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Quarante ans jour pour jour...

Publié le 24 juillet 2007 par Roman Bernard
...que le général de Gaulle s'est écrié "Vive le Québec libre!" depuis le balcon de l'Hôtel de Ville de Montréal. J'avais introduit cette commémoration, il y a deux semaines, par un article évoquant mon lien avec la Belle Province, et par un sondage -remplacé depuis par celui portant sur le "racisme" de Tintin- où je vous demandais, amis lecteurs, si vous étiez favorable, opposé(e) ou indifférent(e) à l'indépendance de la province francophone.
Quarante ans jour pour jour...
Charles de Gaulle au balcon de l'Hôtel de Ville de Montréal, 24 juillet 1967

A mon grand regret, c'est l'indifférence qui l'a emporté, et nettement, avec 58% des suffrages, contre 42% d'opinions favorables. Le résultat a donc été bien plus défavorable qu'au référendum de 1995 (le "non" l'avait emporté de 0,8 point).
J'aurais préféré que les votes se portassent sur le refus de l'indépendance du Québec, car cela eût au moins témoigné d'une connaissance de la question. Mon opinion n'a pas influé sur l'issue du vote, car si j'ai évidemment voté pour l'indépendance, mon collègue a voté pour l'indifférence, preuve que Criticus s'accorde avec son slogan accrocheur : Criticus, le blog 0% pensée unique.
Je me demande quel eût été le résultat si seuls les Français y avaient participé. L'indifférence aurait été créditée d'un score encore plus écrasant, dont je ne sais pas s'il eût été plus proche de 70 ou de 90%. L'indifférence, nous le savons bien depuis le 21 avril 2002, peut par ailleurs s'exprimer par l'abstention. Passons.
Si j'ai tenu à commémorer ce que je considère comme un événement -en dépit de la froideur avec laquelle la presse et la classe politique françaises, y compris à droite, le reçurent en 1967-, c'est parce que je suis convaincu, peut-être à tort -mais enfin c'est déjà rare d'avoir de réelles convictions- que la question du Québec est cruciale pour l'avenir de la France, et les réactions amusées de ma famille et de mes amis ne me feront pas changer d'avis. Pourquoi est-ce si fondamental?
Parce que, d'une part, la mondialisation fait apparaître une forme d'identité nouvelle, basée sur la langue. Le vecteur linguistique de la mondialisation, dans tous les domaines, étant l'anglais, les locuteurs d'autres langues commencent à prendre conscience de leur identité et de la nécessité qu'il y a à défendre la langue qui les rassemble, dans le cas des mondes hispanophone et arabophone, ou devrait les rassembler, dans le cas du monde francophone.
Ce n'est pas un combat d'arrière-garde, mais bien d'avant-garde que celui pour la diversité linguistique et culturelle, et la résolution de l'UNESCO pour que les biens culturels ne soient pas considérés comme des biens économiques à part entière l'a bien prouvé. Sans celle-ci, il est impossible de penser un monde dans lequel l'uniformité ne prendrait pas le pas sur la pluralité. Plus grave, c'est de la qualité des productions intellectuelles qu'il s'agit, puisque ce n'est qu'avec une palette de langues différentes que l'esprit humain peut s'exprimer avec bonheur.
J'ajoute, à l'intention de ceux qui trouveraient ma conception quelque peu "néo-colonialiste", que la Francophonie, qui rassemble des peuples du Nord et du Sud, a été créée par l'ancien président sénégalais -et ministre du général de Gaulle, on l'oublie souvent- Léopold Sédar Senghor, que l'on peut difficilement qualifier de "néocolonial", à moins d'être d'une extrême mauvaise foi. La Francophonie, en permettant la redéfinition du rapport Nord-Sud, peut donc être l'un des lieux de l'avènement d'un monde multipolaire.
Le Québec revêt une seconde importance pour la France, par rapport à l'Afrique francophone, Maghreb compris, à Bruxelles, à la Wallonie, à la Romandie et au Val d'Aoste. Cet ilôt de francité est en effet isolé dans le vaste ensemble anglo-saxon qui domine le continent américain. La survie d'une contrée francophone immergée dans un océan anglophone sera un excellent laboratoire de la lutte de plus grande ampleur qu'il y aura à mener, en France même, pour la sauvegarde de la langue française.
La situation du français, dans l'Hexagone, est en effet préoccupante. Qu'une langue puisse s'enrichir d'apports étrangers, c'est une évidence. Notre langue doit d'ailleurs sa beauté et sa richesse aux nombreux emprunts qu'elle a faits aux langues germaniques, à l'arabe, à l'italien, au castillan, aux langues slaves et celtiques, qui se sont ajoutés remarquablement à son substrat latin originel.
Mais ce qui m'alarme, c'est que les apports de l'anglais depuis le début du XXe siècle, essentiellement dus à la puissance culturelle des Etats-Unis, appauvrissent la langue au lieu de l'en enrichir. Au risque de passer pour un réactionnaire patenté -mais cela m'est parfaitement égal-, j'insiste pour dire que la qualité de la langue écrite et orale en France s'est particulièrement dégradée au cours des dernières décennies, phénomène qui a également été constaté dans le même temps au Québec.
Quand je parle de la qualité de la langue, je parle évidemment de celle des élites, la seule qui laisse une trace dans l'Histoire -n'en déplaise aux égalitaristes de tout poil. Les romans français sont nuls, la langue des chanteurs d'une pauvreté affligeante, les répliques des films français de moins en moins inspirées, les journaux, soumis à la dictature de l'immédiateté -et donc recopiant les dépêches AFP souvent telles quelles- de moins en moins bien écrits, sans parler des médias audiovisuels, où l'emploi de formules toutes faites tient lieu de rhétorique. La faute, sans doute, au totalitarisme du XXIe siècle, qui est celui de la massification, du nivellement égalitaire, qui tendent à raboter tout ce qui pourrait dépasser la moyenne. L'Université française offre peut-être la meilleure illustration de ce fléau.
Je referme cette longue parenthèse et reviens au cas du Québec, où la façon dont la langue française sera préservée sera riche d'enseignements pour son avenir dans le monde, en particulier en France même. Cela étant dit, l'indépendance est-elle indispensable à la survie du fait français en Amérique du Nord? Bien qu'ayant voté "oui", je n'en suis pas totalement convaincu. Je passe sur le cas du million de Canadiens francophones vivant hors du Québec -essentiellement en Ontario et au Nouveau-Brunswick (Acadie)-, communautés dont la survie relève de l'illusion. Je passe aussi sur l'idée que les Québécois, au nombre de sept millions, pourraient se réjouir de former une minorité importante au Canada (près du quart), pour la simple raison que les Québécois constituent moins 25% du Canada que 3% de l'Amérique du Nord. Précision simple, facile, mais qu'il convenait d'apporter ici.
En fait, ce que je dis souvent à mes amis québécois, indépendantistes ou non, c'est que les souverainistes mettent la charrue avant les boeufs. Ils veulent gagner un référendum pour faire émerger une nation. C'est pourtant l'inverse qui est nécessaire. Le jour où le Québec sera une nation, c'est-à-dire le jour où une nette majorité de Québécois voudra accéder à l'indépendance, sur un projet référendaire clair -autrement dit, pas une solution médiane comme la "souveraineté-association"-, le référendum ne sera plus qu'une formalité. En attendant ce "grand soir", je pense que la solution d'attente a déjà été trouvée par les "Cowboys fringants". Je la soutiens, et j'aimerais que mes compatriotes en fassent autant, sans verser dans la formule facile du "ni ingérence, ni indifférence" qui a prévalu depuis l'audace du général:

Fait qu'd'ici-là j'prends c'qu'y m'reste
De ma fierté de Québécois
Et j'te dis René, à la prochaine fois
Et j'nous dis, à la prochaine fois...

Roman B.
Quarante ans jour pour jour...

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