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“Idéal sécuritaire : des lendemains de gueule de bois”

Publié le 01 mai 2009 par Colbox

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Par Daniel Bourla, psychiatre-psychanalyste

Source : philosophie.blogs.liberation

C’est en 2011, quelques mois avant les élections, qu’Il a proposé son “nouveau modèle” de Société sécuritaire. Il fut réélu avec 52 % des voix pour ne pas ralentir “le train des réformes” par une population atone, laissée groggy par la crise financière et sociale, déçue par une opposition qui n’en avait plus que le nom, et dont les principaux ténors avaient accepté des ministères ou des fonctions honorifiques. Le nouveau modèle est un programme en cinq points: suppression des prisons, contrôle des malades dangereux, participation, identité et suivi. Un programme en passe d’être repris par plusieurs gouvernements, et renforcé par la mise en application du “Principe Premier” ajouté au préambule de la Constitution.

Dans les années 2010, la situation dans les prisons était catastrophique: une population carcérale deux fois plus élevée que le nombre de places existantes, des milliers d’enfants de douze ans incarcérés (il avait fallu installer des préfabriqués dans les jardins des administrations de la capitale et dans les préfectures en province), un taux de suicide effrayant. La mesure phare du programme a été claironnée par les médias: “La suppression des prisons”. Pour remplacer les prisons (à l’origine de nombreuses condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme). Il a fait construire des centaines de “maisons pénales”, avec une montée en force du dispositif au point que la capacité d’accueil aujourd’hui dépasse trois millions de places.

Il existe trois sortes de maisons pénales: les maisons vertes (qui n’ont rien à voir, hélas, avec celles de la regrettée Françoise Dolto), les maisons oranges et les maisons rouges. Une signalétique simple, comprise par tous, s’inspirant des feux tricolores qui régulent la circulation automobile. Les maisons vertes, à taille humaine et intégrées dans la cité, reçoivent les détenus les moins dangereux, en fin de peine, ou des prévenus en attente de leur procès (l’ancienne détention provisoire). Un système de sécurité basal (de simples barreaux aux fenêtres), des surveillants en petit nombre. Les détenus bénéficient de permissions de sortie –certains peuvent exercer une activité professionnelle à l’extérieur– , ils peuvent recevoir la visite de leur famille et sont dispensés des mauvais traitements qui ont cours, à des degrés variables, dans les autres structures.

Les maisons oranges, un cran au dessus, accueillent des détenus moins dociles, les jeunes en général, les condamnés à des peines de durée moyenne (15 à 20 ans). Mais on y retrouve aussi des citoyens qui sans avoir été condamnés, font l’objet d’une mesure de sûreté en raison d’une dangerosité potentielle, selon l’avis des psycho-criminologues (infirmiers et psychologues, recrutés par le ministère de l’Intérieur, ayant bénéficié d’une formation de quelques semaines pour évaluer le “risque social” de certains citoyens: opposants politiques, syndicalistes, journalistes…).

Les maisons rouges, à la différence des premières, n’ont pas été construites, elles existaient avant l’entrée en vigueur du dispositif (ce sont, ainsi rebaptisées les anciennes prisons). Elles reçoivent les criminels dangereux, récidivistes, et ceux qui sont susceptibles de tenter de s’évader. Les conditions d’incarcérations sont encore pires que celles des années 2000-2010, leur personnel “spécialisé” dispose d’une véritable immunité en cas de bavure. Pour être exhaustif, nous devons signaler l’existence d’un “Centre de détention anti-terroriste” situé sur une petite île du Pacifique (la location du site de Guantanamo s’étant avérée trop onéreuse pour le budget du ministère de la Justice) qui peut détenir toute personne “soupçonnée d’intentions voire simplement de pensées terroristes”.

Dans chaque agglomération, Il a fait édifier une “maison blanche”, destinée à ceux, délinquants ou non, qui “présentent un danger pour la sûreté des biens, des personnes ou de l’ordre public”. Les maisons blanches peuvent détenir, sans limitation de durée, et sans aucune décision de justice tout citoyen dès lors qu’il présente au moins un des troubles mentaux répertoriés dans le DSM IV (manuel de diagnostic et de statistique des psychiatres américains), des troubles pouvant aller de la phobie sociale bénigne (comme la peur de rougir en public) à la schizophrénie, en passant par l’insomnie (”maladie” particulièrement grave car susceptible de troubler la quiétude du voisinage).

Devant l’impossibilité de recruter et de former assez de gardiens pour les maisons pénales dont le nombre devrait doubler tous les 15 ans selon les prévisions des experts, Il a mis en place le “S.P.O.” Service Pénitentiaire Obligatoire. Tout citoyen, homme ou femme, âgé de 25 à 65 ans, participe au S.P.O. à raison de 4 semaines par an (les anciens RTT), en étant affecté dans une maison verte ou jaune. Les professions médicales et para-médicales sont prioritairement affectées aux maisons blanches (seules les maisons rouges, pour des raisons de sécurité et de confidentialité de ce qui s’y passe, ne bénéficient pas du dispositif S.P.O.).

Très vite, les effets bénéfiques du S.P.O. se sont fait sentir: l’encadrement des détenus s’est avéré être un véritable traitement comportemental pour chaque citoyen, l’aidant à mieux respecter la Loi. Avec l’aide des psychothérapeutes TCC (Thérapies Comportementales et Cognitives) les modalités du S.P.O. ont été évaluées et affinées pour en renforcer les effets bénéfiques. Certains citoyens, correspondant à un profil déterminé par les spécialistes TCC, se sont vu imposer des périodes de S.P.O. plus longues, dans le cadre du dispositif de prévention de la pré-délinquance: cette mesure concerne principalement les lecteurs d’ouvrages philosophiques, les amateurs de tenues excentriques ou démodées, les personnes sensibles à des idéologies libertaires ou montrant une mauvaise assiduité aux programmes télévisés.

Après avoir réglé en quelques années les problèmes d’Identité Nationale (les services de l’Etat, au rythme de 750.000 reconduites à la frontière par an, avaient expulsé la totalité des étrangers en situation irrégulière et surtout ceux en situation de pauvreté), la question de l’identité de chacun est devenue le point central de la prévention. L’anonymat des grandes villes, facteur de criminalité selon les experts, devait disparaître. L’installation de quinze millions de caméras de vidéo surveillance s’est avérée insuffisante, la Loi impose désormais à chaque citoyen de porter à tout instant (de jour comme de nuit, y compris à son propre domicile) deux badges d’identification (un devant et un sur le dos) comportant le nom, le prénom et un numéro personnel d’identification. L’accès aux piscines, aux plages, aux saunas… est conditionné au fait de porter les éléments d’identification en tatouage (temporaire ou définitif).

C’est au moment où la loi sur l’identité est entrée en application qu’Il a décidé de la réforme langagière: l’usage des pronoms personnels dans les écrits et les conversations a été interdit par la Loi “toute personne doit être nommée”. Cette Loi fut l’occasion pour Lui de décréter un autre interdit, celui de citer Son Nom (alors que selon l’étude d’un Institut de Mesure, Son Nom était le mot le plus souvent relevé dans les médias, jusqu’à 8.500 occurrences par jour dans la vingtaine de quotidiens retenus pour effectuer les statistiques). On ne peut désormais parler de Lui qu’à la troisième personne, ce qui Lui assure le monopole du pronom “Il”, qu’on doit employer avec une majuscule.

La géo-localisation (bracelet GPS) ayant fait la preuve de son efficacité, Il a décidé, en 2013, de l’imposer à la tranche d’âge la plus problématique en terme de sécurité sociétale: les 10-25 ans. L’expérience ayant eu des effets très positifs selon les statistiques officielles, l’année suivante la tranche d’âge a été élargie (de 3 à 30 ans). En 2015, après qu’Il se soit montré dans une émission de télévision du dimanche après-midi avec, à la cheville, un bracelet de géo-localisation incrusté de diamants, Il a imposé le port du bracelet à tout citoyen, dès la naissance, ainsi qu’à toute personne foulant le sol français. Cette mesure reste en cours d’évaluation mais ses débuts sont prometteurs et elle a été copiée par de nombreux pays industrialisés (et on ne saurait oublier de mentionner l’impact économique très favorable de cette mesure puisque le prix de la location du bracelet –qui reste la propriété de l’Etat– fait rentrer plus d’argent dans les caisses que tous les impôts et taxes réunis).

La mise en application du “Principe Premier”, ajouté au préambule de la Constitution, a été une véritable révolution dont nul ne peut contester l’utilité. En partant de prémisses simples: la Loi est égale pour tous, et nul n’est censé ignorer la Loi, Il a décidé de regrouper et de simplifier tous les Codes (Civil, Pénal, Code de Procédure Pénale, Code des Impôts…) en les limitant chacun à 60 articles, lisibles et compréhensibles par tous. Chaque article doit comporter au maximum 160 caractères (lettres ou espaces) pour tenir dans un SMS. Ainsi, à chaque modification d’un texte de loi (une à deux fois par an, en fonction des nécessités du moment, des attentes de certains grands groupes industriels, ou simplement de Ses amis souhaitant ne pas être troublés par des promeneurs sur une plage, dans une forêt…), chaque citoyen en est immédiatement informé par SMS (le téléphone mobile est obligatoire à partir de l’âge de 6 ans), et la sanction éventuelle peut être appliquée avant même la publication au Journal Officiel.

Voilà le “nouveau modèle” d’idéal sécuritaire. Nos concitoyens, bercés, enivrés d’idéologies sécuritaires, se réveillent aujourd’hui avec la gueule de bois pour vivre des matins bling…

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