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Le travailleur social, ce héros

Publié le 20 avril 2009 par Innommables

Les travailleurs sociaux sont des gens formidables.

Ils font un métier passablement difficile, se coltinent souvent des psychopathes récidivistes et se font un devoir de représenter, aux yeux de nos petits protégés, la figure emblématique de la Loi et de l’Ordre.
Disons que si la demoiselle aux yeux bandés qui tient une balance symbolise à elle toute seule la Justice des hommes, on peut dire que le travailleur social que je côtoie au quotidien se verrait bien représenté par une statue de marbre au visage impassible mais qui inspire la confiance, avec le Code Pénal dans une main et le Guide de l’ANPE dans l’autre.

Car je te prie de croire qu’au Foyer, ça ne rigole pas.

Les mecs ne sont pas là pour se la couler douce, profiter du gîte et du couvert, se rouler un petit joint d’après dîner et se vautrer devant le match France-Moldavie sur TF1.
Non.
Ici, les pensionnaires savent qu’ils doivent se sortir les doigts du fondement et se prendre par la main fissa, because le but de la prise en charge, mâme Tripoux, c’est la ré-in-ser-tion.
La réinsertion, oui.
Il s’agit de se remettre dans le bain, de réintégrer la société et de se remettre au boulot.
Et ça commence pas plus tard que tout de suite, mon p’tit Robert, tu es prié de te lever le matin, de te rendre aux convocations à l’heure dite, de remuer ton popotin d’ANPE en Préfecture, et surtout, surtout, mon p’tit Robert, tu es prié de ne pas picoler à l’intérieur de la structure, et encore moins d’y fumer ton odorant pétard.

Et pour guider ces brebis longtemps égarées dans les vapeurs du gros rouge qui tache et les paradis artificiels, quoi de mieux qu’un travailleur social dévoué corps et âme à sa mission, à l’attitude irréprochable et qui croit dur comme fer à ces belles valeurs républicaines que sont l’assiduité, la rectitude et l’honnêteté en toute circonstance?

Prenons par exemple le combat du Preux Chevalier du bureau 34, engagé dans une lutte sans merci contre les pochetrons parasites qui têtent le goulot de la Villagoise comme un nourrisson se raccroche à la chaude mamelle maternelle:

- Monsieur Machin, il va falloir vous reprendre en main, et pas dans trois mois, pas dans un an, non, monsieur Machin, quand je vous parle de changement, c’est pour tout de suite, c’est now, parce que laissez-moi vous dire que votre attitude ne sera pas tolérée plus longtemps entre ces murs. Vous m’écoutez, monsieur Machin? La bibine, c’est fini, terminé, game over, nicht bibine, en tout cas si vous avez envie de rester parmi nous. Comment voulez-vous être assidu à votre formation si vous faites la chouille tous les soirs à coup de rhum et de vodka? C’est n’importe quoi!

Ainsi l’assistante sociale du bureau 27, qui telle un Don Quichotte au romantisme un peu suranné mais tellement touchant, affronte sans répit les moulins de la cynique poudre blanche et du coupable bédo:

- Ah non, monsieur, non, ça ne va plus être possible, je vous le dis tout de suite. Non mais vous nous prenez pour des cons, ou c’est moi qui déraille? Hein? Dites voir? C’est la troisième fois qu’on vous chope en train de fumer du cannabis, et c’est la fois de trop. Je vous avais prévenu, pourtant. La drogue n’est pas tolérée ici, et de manière plus générale, la drogue n’est vraiment pas une solution. Vous croyez vraiment qu’on peut travailler, assumer ses responsabilités, être adulte, quoi, quand on se défonce la gueule à longueur de temps? Hein? Franchement?

Ainsi le Directeur du Foyer en personne, dont la voix de stentor fait trembler tout contrevenant au sacro-saint Règlement Intérieur, surtout quand il se met en rogne:

- Taisez-vous, monsieur! Non, je ne vous écouterai pas! Vous n’avez pas la parole, monsieur! C’est MOI qui parle, pour le moment, et je vous prie de croire que ça va mal se terminer! Vous avez introduit une bouteille de whisky dans l’établissement, monsieur, et vous savez parfaitement que c’est interdit! Mais si, vous le savez, monsieur! Alors vous pouvez rassembler vos affaires, monsieur! Je veux que votre chambre soit vidée dans une heure! Vous ne faites plus partie des effectifs, monsieur! Je vous souhaite le bonjour!

Moi, je suis toujours épatée par le sens de la discipline et de la droiture de tous ces gens.
C’est recta, c’est carré, c’est beau, c’est limite émouvant, ce coté incorruptible, c’est Eliott Ness et ses potes version moderne, quelque part ça rassure de voir que ça existe encore.

Et je ne suis pas peu fière de contribuer à leur équilibre personnel tout au long de la journée, quand ils viennent chercher un peu de réconfort dans mon infirmerie.

Auprès du Preux Chevalier, par exemple:

- Vas-y, refile-moi huit Doliprane, j’ai la tête comme une pastèque trop mûre.
- T’as pris un coup?
- Non, j’ai trop picolé hier soir, j’suis encore un peu bourré.
- Mais c’est la troisième fois cette semaine…
- Ouais, c’est pour ça que je rentre chez moi, là, je vais me prendre un arrêt maladie.

Ou de l’assistante sociale du bureau 27:

- Non mais quel enculé, celui-là! Des fois, j’te jure, j’aimerais presque avoir un flingue, bordel! T’as pas un Xanax ou un Lexomil à me dépanner?
- Ben dis donc…je te sens un peu remontée, là…tendue…stressée…T’as des soucis?
- Non. Mais faut vraiment que je diminue la coke.

Ou même du Directeur (que Dieu l’ait en Sa Sainte Garde pour les siècles des siècles):

- Si on me demande, je suis sorti faire une course.
- Ah. Ok.
- Ahem…
- Voui?
- Si vous pouviez garder le silence sur les bouteilles de Pastis que vous avez aperçues dans mon bureau…vous comprenez…
- Ah oui. Bien sûr, motus et bouche cousue.
- Bien…Voilà, voilà…je sors donc faire une course, parce que…enfin…
- Vous êtes à court de chewing-gum à la menthe? Tenez, j’en ai…
- Merci bien.
- C’est efficace, pour masquer l’haleine?
- Occupez-vous de vos oignons.

Oui.
Les travailleurs sociaux sont décidément des gens formidables.


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