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Une société de Bisounours

Publié le 22 avril 2009 par Lozsoc
Les images qui font débat

Les images qui font débat

Pour se conformer à la loi Evin, Metrobus, la régie publicitaire de la RATP, a estimé nécessaire de remplacer, sur les affiches de la cinémathèque de Paris annonçant une exposition consacré à Jacques Tati, la pipe du réalisateur français par un moulin à vent. L’affiche du film « Coco avant Chanel » a subi un sort similaire par la régie publicitaire de la RATP sous prétexte qu’on y voyait l’actrice Audrey Tautou avec une cigarette.

Or, comme l’observent judicieusement Michel Guerrin et Thomas Sotinel dans Le Monde :

« La cigarette est à Coco Chanel ce que la pipe est à Jacques Tati : un trait essentiel de leur image. Pourtant, sur les murs de France, l’une fume, l’autre pas. Audrey Tautou, l’actrice qui incarne la couturière dans le film d’Anne Fontaine, tient ostensiblement une cigarette à la main. Le créateur de Mon oncle roule en Solex avec, entre les dents, un moulin à vent jaune au lieu de sa bouffarde. »

Ce qui est saisissant dans ces décisions, c’est l’évidence de leur ridicule qui prétend se justifier par un texte de loi interdisant la publicité pour le tabac et l’alcool. Ce ridicule saute aux yeux. Chacun sent bien en effet que la loi Evin n’a pas été promulguée en 1991 dans le but de procéder à des arrangements a posteriori avec l’histoire, la culture, les traits distinctifs de personnages célèbres, et encore moins pour les présenter sous un jour que l’on estimerait plus convenable. La lutte contre la tabagie ne se résume pas à la pipe de Tati ou à la cigarette de Coco Chanel.

Une société de BisounoursMais l’évidence du ridicule des décisions prises par Metrobus est aussi à la mesure de ce qu’elles suggèrent et qu’on ne voit pas forcément. Car ces décisions traduisent fondamentalement un discours et une posture qui tendent à vouloir gommer toutes les aspérités au sein de la société en tenant compte de ce que l’on tient pour être ses intérêts dominants. En France, on parle volontiers de « conformisme » ou « d’ordre moral ». Aux Etats-Unis, ce phénomène est connu sous l’expression de « politically correct » (politiquement correct).

Dans le cas « Jacques Tati/Coco Chanel », on met en exergue l’impératif de santé publique pour motiver la censure. Mais il est clair que d’autres intérêts peuvent être invoquées. C’est ainsi que la régie publicitaire de France 2, après avis de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, a récemment interdit que l’on fasse la publicité du DVD de l’humoriste Gérard Dahan intitulé « Sarkoland » au motif que le spot était de nature à heurter les convictions philosophiques, politiques et religieuses du téléspectateur…

De même, au nom de la lutte contre les violences conjugales, des organisations féministes n’ont pas hésité à faire pression – heureusement en vain – sur les organisateurs du Printemps de Bourges pour que le rappeur Orelsan soit déprogrammé de ce festival. Situation ubuesque. C’est un peu comme si l’on imaginait qu’au nom de la lutte contre les discriminations, des organisations antiracistes par exemple exigeaient que l’on interdise Eric Zemmour d’antenne pour avoir dit, dans une émission de télévision, que le rap était une « sous culture d’analphabètes » (réflexion faite, cela ferait peut-être du bien au polémiste du Figaro qui vient de démontrer, en portant plainte pour menaces de crime et injures publiques contre le rappeur Youssoupha, qu’il n’avait décidément pas les couilles qui vont avec sa grande gueule).

En poussant ce conformisme jusqu’à l’absurde, on peut – comme le signale malicieusement Bruno Roger-Petit – préconiser la censure de la chanson « Fous ta Cagoule » de Mickaël Youn parce qu’elle est susceptible de porter atteinte au crédit d’un Président de la République particulièrement soucieux d’ordre public et de sécurité et qui a annoncé, cette semaine, que le gouvernement allait publier un décret interdisant le port de la Cagoule dans les manifestations.

Nous vivons dans une société qui se rêve sans histoire, sans soubresaut, sans place possible pour les idées, les attitudes, les propos qui heurtent, choquent et inquiètent.  Cette « société de Bisounours », qui instaure  insidieusement un univers propre, lisse et hypocrite, n’a rien de démocratique.  Cette société là est dangereuse.


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