Ce sont deux couples que tout oppose : Pierre et Julia, quarante ans, mariés, profs, parfait petit couple bobo ; Tom et Sarah, bientôt trente ans, des losers de première, ils crèchent en banlieue, n'ont jamais un sou en poche et vivent de leurs charmes. Oups, le sujet s'annonce glissant lorsqu'au début du roman, Pierre rentre de sa journée et prévient sa blonde épouse de la venue d'un couple ce soir, comme convenu. La belle Julia est glacée, mécontente, plus du tout partante. L'homme s'est inscrit sur un site de rencontres, sa femme et lui en avaient discuté, ils voulaient assouvir leurs fantasmes, mais l'heure du dégrisement est venu. Les pendules de l'horloge tournent, pendant ce temps le couple s'engage dans une longue discussion.
De l'autre côté, Tom et Sarah ont la même conversation venimeuse, animée par la rancune, la frustration, la jalousie, l'incertitude. Les deux couples ont en point commun de se poser des questions mortifiantes, sur leurs désirs, sur la vie faite de faux-semblants, sur leur rencontre, sur leurs attentes et pourquoi ils en sont arrivés là.
La soirée s'annonce chaude, tendue, explosive.
Si vous pensiez vous rincer l'oeil, laissez courir. Cette soirée d'échangisme met finalement en avant tous les loupés du couple actuel, « une soirée bancale à l'image même d'une vie où les désirs avaient été rarement exaucés, les ambitions peu satisfaites, et les prières lancées vers un ciel sans fin ».
Cela peut paraître très verbeux, et pédantesque. Au contraire, j'ai eu le sentiment de goûter à une pièce de théâtre. La mise en scène est impeccable, offre un miroir de deux couples au bord de la crise de nerfs, avec la perspective d'une soirée qui va chambouler toutes les données. Dans cette atmosphère étouffante, la vision du couple est écornée. Qu'ils soient des intellectuels branchés ou des exclus des cités, les couples d'aujourd'hui ne sont pas jolis à décrypter à la loupe ! Mariage, désirs, argent, fidélité, réussite : ils essaient de voir clair dans tout cela sans y parvenir.
C'est une radiographie dérangeante, qui mêle un humour grinçant à une franche ironie. La tension y est fort perceptible, et tout vole dans les plumes. Pour un résultat effarant.
J'ai bien aimé !
Plon, 2009 - 232 pages - 18€
extrait :
« Ils vivaient à une époque étrange, où la culture n'était plus la marque de repères et de traditions, mais une incontournable obligation destinée à donner de soi une image valorisante. Autrefois, l'identité faisait la culture. Désormais, c'était la culture qui forgeait une identité. Le résultat, c'était que chacun se forçait à lire des livres, voir des films, courir des expos ou visiter certains pays, juste pour dire qu'ils l'avaient fait. Juste pour avoir l'air d'être quelqu'un de bien. »