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Les premiers sourires sont pour soi !

Publié le 04 mai 2009 par Perce-Neige
Les premiers sourires sont pour soi !Il lui arrivait, parfois, d’espérer un autre destin que celui qui leur était réservé. Les chemins incertains qui s’enfonçaient dans la forêt pouvaient, alors, lui sembler autrement prometteurs que ceux qui revenaient, en traversant la campagne endimanchée, vers le village le plus proche. Mais le vertige ne durait pas. C’était, à chaque fois, comme s’il avait dû en passer par ces brèves illuminations pour mieux se ressaisir et appréhender le monde qui lui était donné. Bistouri ne croyait guère aux forces de l’esprit et n’aimait pas vraiment paraître y attacher la moindre importance. Il s’éloigna de quelques pas et serra Paul-Henri contre lui. Son fils lui était étranger – étranger à sa chair – comme l’étaient Rose, M. et quelques autres qu’il avait croisées sans jamais vouloir s’attarder à leur arracher un aveu. Pourtant, quelque chose de lui brillait dans ces yeux qui s’écarquillaient de ne rien voir. Quelque chose de lui éclairait ce visage en devenir, ces lèvres qui, plus tard, finiraient par dire ce qu’il ne parviendrait jamais à accepter d’entendre. C’était drôle cette manie qu’il avait de toujours refuser l’évidence. Car Paul-Henri semblait si doux, si réservé, si obstinément tourné vers lui même, qu’il y avait sans doute un secret, non ? Plus tard, bien des années plus tard, Bistouri chercherait à savoir si, dans les romans de Paul-Henri, un peu de ce secret pourrait avoir été révélé… Mais ce serait en vain, toujours en vain. Même devenu silencieux, réduit à tendre la main pour parler, à bredouiller d’incompréhensibles chagrins pour tenter d’expliquer, Bistouri n’en saurait pas plus que ce jour-là… Rose s’esclaffait, l’exhortait à la prudence. « S’il te plait, Julien, pas comme ça ! Le pauvre ne s’en remettra pas. S’il te plait, non, ne le lâ-che pas…. Sur-tout pas ! S’il te plait, at-ten-tion… » Oui, attention ! Car Paul-Henri effectivement s’en remettrait difficilement. Paul-Henri, si sensible, au fond… Sensible à la caresse du soleil, au contour de l’ombre qui grignotait la silhouette des arbres, au loin, sensible au vent qui semblait si prompt à soulever la nappe qu’ils avaient étendue dans la clairière puis, une bourrasque plus loin, à se jouer, espiègle, de la jupe et du corsage de Rose qui riait à gorge déployée en s’offusquant un peu, tout de même. Plus tard, toujours plus tard, quand ces rires auraient cessé, Paul-Henri finirait par croire ne les avoir jamais entendus. Ni n’avoir jamais vu Rose se précipiter, et tendre ses bras, et le serrer contre elle, sans jamais pouvoir le rassurer, pourtant. Ni n’avoir jamais senti le souffle de ces baisers qui l’avaient engendré dans l’odeur fugitive d’un printemps qu’il n’avait pas connu. Se souvenant juste qu’il ne s’agissait pas encore de faire le moindre pas, mais tout de même de se tenir droit, en évitant de chanceler, mi bancal, mi sérieux la main droite dans celle de Rose, la main gauche agrippée à celle de Bistouri, clopin-clopant. Se souvenant juste de ça. De ce bonheur étrange qui n’avait pas duré. 

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