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La Poste, figure de proue d'une France à la dérive

Publié le 02 août 2007 par Roman Bernard

Je tiens d'abord à couper court à tout procès en ignorance hâtif que l'on pourrait me faire : je connais La Poste, pour y avoir travaillé comme facteur en juillet et août 2005. Avant cette expérience très enrichissante, j'y ai effectué 17 missions d'intérim les samedis matin, comme facteur également. Le centre de distribution où je travaillais avait besoin d'intérimaires, étudiants de préférence -allez savoir pourquoi- pour remplacer les facteurs "grévistes"... traduisez ceux qui ne voulaient pas travailler le samedi. Je n'invente rien, pour les incrédules, adressez-vous au centre postal du troisième arrondissement de Lyon et vous verrez bien ce que l'on vous répondra.
Le fait de remplacer au pied levé les grévistes nous valait d'ailleurs d'être critiqués ouvertement par certains facteurs assidus... pour nombre d'entre eux, nous étions les "jaunes", traîtres censés menacer la survie de tout mouvement social.
Tous les lundis matin de cet été 2005, alors que je préparais péniblement ma tournée-je dois dire ici que le métier de facteur est difficile, contrairement aux idées reçues-, un délégué du personnel -CGT évidemment- venait infliger à tous les facteurs qui n'en avaient pas besoin ses slogans mille fois répétés sur les "conditions de travail déplorables imposées aux travailleurs par la direction"... en plus du samedi non travaillé, ce syndicaliste exigeait donc l'installation de machines à eau type "Châteaud'eau" dans le centre de distribution... alors qu'il y avait un restaurant du personnel où l'on disposait de verres et de carafes d'eau en libre-service.
Précision qui permet de relativiser les revendications syndicales contemporaines. Les leaders syndicaux, qui font sans cesse référence aux grandes conquêtes de 1936 -dont plus aucun Français ne conteste sérieusement les bienfaits... pas moi en tout cas- oublient que le Front populaire, à l'époque, portait les aspirations d'une classe ouvrière vraiment exploitée : semaine de travail de six jours et de 48 heures, pas de congés payés, salaires dérisoires, etc. Depuis, la mécanisation et la tertiarisation qui en a découlé ont achevé d'exaucer les voeux de Léon Blum.
On pourra me rétorquer que le travail est parfois dur, voire aliénant, et ce en particulier dans la grande distribution, domaine d'activité tertiaire et moderne. Je le sais, j'ai pu mesurer l'inhumanité du travail d'employé de magasin à l'aune de l'usure de mes collègues d'Auchan lorsque j'y étais intérimaire à la mise en rayon. Mais justement, ce sont dans les entreprises où les employés ont le plus de raisons de s'insurger -Auchan en est un exemple d'école- qu'ils le font le moins.
A l'inverse, c'est dans des secteurs protégés, publics notamment, que les salariés sont le mieux lotis et qu'ils se plaignent, paradoxalement, le plus. On ne peut que s'étonner que les cheminots, dont le travail s'est considérablement simplifié -doux euphémisme- depuis le passage du charbon et du diésel à l'électricité, fassent davantage grève que les salariés du télétravail ou de la restauration, par exemple.
On peut aussi s'alarmer que les employés de guichet de La Poste, qui, au contraire des facteurs, effectuent un métier facile à défaut d'être gratifiant, mettent une si mauvaise grâce à fournir le service pour lequel les Français paient, en tant que clients et en tant que contribuables.
Je passe rapidement sur ma mésaventure de ce matin : revenu à Lyon pour mes deux jours de congé, je devais poster une lettre à une chaîne de télévision afin d'être rémunéré pour les deux "piges" que j'y ai faites. Arrivé au bureau de poste de mon quartier, je suis tombé nez-à-nez avec une porte grillagée : le bureau est fermé pour cause de vacances. Ce type de contretemps ne justifie pas à lui seul ce billet. Mais il m'a, ajouté à nombre d'autres déconvenues de ce genre, motivé à dire ici ce que je pense depuis toujours.
Comme une grande majorité de Français, je suis attaché au service public. Mon patriotisme, appliqué à l'économie, me fait même rêver à une économie totalement étatisée, où travailleur serait un parfait synonyme de citoyen. Au fond, à l'inverse de Jean-Marie Le Pen qui se disait en 2002 "socialement de gauche et économiquement de droite", je suis, moi, socialement de droite et économiquement de gauche.
Mais contrairement à la gauche béate, je sais aussi que le talent est une denrée rare. Et que le risque que représente le socialisme est d'abandonner la gestion de l'économie à des bureaucrates incompétents. Les incuries de La Poste -colis non distribués, retards de courrier, horaires d'ouverture des bureaux trop restreints- l'illustrent trop bien. Si je me suis converti, par dépit, au libéralisme, c'est parce que je prends acte de l'impasse dans laquelle nous enferme le fameux "modèle" français, dont plus aucun pays du monde ne s'inspire.
Comprenons-nous bien : libéraliser l'économie -et la société, cela va de pair et les "libéraux" français l'oublient souvent-, cela ne veut pas dire faire de la France un pays libéral. Il y a de la marge avant que notre pays ne devienne un paradis fiscal.
En revanche, si l'on pouvait bénéficier des avantages d'une économie plus libérale, qui concernent la vie courante, comme faire ses courses tard le soir, effectuer ses démarches administratives le samedi, ou, pour les plus audacieux, fonder sa propre entreprise, je ne vois pas qui pourrait s'en offusquer. Du moment, bien sûr, que l'on conserve un service public de qualité.
Pour cela, rien de tel que le service minimum, qui garantira les deux droits constitutionnels que sont le droit de grève et le droit au travail. Et qui permettra, si le gouvernement ne recule pas comme il l'a fait sur la réforme de l'Université, qu'un service public affranchi du sectarisme syndicaliste puisse être offert à tous les Français. Les mentalités auront-elles assez évolué pour cela ?
Roman B.


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