes en situation d’acratie, en situation de voir ce qu’il y a ŕ faire mais de ne pas trouver en nous le ressort moral et l’énergie pour le faire Bref, ce n’est pas la connaissance du problčme qui manque », mais bien la volonté de se mobiliser et d’agir.
Second « mais » : j’ai dit que beaucoup d’idées marginales hier sont aujourd’hui majoritaires. Mais pas toutes. Certaines idées encore peu visibles gagneraient ainsi ŕ s’imposer dans le débat public.
Notamment, celle trčs actuelle de la « démocratie économique », ŕ mon sens la grande question du 21čme sičcle (portée notamment par l’économie sociale et solidaire). Encore absente du débat public, elle est pourtant en filigrane dans tous les sujets évoqués ci-dessus.
L’économiste Marc Fleurbaey, qui nous invite ŕ « conserver le marché et dépasser le capitalisme » en parle bien :
« Distinguer le capitalisme et l’économie de marché est essentiel. Autant je pense que l’économie de marché est notre horizon – parce qu’elle est la plus efficace, mais aussi parce qu’elle est juste ŕ certains égards, en particulier en tant qu’outil de promotion de l’autonomie des individus -, autant sa forme actuelle n’est pas vouée ŕ perdurer. Pourquoi ? Parce qu’il y a un décalage extraordinaire entre notre culture, imprégnée de valeurs démocratiques, et le fonctionnement de l’économie, qui aussi bien de maničre générale qu’au sein des entreprises, reste trčs peu démocratique ».
(…) La démocratie n’est jamais complčte et il faut sans cesse essayer de se rapprocher de l’idéal démocratique, qui veut que chacun puisse contrôler les décisions qui le concernent, avec un pouvoir réparti en proportion des intéręts en jeu. (…) On associe généralement la démocratie ŕ la sphčre strictement politique. Or, la démocratie est un enjeu partout oů se prennent des décisions qui concernent une collectivité : les entreprises, mais aussi les associations et - pourquoi pas ? - la famille. Plus les décisions sont prises de maničre démocratique, plus on favorise l’autonomie des individus membres de ces collectivités.
(…) Il faut introduire la démocratie dans le fonctionnement des entreprises. Une gestion qui est faite uniquement dans l’intéręt des actionnaires n’est pas favorable ŕ l’épanouissement humain du personnel. Les travailleurs se sentent menacés, précarisés, otages de décision prises dans des sičges sociaux trčs éloignés. Or, la théorie économique nous dit que les entreprises pourraient ętre plus efficaces si les intéręts de toutes les parties prenantes étaient mieux pris en compte [1] ».
A bon entendeur, salut (démocratique) !
Jeu de briques
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Pacman
Bubble