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Que penser du tour européen donné au défilé du 14-Juillet?

Publié le 16 juillet 2007 par Roman Bernard
Pris dans ma démonstration hier soir, j'ai préféré aborder aujourd'hui le fait marquant du défilé du 14-Juillet : la présence de détachements européens sur les Champs-Elysées, ce qui ne s'était encore jamais vu, si l'on excepte bien sûr les défilés d'armées alliées à la France lors de ses victoires militaires, ou bien, de plus sinistre mémoire, ceux des armées ennemies lorsqu'elles ont envahi Paris.
Que doit-on penser de cela, sinon que Nicolas Sarkozy a tenu, par un symbole plus frappant que significatif, à affirmer son attachement à la construction européenne?
Je n'ai pas besoin de développer une fois encore mon idée sur la question : les défilés militaires m'importent peu, puisque mon patriotisme repose sur des valeurs et non sur des symboles. Mais je dois bien reconnaître qu'en l'occurence, ils ont une importance. Le président de la République a voulu, par cette démonstration de concorde, lancer un appel clair à la construction d'une défense européenne commune.

Je suis hostile à un tel projet, bien que ne pouvant être taxé, au contraire du chef de l'Etat et ses affidés, d'atlantisme. Mais il me semble que l'OTAN, dont le siège est, au passage, situé dans la même ville que la Commission européenne, permet largement de défendre le Vieux Continent contre une éventuelle attaque extérieure.
Si j'ai déjà exprimé des craintes quant à l'avenir de la France et de l'Europe en tant que pôles de puissance, je ne me suis jamais inquiété de leur sécurité : l'Europe est pour l'instant à l'abri de toute agression significative.
Cela, elle le doit surtout à l'Alliance atlantique et à la possession de l'arme atomique par les deux seuls Etats européens que l'on peut raisonnablement qualifier de puissances militaires, et qui doivent notamment cet attribut à leur présence permanente au Conseil de sécurité de l'ONU : la France et le Royaume-Uni.
Si la sécurité de l'Europe est globalement assurée, pourquoi édifier une défense commune? Pour donner à nouveau à l'Europe une force de projection dans le monde, me répondent ceux-là mêmes qui, curieusement, se disent souvent "pacifistes".
Commençons par le commencement. Si l'Europe est incapable d'agir militairement autrement que sous le commandement de l'OTAN -donc sous commandement américain-, c'est parce que les investissements engagés par les 25 autres Etats européens en faveur de la Défense sont notoirement insuffisants. Si l'on veut édifier une défense commune, il faut donc augmenter, dans chaque Etat européen -cela est aussi vrai pour le Royaume-Uni et la France-, la part du budget allouée aux dépenses militaires.
C'est à partir de ce moment que la contradiction entre pacifisme et édification d'une défense européenne unifiée apparaît. Oui, c'est un fait, il faut des armées pour défendre la démocratie. Les bonnes consciences qui s'opposent à cette idée devraient lire des livres d'histoire à la page "années 1930 : montée des périls".
On pourrait donc, en augmentant les budgets militaires, disposer d'une réelle force européenne de Défense, capable de s'engager dans le monde. Mais il n'y a pas besoin, pour cela, d'un commandement intégré unique, qui serait placé sous la tutelle de Bruxelles au lieu de résulter d'une concertation entre gouvernements européens.
Pourquoi suis-je opposé à un commandement intégré européen? Parce que j'estime que si une armée européenne unifiée était créée, son état-major devrait choisir entre deux approches : soit il nierait le caractère national de chacun des contingents qu'il aurait sous ses ordres, au besoin en les mélangeant. Et, dans ce cas, après s'être heurté au départ à la barrière de la langue -non négligeable dans le cas des simples soldats- il devrait imposer une langue commune, qui ne saurait être, ce dont je ne veux en aucune façon, que l'anglais. Si c'est pour être défendus par une armée anglophone, autant l'être par celle des Etats-Unis d'Amérique, c'est plus sûr.
Ou alors, l'état-major européen choisirait une approche plus "confédérale", en plaçant sous son commandement des contingents nationaux interdépendants, mais distincts. Cette approche médiane me siérait, je dois le dire, bien davantage.
Mais dans ce cas, une mise à niveau des 25 Etats autres que la France et le Royaume-Uni est nécessaire au préalable. Il faudrait que 3% de chaque budget national soient consacrés à la Défense, et que les effectifs de l'armée européenne soient calculés proportionnellement à l'importance démographique de chaque Etat. On est encore bien loin de pouvoir disposer d'un contingent allemand majoritaire dans un tel dispositif. Et pourtant, cela serait nécessaire pour une réelle pertinence de la politique de défense européenne. Je pourrais aussi aborder les questions liées à l'armement et à l'équipement, mais je dois revenir sur la question de la langue, cette fois du côté de l'état-major : quelle pourrait être sa langue, sinon l'anglais?
L'unité linguistique du commandement est en effet indispensable pour que les décision prises aient quelque cohérence. Dificile d'imaginer, dans une situation de crise, voire de guerre, un dispositif de traduction comparable à celui utilisé au Parlement européen de Strasbourg, où les propos d'un eurodéputé estonien peuvent parfois mettre plusieurs minutes à être traduits à la délégation maltaise. Or, une fois encore, je ne saurais me résoudre à être défendu par une armée anglophone.
Je suis persuadé que la solution ne réside pas dans une fusion des armées d'Europe mais bien dans la concertation intelligente de ses gouvernements et de ses états-majors, que l'invasion de l'Irak en 2003 a mis en péril pour longtemps encore.
D'une manière générale, je suis opposé à une approche fédéraliste, voire unitaire de la construction européenne, qui ferait perdre à l'Europe sa diversité, qui constitue pourtant sa force. Je dis bien "qui ferait perdre à l'Europe sa diversité" car si l'Union se pose souvent comme une alternative au monolithisme supposé des Etats-nations, elle ne pourrait, là encore, qu'imposer la langue anglaise aux peuples européens pour que ses politiques rencontrent quelque efficacité. Cela, je ne le veux pas, et c'est pourquoi j'estime qu'en matière de défense comme dans tout autre domaine, l'approche doit être confédéraliste, voire intergouvernementale. Voilà où réside la clé de la construction européenne. Prendre un autre chemin serait inefficace mais aussi dangereux. Les années à venir seront, à cet égard, décisives.
Roman B.
Crédit photo : David Monniaux, char Leclerc sur les Champs-Elysées, 14 juillet 2003

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