Parfois, l'actualité commande de rappeler les gens à leurs sens. Je sais n'avoir aucun espoir d'être lu réellement par le destinataire, mais ça ne m'empêchera pas de lui écrire une petite missive...
Monsieur le Président,
Cela fait maintenant presque deux ans que vous êtes au pouvoir. C'est, je pense, un bon moment pour faire un petit bilan, ne trouvez-vous pas ? Après tout, c'est aussi à l'aune du chemin parcouru qu'on peut juger du chemin qu'il reste à faire.
Avant tout, une constatation s'impose : depuis votre arrivée au pouvoir, il ne s'est guère écoulé de semaines sans que vous fassiez parler de vous, en bien comme en mal.
Au contraire de vos prédécesseurs, vous aurez très largement usé de votre
D'ailleurs, si je peux me permettre, monsieur le Président, à force de fournir à ces journalistes de quoi remplir leurs articles, et à force de rechercher chez eux votre prochain sujet d'intervention, le microcosme construit sur vos interactions respectives ressemble de plus en plus à une boucle auto-alimentée, qui, vu de l'étranger, fait surtout penser à du Larsen.
Mais, soyons sport, grâce à cette présence médiatique ininterrompue, vous avez réussi le pari d'être présent en tous temps et en tous lieux, un peu comme les fantômes ou les microbes : c'est mieux que les deux précédents occupants de votre poste qui évoquaient plutôt des momies ou des papys.
Au-delà de cet aspect purement cosmétique, attardons-nous sur le versant politique de vos actions.
En 2007, vous aviez trouvé une France en déficit budgétaire, dont on disait qu'elle subissait une montée de l'insécurité, et pour laquelle d'imposantes réformes étaient nécessaires. Il fallait trouver de l'argent pour combler un trou fort profond à la Sécurité Sociale. La croissance était en berne, la confiance des Français dans leur pays aussi. D'un autre côté, vous aviez les coudées franches : une assise populaire, une opposition en pleine implosion, des parlementaires acquis à votre cause, une dynamique d'ensemble prometteuse ; enfin, disons que c'est ce que laissait comprendre la presse qui, pourtant, ne vous adulait pas spécialement.
Et deux ans plus tard, que constatons nous ?
- Les dettes se sont creusées comme jamais, le budget explosant les 100 milliards de déficit.
- La croissance n'est plus en berne : elle est morte, la tête en bas, et sèche calmement accrochée à une poutre de l'édifice républicain dont on sent maintenant qu'il est vermoulu jusqu'au plus profond de sa structure.
- La sécurité sociale est devenue une vaste blague dont le Monde Nous Envie ... l'aspect comique (2€ de remboursement sur une paire de lunettes, par exemple).
- Le dialogue social entre les patrons et les employés est, maintenant, essentiellement rythmé par les prises d'otages et les coups de force.
Certes : une grosse crise est passée par là, et la France, qui était en 2007 un petit bourbier puant sur le plan politique, est devenu un gros marigot putride. Il est clair que la conjoncture mondiale ne vous aura pas aidé.
Mais vos différentes interventions, bruxelloises et londoniennes notamment, auront permis de prendre une mesure bien précise de vos talents d'interventionniste : au final, à tout problème correspond selon vous une réponse dans laquelle l'Etat doit donner son mot, et ce mot est très souvent ... Taxe.
Ainsi, en politique intérieure, que ce fut avant ou après le déclenchement officiel de la crise, vous aurez offert aux Français une belle panoplie de taxes et de ponctions. Heureusement, vous avez toujours déclaré n'être pas là pour augmenter les impôts. Personne n'avait compris que vous augmenteriez tout le reste, ... à l'exception du pouvoir d'achat. En deux ans, on trouve ainsi :
- une nouvelle taxe de 2,5% sur les plus-values d'acquisition des stocks options
- l'écopastille ou bonus-malus en fonction des émissions des véhicules
- des taxes ou versements "volontaires" des compagnies pétrolières, régulièrement payées par ... Total, la vache à lait du gouvernement
- la franchise Sécurité Sociale, de 50 centimes par boîte et de 2 euros par transport
- une taxe, de 3% sur les recettes publicitaires, sur les chaînes privées, suite à la suppression de la pub
- cette dernière taxe elle-même renforcée par la taxe sur les opérateurs télécoms : 0,9% sur le chiffre d'affaires
- une augmentation des cotisations retraite
- une taxe de 1,1% sur les revenus du capital pour financer le RSA
- une taxe sur l'épargne salariale
- une taxe de 3% sur le chiffres d'affaires des assurances santé complémentaires
- une taxe sur le poisson : 2% sur les produits de la mer
- une taxe pique-nique. Oui. Pique-nique et poisson. C'est ahurissant, n'est-ce-pas ?
Et là, franchement, monsieur le Président, je me dois de vous le dire en toute franchise : relancer l'activité par temps de crise en multipliant les taxes, ça me laisse perplexe. Ne vous fourreriez-vous pas le doigt dans l'oeil jusqu'à l'omoplate avec une telle tactique ?
Toujours sur le plan intérieur, on peine à distinguer en quoi la loi Internet et Création rentre, même de loin, dans une stratégie quelconque pour relancer l'activité en France ou donner un peu de latitude aux entreprises pour embaucher. Ca relance surtout l'activité des députés dont les textes sont régulièrement déboutés par le parlement européen, puis national, dans la plus parfaite illustration de la nullité générale qui s'est emparée de l'ensemble de l'appareil d'état.
Excusez-moi de vous le dire franchement, Monsieur le Président, mais les Français passent - encore ? - pour des guignols avec ce projet de loi. D'autant que l'arsenal juridique existe déjà, et que tout ceci ressemble de plus en plus à de l'agitation purement médiatique, chose dont on sait que vous êtes friands mais qui, je me dois de vous le dire, n'impressionne que les nouveaux-nés.
Et puis, outre l'avalanche de commissions Théodule que vous aviez pourtant promis de ne pas multiplier et qui poussent comme des champignons chez les Schtroumpfs, le Français de base abonné au journal de France 2, le lecteur du Figaro, le thuriféraire de l'état gavé au Libération ou déchiffrant Le Monde avec avidité, jusqu'au petit révolutionnaire de salon qui s'imagine refaire le monde avec sa carte NPA imprimée sur papier équitable, bref, tout le spectre politique mou ou dur de la France ne comprend plus rien de votre politique générale : Fillon, qui, je me permets de vous le rappeler, est toujours votre Premier Ministre, est devenu un composé chimique intéressant à étudier puisque parfaitement transparent, totalement incolore, inodore et sans saveur. Plus personne ne sait exactement à quoi il sert, ni ce qu'il fait.
Quant à vos projets, réels ou supposés, en cours ou avortés, de remaniements ministériels, il n'intéressent guère que - encore une fois - les folliculaires dont l'existence pourrait ressembler à celle de Fillon si vous ne leur fournissiez pas de temps en temps quelques croustilles politiques à grignoter.
Eh oui, monsieur le Président, je dois vous le dire : en politique intérieure, quand vous n'êtes pas contre-productif, vous êtes illisible.
Et si l'on examine à présent le volet de la politique extérieure, un sentiment d'épouvante surnage de plus en plus.
Je n'évoquerai que rapidement, par pudeur, vos interventions pour "sécuriser la route de l'uranium" du Niger, qui consistent, on s'en doutera, à continuer la subtile politique franco-africaine qui sera devenue, ces dernières décennies, l'emblème d'un colonialisme nouveau mâtiné de paternalisme décontracté dans lequel OSS117 ne serait pas du tout dépaysé.
Je ne parlerai guère de vos agitations internationales concernant la crise. On aura surtout retenu que vous y avez fait pression de façon assez peu subtile pour pousser votre agenda anti-paradis fiscaux, dont la plupart des Français, passez-moi l'expression, n'avait rien à carrer, alors que, dans le même temps, la pression fiscale en France augmente dans des proportions qu'on pourrait qualifier de bibliques si l'adjectif n'était pas déjà utilisable pour les proportions du trou financier que vous êtes en train de creuser...
Non, sur tout ça, je ne m'étalerai pas, monsieur le Président.
En revanche, je suis effaré de la polémique qui enfle à présent sur les petites phrases que vous avez prononcées au sujet de diverses personnalités politiques.
Déjà, le niveau général de réflexion oscille - excusez ma franchise - entre celui de Mme Chombier, poissonnière à Ménilmontant, et celui de Jules Dubidon, philosophe au bar le Balto, à Compiègne. Que vous les ayez sorti alors que les journalistes sont systématiquement derrière vos moindres faits et gestes dénote d'un manque certain de lucidité. Et que vous chargiez Frédéric Lefebvre, cet insupportable bivalve qui s'était déjà brillamment illustré dans l'affaire Hadopi, d'aller attaquer Libération, pathétique tentative de journalistes socialistes pour faire croire en la neutralité de la presse, c'est colossalement nul en terme de Damage Control.
En fait, monsieur le Président, je vous le dis tout net : tout ceci est minable. En matière de politique internationale, vous foutez la honte à 65 millions de personnes ; soit vous avez réellement sorti ces confondantes idioties, et votre entregent diplomatique n'a plus rien à envier à celui de Gengis Khan. Soit vous n'avez rien dit de tout cela, et votre façon de contrôler ce dérapage donnerait des sueurs froides à Nicki Lauda.
Certes, dans ce merdoiement général, vous êtes grandement aidé par votre Némésis électorale, Ségolène Royal, dont chaque intervention est puissamment dosée en fatuité et qui se permet, du haut de ses deux dernières branlées électorales, de ramener ses petites aigreurs de perdante à chaque fois que vous ripez. Mais à vous deux, la France dispose maintenant d'un couple à la Laurel & Hardy, et l'électeur n'en peut plus de compter vos points et contre-points alors que les ors de la République se détachent par blocs entiers.
Monsieur le Président de la République, un citoyen français ne peut être qu'emplis de honte au spectacle que vous et la presse offrez alors que la situation est de plus en plus grave. Entre les agaçantes pénibleries ministérielles et les pitreries du G20, les clowneries de vos parlementaires et la tenue générale de votre gouvernement, vous vous placez vigoureusement dans la position d'un éjectable à la prochaine révolution ou à la prochaine élection, selon la première éventualité.
Monsieur le président, je vous souhaite bon courage pour les prochains mois (je ne suis pas sûr qu'on puisse encore compter en années).
Vous en aurez besoin.