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Lejade-Castelnerac : l'interview des francs-tireurs #2

Publié le 22 avril 2009 par Eric Viennot

Trackmania01 Voici la suite de l'interview croisée Olivier Lejade (Soulbubbles) / Florent Castelnerac (Trackmania). Pour ceux qui auraient raté la première partie c'est ici.

La relation développeur / éditeur est bien souvent conflictuelle. Pourtant, il y a parfois des partenariats harmonieux comme par exemple la relation Nadeo-Focus. A votre avis, quelles sont les conditions d’une collaboration fructueuse entre développeurs et éditeurs ?

Olivier Lejade :
Le respect et la confiance de part et d'autre. Dommage que ce soit si difficile à trouver.

Florent Castelnerac :
La particularité de Focus, justement, c'est de s'intéresser aux jeux et aux joueurs. Je n'ai jamais eu une discussion sur les jeux à proprement parler avec un autre éditeur que Focus. Cédric, son directeur, est capable de me battre à TM dans ses bons moments ^_^ Il ne joue pas forcément à tous les jeux, mais il s'y intéresse déjà dix fois plus que les autres.
Alors, pouvoir parler de l'enjeu principal, le jeu, est déjà important. Et surtout avec quelqu'un comme lui qui est vraiment fort dans son métier.
C'est ce qui fait que nous nous sentons aussi bien avec eux. Il ne fait pas payer aux jeux qui marchent ceux qui ne marchent pas et Focus doit avoir un taux d'échec extrêmement bas. Mais tout cela est peu de chose par rapport à ce qui est encore plus important. Cédric aime et respecte les gens, leur travail et c'est simplement un mec bien.

L’explosion des jeux on-line est en train de bouleverser les relations développeurs-éditeurs. Quels changements pensez-vous que cela apportera en termes de mode de production et, au-delà, en termes de création et de jouabilité ?

Olivier Lejade :
Ca fait des années que je suis convaincu que le on-line va faire voler en éclat le modèle et la structuration classique de l'industrie du jeu vidéo. Ce serait trop long à développer ici mais pour partager quelques pistes prospectives : la distinction nette entre éditeurs et développeurs s'estompe, tout comme celle entre développeurs et joueurs ; le web devient la plateforme dominante ; la diversité créative s'accroit massivement ; la bataille pour capter l'attention du public s'accroit en conséquence ; le prix du jeu comme produit tend vers zéro ; le jeu comme service se généralise ; la frontière entre le jeu et la réalité devient de plus en plus perméable. Voilà pour les grandes lignes, rendez-vous dans 10 ans !

Florent Castelnerac :
Les développeurs ont autant besoin d'éditeur avec le on-line, ils peuvent juste être moins dépendants. Ce n'était pas notre cas et cela ne change donc rien. On gagne juste davantage ensemble. Le rôle d'un développeur est de développer. En terme de création et de jouabilité, Nadeo se dirige vers le "hi-tech simple game" C'est de la R&D de jeu pour faire moderne, simple, puissant, robuste, durable et abordable. C'est super prétentieux dit comme ça, mais ce sont les qualités des objets hi-tech que les gens recherchent.
C'est loin des émotions chères à nos auteurs favoris ^_^ Pour ce qui est de l'évolution du développement traditionnel, je suis un peu perplexe.
Créer ou distinguer de nouvelle jouabilité dans ce contexte est compliqué.
Logiquement, les développeurs de jeux, contrairement aux inventeurs, devraient se retrouver à composer des jeux avec des outils super simples, standards et efficaces. Chacun d'eux étant très formatés, mais très libres dans l'expression.

Afin d’être complet sur le même sujet, que pensez-vous du service de distribution Onlive, ce système de console unique « dématérialisée », qui a été présenté à la dernière GDC ?

Olivier Lejade :
L'industrie du jeu vidéo découvre le streaming... A entendre les cris de joie, j'ai bien peur que les industriels considèrent ça comme le DRM ultime qui leur permettrait de sauver leur business model mourant. Un peu comme les industries de la musique et du cinéma avant eux. Si c'est ça, ils seront vite déçus. Quoi qu'il en soit, entre le phantasme et la réalité il y a un vrai problème de latence qui ne sera pas résolu pour beaucoup de jeux.

Florent Castelnerac :
Nous réfléchissons aux impacts de cela depuis environ un an. La technologie G-Cluster qui marche au Japon est déjà testée en France sur des jeux consoles de la génération précédente. Ceci permet aux serveurs de faire tourner plusieurs jeux sur la même machine. Plus simplement, et dès aujourd'hui, vous pourriez peut-être donner le contrôle à distance de votre PC, sur lequel serait lancé votre jeu d'aventure, contre un SMS surtaxé. En tout cas, la réaction a été à la hauteur de l'impact potentiel de ce genre de technologies. De plus, les géants des télécoms seront derrière dans l'espoir de l'intégrer à leurs boxs et de vendre encore plus de flux, en contrôlant  le jeu comme le cinéma. Pour les développeurs, c'est l'idée d'une plateforme unique et stable qui doit attirer. Onlive, la virtualisation, les techno webs se rencontrent toutes autour de la question de la portabilité, de plus en plus cruciale.

Parmi les jeux auxquels vous avez joués dernièrement, lesquels vous ont paru les plus marquants et pourquoi ?

Olivier Lejade :

Le prochain jeu de Nadeo ! Mais si j'en dis plus, Florent va me tuer... ^-^ Sinon Flower, sans hésitation. Au delà de la prouesse de réalisation, c'est un jeu qui fait évoluer notre art. Pour moi c'est un véritable jalon dans l'histoire du jeu vidéo. Parce qu'il fait évoluer nos attentes et notre conception de ce qu'est un jeu. Parce qu'il assume sa différence avec courage. Après y avoir joué, j'ai longuement écouté l'équipe à la GDC et j'ai reconnu au milieu de leurs galères de production les mêmes tensions, les mêmes questions qui s'étaient posées à nous sur Soul Bubbles - qui est lui aussi un jeu doux et tolérant. Sauf qu'à un moment, j'ai pris peur et nous avons partiellement rebroussé chemin. Eux, ils sont allés jusqu'au bout. J'espère avoir cette force la prochaine fois.

Il y a aussi Ghost Stories, un jeu de plateau d'Antoine Bauza. Parce que j'adore les belles mécaniques coopératives et que celle-ci est excellente. De ce point de vue, je suis très gâté en ce moment parce qu'avec des jeux comme Schizoïd, Left 4 Dead, Novembre Rouge, Little Big Planet ou Castle Crasher, on assiste à un grand retour en force du coop de qualité !

Florent Castelnerac :
Cette année, Passage de Jason Rohrer à cause du graphisme. J'aime aussi beaucoup le nouveau mode ManiaTeam de TrackMania United pour la nouvelle manière de faire la course en réseau. C'est bête, mais je me retrouve encore le midi à vouloir manger vite pour aller jouer. J'ai aussi passé quelques heures sur ShootMania, hypnotisé. C'est un peu bébête de parler de nos jeux, mais bon, je le suis pas mal à ce propos. Je m'intéresse plus à nos jeux qu'à ceux des autres :/

A votre sens, quels sont les points essentiels sur lesquels un game designer devra centrer son attention dans les prochaines années ?

Olivier Lejade :
Je crois que tout game designer qui se respecte devrait s'intéresser de très près aux neurosciences car elles progressent à toute allure - quelques bon livres pour mettre le pied à l'étrier : Phantoms in the Brain et A Brief Tour of Human Consciousness par V. S. Ramachandran, On Intelligence par Jeff Hawkins et The Brain that Changes Itself par Norman Doidge. Il faut aussi surveiller le travail des grammairiens du jeu (Daniel Cook, Raph Koster, Stéphane Bura, Nick Fortugno, etc...) qui commencent à développer des outils intéressants.
Mais l'essentiel, selon moi, consiste à garder l'esprit ouvert et veiller à ne pas laisser le jeu vidéo s'enfermer dans une définition trop étroite. Le potentiel expressif du jeu vidéo est immense. Il faut explorer cette frontière.

Florent Castelnerac :
Il y a deux approches diamétralement opposées. Celle qui consiste à construire quelque chose en profondeur et à s'y tenir. Dans ce domaine, le game designer doit se centrer sur un domaine d'expertise auquel il croit et y rester fidèle, y compris dans les jours difficiles. De l'autre, c'est forcément une question de tendance et son attention ira à la culture, la mode et le style. Sur la question des moyens de faire les choses, il doit privilégier la stabilité dans le premier cas et l'efficacité dans le deuxième. Un environnement stable est par exemple la page web. On peut y faire des jeux très profonds et sur le long terme. Dans le deuxième cas, je pense que les "scenery disk" ont un grand avenir et seront probablement les premiers à offrir des outils adaptés aux game designers en quête d'expression. Lorsque je suis embrouillé par l'industrie environnante, qui dégage des fumées épaisses de conneries, je repense plutôt à la question de l'envie de jouer, plutôt qu'à la qualité d'un jeu, pour retrouver mon chemin. Un sublime jeu comme Soul Bubbles est de qualité, mais lorsqu'il sort, il ne représente pas un besoin. C'est avant tout le rôle de l'éditeur pour ce genre de jeux et il s'est retrouvé dépendant de cela, tout en étant indépendant. Pour une démarche sur le long terme, à laquelle je suis plus sensible, je pense qu'il faut centrer son attention sur qui nous sommes pour y trouver ce qu'on peut apporter sous la forme d'un jeu.

Illustration : Trackmania Nations Forever


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