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[F] Bouvard et Pécuchet. Dictionnaire des idées reçues.

Par Nibelheim

"Ceux qui lisent un livre pour savoir si la baronne épousera le vicomte seront dupés."

Difficile de parler de Bouvard et Pécuchet. Ce dernier roman, que Flaubert laissa inachevé nous apparaît dans toute son ambiguïté et sa bizzarerie ... Mais Cleanthe avait raison à ce sujet : c'est aussi et surtout un véritable bijou.
[F] Bouvard et Pécuchet. Dictionnaire des idées reçues.
Bouvard et Pécuchet, c'est l'histoire de deux hommes, deux médiocres, qui se rencontrent par hasard un dimanche et se découvrent nombre de points communs. Ils se retirent tous deux à la campagne, et se mettent à étudier différentes disciplines, sans logique ni hiérarchie, multipliant les bourdes et se gargarisant d'un savoir qu'ils ne maîtrisent pas. Autour d'eux, des domestiques, des notables, une foule de personnages secondaires qui gravitent tout autour de cet étrange couple, croient (un instant) à leurs fanfaronnades, s'en moquent, les rejettent. Bourré d'humour, Bouvard et Pécuchet est surtout un livre vertigineux. On est bien loin de ces ouvrages où un narrateur omniprésent nous assène des vérités bien senties : ici, le narrateur se fait tout petit, se dissimule derrière les discours, présentant au lecteur un ensemble volontairement hétéroclite où l'on se perd ... Sans forcément pouvoir décréter qui pense quoi, et quel serait le positionnement de l'auteur. Le livre se place ainsi sous le signe de l'ambiguïté ... Même les figures de Bouvard et Pécuchet, que l'on serait tenté de classer rapidement sous le seul signe de la caricature et de la farce, sont difficiles à saisir. De véritables imbéciles ? On nous précise pourtant qu'au fil des lectures, leur intelligence se développe. Pourtant, et ce jusqu'à la fin, la moindre de leur entreprise se solde toujours par un échec plus ou moins cuisant ... A la fois sujets et objets de la critique, ces deux personnages apparaissent aussi drôle qu'effrayants. Ridicules, certes, mais également de plus en plus lucides face à la bêtise d'autrui. Très drôles dans leur quête desespérée d'instruction, mais dérangeants dans leur absence de méthode ... Ne sommes-nous pas tous, de prêt ou de loin, des Bouvards ou des Pécuchets ?
Le travail mené par l'auteur pour réaliser cet ouvrage est tout simplement impressionnant. Flaubert aurait en effet lu plus de 1500 livres, et ce dans des domaines très divers, pour traiter des expériences et des lectures de ses deux personnages. Le roman se présente en quelque sorte comme une somme critique des connaissances du temps. Bouvard et Pécuchet est un livre sceptique et destructeur : par l'intermédiaire des deux personnages, sont convoqués les théories les plus contradictoires, des thèses vérifiées et des sottises incommensurables, des informations tirées d'ouvrages antiques et de livres modernes, sans suite et sans aucune hiérarchie. Et malgré cette somme d'informations, demeure toujours cette incapacité à saisir le monde, et à vivre auprès des autres. Le rythme du roman, volontairement répétitif, semble mimer cette impossibilité : on nous présente successivement l'intérêt des protagonistes pour une "science", leurs expériences, l'échec qui en découle (ou pas) et la naissance d'un nouvel intérêt. Au final, Flaubert à travers ce livre s'attaque à la confiance aveugle en la science, mais aussi aux systèmes de pensée, aux lieux communs et autres idées reçues.
Flaubert avait écrit dans sa correspondance que "la bêtise consiste à vouloir conclure." ; il fait de Bouvard et Pécuchet une œuvre ouverte, un appel à la réflexion, un ouvrage dérangeant et démystificateur. Malheureusement inachevé (demeure un scénario très complet du dernier chapitre et une ouverture vers une possible suite, copie des deux bonhommes, recensement de bêtises et des idées reçues), le roman semble présenter une boucle jamais refermée. Ajoutons à cela que c'est une lecture qui vient remettre en cause (une fois de plus !) la fameuse étiquette de "réaliste" qu'on aime poser sur Flaubert. Si le roman repose sur une impressionnante documentation et découle d'un important travail préparatoire, l'auteur peint des personnages caricaturaux et presque farcesques, comme figés dans le temps alors que des années sont sensées se passer du début à la fin de l'histoire. Bouvard et Pécuchet, drôle et terrifiant à la fois, semble bien plus tenir du conte philosophique que du roman réaliste ...
Voilà une lecture assez déstabilisante. Mais il y a quelque chose de très agréable à se voir secoué un peu et interrogé dans nos comportements et nos modes de pensées. Ce que fait Flaubert par l'intermédiaire d'un ouvrage truffé d'humour, multipliant les épisodes truculents et les énumérations absurdes.

Publié par Nibelheim aux alentours de 10:01 |
Libellés : Challenge ABC 2009, Lecture


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