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Cégétisme et solipsisme

Publié le 10 août 2007 par Roman Bernard
Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, a déclaré aujourd'hui dans une entrevue accordée au Parisien que "si le calendrier des négociations qui vont s'ouvrir sur le service minimum dans les entreprises se fait au pas de course dès septembre et que le contenu est provocateur, avec notamment la déclaration préalable, il est évident qu'il y aura des conflits à la rentrée, Coupe du monde (de rugby, ndlr) ou pas". En clair, la CGT, spécialiste du chantage social, menace de prendre en otage un événement mondial dans lequel l'image et la réputation de la France sont engagées. Il est vrai que ces deux notions sont totalement étrangères à un syndicat dont les statuts prévoient un "affranchissement" complet du salariat, sans considération de sa diversité nationale ou culturelle.
Cégétisme et solipsisme

La nation, un concept qui fait pourtant recette à la CGT lorsqu'il s'agit de dénoncer les délocalisations, avec des propos frisant parfois le racisme à l'égard des pays émergents. Cette incapacité à dépasser l'Hexagone tout en niant son existence-même, qui caractérise une bonne partie de la gauche française, rend celle-ci complètement schizophrène. Elle pourfend sans relâche le "patronat" -censé être uniforme et monolithique- et le "capital" -notion que la révolution électro-informatique rend désuette- mais elle ne voit pas qu'en donnant l'image, dans le monde, d'un pays sans cesse en grève, elle prive la France de très fructueuses opportunités, dont les premiers bénéficiaires seraient les salariés qu'elle croit représenter.
La Coupe du monde de 1998 avait permis de créer beaucoup d'emplois -ce qui n'était pas étranger à la bonne santé de l'économie française de l'époque-, et les Jeux olympiques de 2012 auraient également dynamisé l'économie française, si leur organisation n'avait pas échu à Londres. Il convient d'ailleurs de rappeler, à ce sujet, que la CGT était au nombre des syndicats qui avaient refusé de repousser une grève lorsque le Comité international olympique (CIO) était venu à Paris pour visiter les installations. La récurrence des grèves faisait partie des points faibles du dossier français, que les Londoniens ont su exploiter avec le succès que l'on sait.
Cette fois, au moins, la Coupe du monde de rugby, troisième plus grande manifestation sportive internationale, est acquise à la France. Raison de plus pour ne pas gâcher cet événement en paralysant la France pour s'opposer au service minimum, dont je me demandais récemment quels étaient les arguments qui pouvaient s'opposer à sa mise en place. Je me le demande toujours.
Ce chantage, déplorable, montre le solipsisme de Bernard Thibault et de la CGT, qui semblent s'imaginer que la France serait une planète où se déroulerait une lutte décisive entre les "exploiteurs" et les "masses laborieuses". Malheureusement, la lutte qui caractérise notre époque est d'ampleur mondiale; les nations, les civilisations qui relèveront et réussiront le défi de la mondialisation devront s'appuyer sur une forte cohérence interne, comme le montrent les succès économiques de l'Allemagne, du Japon, et bien sûr de la Chine. La France, qui détient le record mondial du nombre de jours de grève -lesquelles constituent l'échec du dialogue social, et non sa condition- semble donc, à cet égard, bien mal partie.
Heureusement, tous les syndicats ne sont pas en butte aux exigences du monde contemporain. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, a refusé de façon exemplaire de se joindre à l'odieux chantage pratiqué par les cégétistes :

On ne peut pas prendre en otage le Mondial. Il est essentiel que cela se passe bien pour l'image de la France (...) aucun mouvement social ne peut avoir comme objectif de saboter ça. Pour la CFDT, c'est impossible. On ne peut pas prendre en otage un événement mondial, quelle que soit la cause sociale.

Des paroles que l'on aimerait entendre plus souvent de la part des syndicats. La CFDT, ce qui lui vaut d'ailleurs la haine de l'extrême-gauche et de certains syndicalistes, est le modèle de ce que doit être un syndicat responsable et respectable, c'est-à-dire réaliste et réformiste. Pour que le dialogue social soit à la hauteur de ce que proposent les syndicats modérés, il serait judicieux que soit mise en application la seule bonne idée qu'ait jamais eue Ségolène Royal -avant de se rétracter sous la contrainte des "éléphants"- : rendre obligatoire l'adhésion à un syndicat, ce qui ferait passer le taux de syndicalisation des salariés français de 6-8% à 100%.
Irréaliste? Infantilisant? Totalitaire? Cela permettrait au moins d'avoir des syndicats légitimes, qui pourraient faire remonter aux représentants patronaux et à l'Etat les préoccupations majoritaires des salariés, et crédibles, puisque les mêmes représentants patronaux seraient obligés de tenir compte de la parole de ces syndicats puissants, au risque de s'opposer à tous leurs adhérents. Un dialogue social constructif pourrait donc s'établir, évitant les deux écueils que sont la grève générale pour les syndicats et le passage en force pour les chefs d'entreprise et le gouvernement. Double écueil sur lesquels la France a réussi l'exploit de buter lors de la crise du CPE, l'an dernier.
Mais les principaux opposants à une réforme aussi ambitieuse seraient, à n'en pas douter, les leaders syndicaux actuels, qui perdraient ainsi le monopole de la représentation des salariés au profit de dirigeants qui incarneraient les vraies aspirations du salariat français. Il est beaucoup plus simple de se cramponner à un avantage acquis plutôt que de vouloir concourir à l'intérêt général. L'intérêt général, une noble idée que le nombrilisme ambiant semble rendre bien obsolète.
Roman B.
Cégétisme et solipsisme
A lire, sur le même sujet, l'article de Seb de Ca réagit, collègue de Kiwis dont le regard extérieur accrédite l'idée de ce "francocentrisme" propre à la gauche française.


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