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Complices malgré eux (suite)

Publié le 12 septembre 2007 par Roman Bernard
Dans mon avant-dernier billet portant sur la prostitution, j'expliquais pourquoi je suis favorable à son encadrement pour la contrôler et en limiter les excès, au lieu d'une prohibition -avec aberrante poursuite du client à la clé- qui risquerait paradoxalement de renforcer les réseaux de proxénètes, allant ainsi à l'encontre des résultats escomptés. En post-scriptum, je disais également que je pensais peu ou prou la même chose pour la consommation de cannabis.
Le Chafouin, de Pensées d'Outre-Politique, blog dont j'apprécie la qualité et le sérieux -et pas seulement parce que c'est un Kiwi- avait réagi de façon assez surprenante -pour moi- en utilisant des arguments comparables à ceux employés par la féministe Michèle Vianès, favorable à l'interdiction, sur le forum Blogger's Club de l'hebdomadaire Lyon Capitale.
Mon post-scriptum sur le cannabis visait à introduire un nouveau billet. Sans jeu de mots, je dois dire que le même Chafouin m'a coupé l'herbe sous le pied en publiant aujourd'hui un billet contre la légalisation de la consommation de cannabis.
L'auteur part d'un constat qu'aucun esprit raisonnable ne saurait contester : le qualificatif de drogue "douce" est une aberration, ce que confirment les résultats des études qui prouvent que la consommation régulière de cannabis est particulièrement nocive. Les partisans du renforcement de la lutte contre le cannabis, qui se banalise dangereusement dans notre génération, oublient cependant de mentionner que cette lutte est déjà très importante : si les consommateurs de cannabis sont peu inquiétés en tant que fumeurs effectifs, ils le sont en revanche bien plus en tant que revendeurs potentiels. La limite de masse, lors des contrôles de police, étant fixée à une vingtaine de grammes (au-delà de laquelle le fumeur est considéré comme revendeur), il est aisé d'être considéré comme dealer par les forces de l'ordre et de comparaître devant un Tribunal correctionnel. Je dois dire que cela m'émeut assez peu, les prévenus étant informés des risques qu'ils encourent.
Mais le phénomène est d'une telle ampleur que, pour que la consommation de cannabis cesse d'être généralisée, il faudrait un dispositif de lutte encore plus drastique, détournant du même coup les forces de l'ordre, qui manquent déjà de moyens, de matériels et de personnels, vers un accroissement de cette "chasse au cannabis".
Pour quel résultat ? Est-il raisonnable, sans aller vers un Etat policier -je serais fort étonné que le Chafouin souhaite cela-, de vouloir ainsi traquer les fumeurs, qui pourront toujours se replier sur la sphère privée pour échapper à la répression ? Et ne risque-t-on pas, ce faisant, de refouler, au propre comme au figuré, la consommation de cannabis à la marge de la société, de la même manière que les caméras de surveillance déplacent la violence et que l'interdiction de la prostitution ferait apparaître un proxénétisme de caves et de recoins ?
Ceux qui ne pensent pas comme moi sur ce sujet dénoncent souvent mon cynisme et considèrent mon pragmatisme comme une justification non assumée des vices qu'ils veulent combattre. Ils savent pourtant bien que les maladies sociales que j'esquissais dans l'avant-dernier billet -alcoolisme, toxicomanie, prostitution, addiction aux jeux d'argent, hooliganisme, etc.- ont des causes profondes, et que l'interdit ne les fait guère reculer -voire qu'il les encourage comme dans le cas du cannabis, qui possède les atours séduisants de la transgression et de la subversion pour les jeunes consommateurs, qui veulent souvent braver la loi en fumant. Qu'ainsi, une application à la lettre de l'interdiction du cannabis ne serait qu'un encouragement supplémentaire à l'économie parallèle, la marginalisation des consommateurs, le risque qu'ils adoptent une attitude violente et antisociale, etc.
Le Chafouin, dans son commentaire à mon billet sur la prostitution, estimait que l'Etat et le politique doivent moraliser les rapports sociaux. Je suis entièrement d'accord avec cette idée, car j'estime comme lui qu'il n'y a pas de politique sans morale. Mais elle ne reste qu'à l'état d'idée si elle n'est pas portée par une considération pratique : pour moraliser les rapports sociaux, il faut en avoir le contrôle.
Un monopole d'Etat de la distribution de cannabis pourrait être le moyen de mener une lutte progressive contre les accoutumances de la société à cette drogue, en lui faisant perdre ses aspects transgressif et subversif, mais aussi en coupant les vivres aux réseaux mafieux qui utilisent la désespérance des Français pour mener leur odieux commerce. La drogue perdrait ainsi de son pouvoir d'attraction.
Cela serait aussi le moyen de contrôler la qualité du shit, qui est souvent coupé avec du pneu ou de la colle aujourd'hui -avec des conséquences désastreuses pour le cerveau. Les idéalistes de la lutte contre la drogue doivent accepter que celle-ci vient combler, certes de façon malsaine, une lacune de la société.
Une plus grande répression, même accompagnée d'actions de prévention -dont les effets semblent limités, au vu de la banalisation du cannabis chez la jeunesse de France- ne pourra jamais pallier cette carence. Pire, elle risquerait d'accroître la souffrance des toxicomanes, pour lesquels la drogue, ce qui est triste, constitue le seul horizon à court terme. Le mal étant déjà fait, il faut soigner la maladie sociale qu'est la toxicomanie de façon continue, ce qui implique d'abord d'accepter qu'elle existe. Cela n'empêche pas, parallèlement, de s'interroger sur les raisons qui peuvent pousser un jeune à s'auto-détruire, bien entendu. Cela, c'est aussi l'objectif de partisans du renforcement de la répression contre la consommation.
Le désaccord est donc essentiellement d'ordre pratique. Si je suis d'accord sur l'essentiel avec les idées développées par le Chafouin dans son billet, mon désaccord vient de la méthode qu'il pense légitime d'employer pour lutter contre ce fléau. L'expression "complices malgré eux", volontiers provocatrice, ne vise pas à faire des partisans du statu quo des "angélistes". Ils connaissent la complexité du problème, et en sont arrivés à la conclusion que la moins mauvaise des solutions est de renforcer la répression. Pour ma part, j'estime que la toxicomanie préexistant à la lutte contre celle-ci, la répression, tout comme la prévention, auront toujours une longueur de retard. Tandis que la canalisation par l'Etat de la distribution et de la consommation de drogue, si elle n'est pas glorieuse, aurait au moins le mérite de prendre la mesure du phénomène pour y apporter des réponses lentes, parcellaires, fragiles, mais seules à même de réduire ce mal qui mine nos sociétés occidentales.
Roman B.

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