Les rapports entre la France et Djibouti, héritiers d’une histoire commune née au XIXe siècle, ont été le plus souvent étroits, faisant de Djibouti une zone d’influence de la France. Aujourd’hui, cette proximité franco-djiboutienne ne se retrouve guère sur le plan économique. Dans le contexte de la globalisation, la position de la France à Djibouti pâtit d’une absence de stratégie et de vision de développement à moyen/long terme. Face aux mutations du monde et aux nouvelles coopétitions économiques, l’exemple de l’ancien Territoire Français des Afars et des Issas (TFAI) n’est que le révélateur de l’absence de stratégie économique de la France dans son ancien « pré carré » en Afrique. Ce reflet des manques de volonté et de politique de puissance de la France se traduit par un contraste entre la révision (dans la transformation) de ses positions militaires et son inertie face à la nouvelle situation économique.
Etat « confetti », Djibouti, colonie française de 1862 à 1977, est resté longtemps dans une relation exclusive avec la France. La France, se contentant de cet héritage, bénéficie toujours de solides influences diplomatico-militaires à Djibouti, influences cependant remises en cause par les crispations judiciaires franco-djiboutiennes autour de l’affaire Borel. Mettant à profit la mondialisation, Djibouti a diversifié ses relations en axant son développement dans la dynamique des échanges Sud-Sud et les nouvelles orientations stratégiques américaines, la France semblant passive face à ces enjeux.
Une longue domination de la France dans un Etat stratégique
Avec une population de 800 000 habitants regroupant des Afars, des Issas et des Arabes, majoritairement concentrée dans la capitale, la République de Djibouti, avec une superficie de 23.200 km², est l’un des plus petits pays d’Afrique. Elle se situe dans la Corne de l’Afrique et partage des frontières avec l’Erythrée au Nord, l’Ethiopie à l’Ouest et au Sud et la Somalie au Sud - Est. Sa façade maritime longue de 370 km donne sur la Mer Rouge et le Golfe d’Aden. Le pays se situe au 150e rang (sur 177 pays) de l’Indicateur du développement humain.
Djibouti est situé en face des réserves pétrolières les plus importantes de la planète et sur une voie maritime majeure. Sa position géostratégique-clé entre l’Afrique et le Moyen-Orient et son port, au croisement de la Mer Rouge et de l’Océan Indien, face au Yémen, en font une escale convoitée.
L’ancien TFAI est encore marqué par la présence francophone historique. L’Etat indépendant de Djibouti a ainsi deux langues officielles : le français depuis l’ère coloniale et l’arabe. Djibouti n’a eu longtemps pour seule ressource que sa rente stratégique versée par l’ex métropole. En 1995, à Djibouti les dépenses des seules forces françaises représentaient près de la moitié du produit intérieur brut et procuraient au budget de l’Etat plus du tiers de ses recettes. Les relations entre Djibouti et la France sont restées longtemps très étroites, tant sur le plan de la culture francophone, du tissu économique, du commerce extérieur, que de l’aide au développement.
Une présence militaire toujours forte et des crispations politico-judicaires
La France, de par son dispositif militaire au sein de ce micro Etat, contribue à sa stabilité (relative) dans une zone structurellement en crise : anarchie en Somalie (sans sompter l’islamisme et la piraterie) sur fond du conflit et de la rivalité de l’Ethiopie et l’Erythrée. Mais l’affaire Borel cristallise des tensions politiques et diplomatiques entre les deux pays.
La position de Djibouti comme escale à la confluence de plusieurs zones en fait une base stratégique. En effet, Djibouti se trouve à proximité de l’Est africain pour la protection de nos ressortissants, de la Mer Rouge pour la sécurisation des approvisionnements transitant par Suez, du Golfe persique et du détroit d’Ormuz pour une évaluation permanente d’une zone extrêmement sensible, enfin de l’Océan Indien pour le soutien de notre flotte. Constituant la première implantation militaire de la France en Afrique, les Forces Françaises de Djibouti (FFDJ) ont vu leurs effectifs diminuer de moitié en vingt-cinq ans, passant de 4 300 hommes en 1978 à 2 900 hommes environ en 2008 avec 10 avions de combat Mirage 2000 et une dizaine d’hélicoptères. En 2007, les retombées économiques de la présence des FFDJ étaient évaluées à 160 millions d’euros par an. Les dispositifs prépositionnés confèrent des avantages opérationnels qui dépassent le seul champ de la fonction de prévention : l’utilisation de Djibouti pour libérer les otages pris par des pirates somaliens (Carré d’As en septembre 2008 et Ponant en avril 2008) le confirme.
Les échanges de tirs nourris ayant eu lieu les 09, 10 et 11 juin 2008 entre troupes érythréennes et djiboutiennes à Ras Doumeira, à 120 km au nord de la ville de Djibouti ont été l’occasion pour la France de réaffirmer son rôle dans la protection du pays en apportant une aide logistique, notamment médicale, ainsi que des renseignements militaires.
Mais l’affaire Borrel reste au cœur de la crise qui empoisonne les relations entre l’ancienne métropole et l’ex colonie. Le juge Bernard Borrel, détaché comme conseiller du ministre djiboutien de la justice dans le cadre de la coopération, a été retrouvé mort le 19 octobre 1995. L’enquête de la justice djiboutienne avait conclu au suicide. Cette thèse a longtemps été privilégiée en France également, puis celle du meurtre a été retenue, plongeant les deux pays dans un imbroglio politique, diplomatique et judiciaire. Le président Ismaël Omar Guelleh, chef de l’Etat depuis 1999, est convoqué pour témoigner dans l’affaire alors que le procureur actuel de Djibouti Djama Souleiman Ali et le chef des services secrets Hassad Saïd, sont convoqués par la justice française en tant que témoins assistés. La Cour internationale de justice a confirmé le 3 juin 2008 le refus de la France de transmettre à Djibouti le dossier concernant l’enquête sur la mort du juge Bernard Borrel. Le gouvernement djiboutien a indiqué le 8 juin 2008 qu’il « n’accepterait pas que le dossier du juge Borrel serve d’alibi à toute tentative de déstabilisation » de Djibouti.
Passivité de la France face aux nouveaux enjeux
S’appuyant sur la mondialisation, l’ancien TFAI a connu une forte croissance du PIB : 3,2 % en 2004, 3,5 % en 2005, 4,8% en 2006, 5,3% en 2007. La France, malgré l’ancienneté de sa relation et son apport dans la stabilité de son ancienne colonie, n’a pas pris part à ce développement en tant que partenaire économique. De nouveaux acteurs militaires et économiques ont investi le pays si bien que le rôle économique de la France n’est pas à la hauteur de son statut militaire et d’ancienne puissance. Cette dernière voit sa position commerciale au sein de l’ancien TFAI se faire concurrencer par les pays du Golfe, l’Ethiopie, la Chine et l’Inde.
D’abord, les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre contre le terrorisme ont entraîné la réévaluation de l’importance stratégique de Djibouti par les Etats-Unis. En octobre 2002, Washington a créé à Djibouti le Combined Joint Task Force-Horn of Africa ayant pour base un ancien camp français avec plus de mille soldats. Paris a dû augmenter son aide à Djibouti à hauteur du loyer versé chaque année par les Etats-Unis pour leur base, soit environ 30 millions d’euros par an. La présence américaine a été suivie de l’installation d’éléments allemands et espagnols. Elle a également renforcé l’attractivité économique de Djibouti.
Afin de conforter sa vocation de plaque tournante régionale en matière d’échanges commerciaux, les autorités de Djibouti ont multiplié les mesures incitatives pour attirer les investissements des pays du Golfe. Après avoir confié la gestion de son port et de son aéroport international à l’Autorité des ports de Dubaï (DPA), Djibouti a lancé avec plusieurs partenaires de la péninsule arabique les chantiers d’infrastructures destinées à faire du pays un centre de transit régional de marchandises. Dubaï a pris en charge la gestion du port et a investi dans diverses infrastructures : nouveau terminal pétrolier de Doraleh, opérationnel depuis 2008, à Doraleh également, un second port en eau profonde, avec un terminal à conteneurs, est en cours de construction ; Zone Franche de Djibouti d’une superficie de 400 hectares. Le milliardaire saoudien Tarik Ben Laden (demi-frère d’Oussama) a lancé un projet pharaonique (19 milliards de dollars, soit près de 14 milliards d’euros) de construction d’un pont de 28 km de long entre Djibouti et le Yémen, projet auquel le président Guelleh tient beaucoup.
Positionné sur les axes d’échange maritimes d’Europe, d’Extrême Orient, du Golfe Arabo-persique et évidemment d’Afrique, le développement économique de Djibouti offre de nombreuses perspectives. Partenaire historique de ce pays, la France possède des atouts, du fait de ses liens affectifs, culturels et de sa connaissance du pays, pour participer à cette dynamique et ne pas continuer à voir son influence décliner. Le renforcement de la place et des intérêts économiques de la France face aux pays du Golfe, de plus en plus actifs, se doit d’être à la hauteur de son poids militaire. Ce renforcement, indispensable à une politique globale de puissance nationale, passe par la définition et d’une stratégie volontariste par les acteurs publics et privés. L’organisation du colloque Djibouti, hub de la Corne de l’Afrique le 20 octobre 2008 au Sénat semble être une prise de conscience de la réalité du découplement entre positions militaires et économiques de la France au sein de cette République.
AF