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Gillian GENEVIEVE : "Sédar" (mention Prix Léopold Sédar Senghor)

Par Ananda

Je ne sais en quel temps c’était, je confonds toujours présent et passé comme je mêle la mort et la vie – un pont de douceur les relie. Léopold Sédar Senghor.

Mille nuits africaines font palpiter ce souffle rythmé par des vers qui tourbillonnent dans cet espace clos. Nulle ouverture. Rien qu’un imaginaire pur, noir, sali par la poussière de la savane. Mais la langue n’est pas. Elle n’est que balbutiement, esquisse fade d’une pensée nègre qui n’ose pas encore se prononcer, d’une pensée nègre qui palpite sous le mensonge d’un complet veston.

Assis, tu te colonises, volontaire, habillant ta pensée de vers d’une terre lointaine, d’une terre verte et grise aux parfums de la lavande et de la camomille. Cette terre, elle est cependant aussi la tienne, car il habite ton âme, fantasme issu de l’enfance, de cette nuit qui nous invente une parole, des mots, une langue, une identité qui finit par se confondre avec ce cœur sénégalais qui refuse d’abdiquer.

Tu as décidé de te taire. Les livres qui t’entourent parleront à ta place. Tu te soumets. Car tu n’es pas encore né. Il te reste à t’inventer. En attendant, tu parles une langue qui n’est pas la tienne. Tu es parnassien. La rime, cette sécheresse d’une poésie sans saveur, d’une poésie privée du nectar dégoulinant de la mangue, fruit interdit d’une Afrique piquante et sucrée, brûlée par la lumière cruelle et suffocante de Dakar, te prive de la violence des mots venus du désert noir.

A Paris, s’entremêlent le souffle rédempteur de la liberté loin de la terre africaine opprimée, et le trouble, salvateur aussi, d’une négritude prête à vociférer ses premiers émois, mais qui, étouffée par la force du verbe et d’une grammaire que tu feras tienne dans l’exaltation et la symbiose, unique, d’une terre aride et sensuelle et d’un continent arrogant et sec dans sa raison pure, balbutie encore une syntaxe aléatoire.

Des rencontres. Hommes de couleur, hommes blancs. Une confrontation nécessaire à la gestation d’une pensée unique : tu seras le griot aoïdos ; un nègre hellénistique, chantant les Odes de Pindare au rythme de Kim Ndyom. La césure dans cette âme en ébullition sera violente mais jamais destructrice ; elle engendrera, de sa semence grise, une langue nouvelle, une identité bâtarde mais fière de l’être : la francophone, fille de la francité.

Mais le sentier est encore long. C’est la grisaille de la Normandie, terre d’accueil, qui te prive encore de l’éclat du baobab. Mais il trémousse en toi. Tu sens sa palpitation, vive, lancinante, criante d’une vérité qu’il ne t’est pas encore possible de nommer, toi, aussi fils de Joal, sérère, fils de l’Universel.

Sédar -celui qui n’a pas honte-ce prénom prédestiné que tu portes, sera, aussi, le nôtre ; sera aussi notre étendard : il ne nous sera plus permis d’avoir honte… Et ton verbe, sali par le souffle noirci des colonisés nous donnera cette langue macérée dans le sang des humbles, nous redonnera l’orgueil d’errer sur ce continent maudit par les dieux. Malgré tout.

Oui, malgré ou grâce à l’habit de l’académicien qui sommeillait en toi, malgré ton visage taillé par l’orgueil, ta face noire ébène, tes paroles de silex, dures et tranchantes frapperont le monde du sceau de l’Universel. Tu seras Démiurge. Ta langue sera notre être, notre corps, notre esprit. Tu ne sauras, nous ne saurons renier notre passé de soumis mais nous tonnerons notre bâtardise.

Et tu diras : C’est le cri sauvage du soleil levant qui fait tressaillir la terre. Et je renais à la terre qui fut ma mère. C’est en Afrique que naît le soleil. Nous sommes tous des africains. Tu es né de cette blessure.


 

 Gillian GENEVIEVE


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