Car rien ne paraît marcher comme prévu. D'abord, les éleveurs - coptes, dans leur très grande majorité - restent convaincus que la mesure est discriminatoire contre les chrétiens et n'amènent leurs animaux qu'au compte-gouttes. De surcroît, la désorganisation chronique du pays vient freiner une décision incomprise, alors qu'aucun cas de grippe H1N1 n'a encore été recensé en Egypte, et qu'on ne dispose pas de preuve, à ce jour, que le virus se transmet de l'animal à l'homme.
Dans la chaleur de l'abattoir, les chefs vétérinaires ont déjà fait le calcul. "Moins de mille porcs ont été abattus en quatre jours", reconnaissent-ils officieusement. Le pays compte deux établissements, l'un au Caire, l'autre à Alexandrie, voués à l'abattage des cochons : on ne mêle pas ces derniers, frappés d'un interdit alimentaire religieux, aux autres animaux. "Chacun a la capacité de traiter mille têtes par jour. Autant dire qu'à ce train-là l'extermination du cheptel prendra plusieurs années", assure un haut fonctionnaire au ministère de l'agriculture souhaitant garder l'anonymat.
Le ministre de l'agriculture, Amine Abaza, a bien annoncé l'importation de trois machines spéciales pour électrocuter les cochons et augmenter l'abattage total à trois mille bêtes par jour. Mais la tâche paraît impossible. Personne n'est capable de recenser le nombre de porcs sur le territoire, et le chiffre le plus communément admis de 250 000 est invérifiable. Personne n'est capable non plus d'imaginer ce que l'on fera de la viande. Les vétérinaires reconnaissent tout bas que la capacité des chambres froides du pays est à l'évidence insuffisante. "Je ne sais pas quoi faire des carcasses", confie l'un d'eux.
Même saines, elles sont devenues invendables, maintenant que l'opprobre a été jeté sur le porc, y compris parmi les 8 % de chrétiens que compte l'Egypte, et qui sont les seuls, avec les touristes, à en consommer. Enfin, les zabbalines, ces chiffonniers coptes qui élèvent des cochons dans les quartiers pauvres du Caire, annoncent leur intention de cacher leurs bêtes.
L'Egypte s'était heurtée à la même fronde, lors de la grippe aviaire qui continue de ravager le pays et de faire régulièrement des morts. Le gouvernement avait décrété, avec raison cette fois, l'abattage des poules et des oiseaux d'élevage. Les habitants les ont cachés chez eux, au sein des familles, augmentant ainsi le risque de transmission... Et l'élevage des poules a recommencé.
Raphaëlle Bacqué Article paru dans l'édition du 06.05.09 source : www.lemonde.fr