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Le libéralisme appliqué aux bistros

Publié le 07 mai 2009 par Nicolas J
Le libéralisme appliqué aux bistrosEncore une passionnante discussion de bistro, hier soir, avec quatre « professionnels de la profession », des aspirants patrons de bistro : des serveurs de bistro – 35 à 40 ans – qui ont assez roulé leur bosse pour envisager de « prendre une affaire ». Ils fustigent le système français sans se rendre compte qu’ils défendent corps et âme un système qui s’apprête à les entuber.
Je vais y revenir mais pour l’anecdote, le début de conversation avait été rigolo, un peu dans le même style. Je m’étais retrouvé dans un rade bien plus tard que d’habitude car j’avais rendez-vous avec un puissant chef d’entreprise pour discuter web, blog et trees… N’ayant pas eu l’occasion de le faire avant, j’ai commencé à dépiauter mes mails sur l’iPhone en finissant mon demi quand mon petit camarade est parti. Progressivement, je me suis retrouvé imbriqué dans la conversation entre les loufiats parisiens qui avaient fini leur journée à Paname et se retrouvaient à Bicêtre, par hasard, après leur journée. Je les connaissais tous pour avoir discuté une fois ou deux le soir avec eux. Leur conversation tournait autour des gens qui n’ont pas de couilles pour refaire mai 68.
Je me suis immédiatement foutu de leurs gueules : ce sont les premiers à gueuler contre les grévistes, les manifestants, … Sauf quand les manifs passent devant leurs rades… Mes camarades sont tous nés après 68. Pas moi (mais pas beaucoup avant, non plus !). J’ai essayé de leur faire comprendre que les circonstances ne sont pas les mêmes : en 68, on était dans une longue période de prospérité, c’était facile et légitime d’avoir des revendications. Maintenant, on est en pleine crise (depuis plus de 30 ans) ; un salarié peut difficilement agresser son patron s’il veut continuer à assurer les charges de sa famille. C’est en tentant de les convaincre que la crise (pas celle ponctuelle que nous connaissons actuellement, celle qui nous fait osciller entre 8 et 12% de chômage depuis 30 ans) avait un avantage pour les patrons (maintenir la pression) que la discussion à dégénérer vers leur propre système : les bistros (donc probablement tous les commerces mais j’achète plus souvent un demi qu’une paire de pompes).
Quand un loufiat expérimenté veut se mettre à son compte pour tenter de faire fortune, il n’a qu’une solution : prendre une affaire. Soit il en achète une petite à 2 ou 300 000 euros qu’il se débrouille pour financer avec ses banques, soit il se tourne vers une plus grosse, 4, 5, … 800 000 euros.
Seulement, personne n’a une telle fortune et aucune banque n’acceptera de financer un bistro avec un patron peu expérimenté. Notre apprenti taulier n’a alors pas d’autre choix que de se tourner vers un investisseur qui achètera une affaire pour lui ou lui en confiera une qu’il possède déjà.
Notre apprenti taulier verse une caution 50 ou 60 000 euros, peut-être, et se retrouve « gérant libre », une espèce de graal dans la profession. Là, passé gérant, il déboursera encore une petite fortune pour agencer un peu son bar et pour payer « la came » qu’il aura à vendre.
Il commence alors à travailler avec un contrat de base assez simple : il doit payer tant pour le loyer du bar (les murs) et tant pour la gérance chaque mois et a une mission ; augmenter le chiffre d’affaire pour augmenter le prix du « fond de commerce ».
Alors, il travaille, travaille, travaille. En fin de mois (pour résumer…), il se retrouve avec cinq chèques à faire (pour résumer…) : le loyer des murs, la location de la gérance, la TVA, les fournisseurs et l’URSAFF. Voire le remboursement du prêt à la banque pour le pognon qu’il a avancé.
Souvent, d’ailleurs, le propriétaire est un de ces fournisseurs ! Tiens, tiens…
Au bout d’un an, son chiffre d’affaire aura augmenté. Soit le propriétaire renouvelle la gérance, soit il le vire s’il n’est pas content (soit le gérant arrête s’il a compris). Dans ce dernier cas, il récupérera la mise de fonds initiale, qui, globalement, lui servira à payer les charges qui restent.
S’il reste, le chiffre d’affaire aura monté, les valeurs de l’affaire et des murs donc auront augmenté en conséquence et les loyers correspondants auront augmenté. Il n’aura d’autre de choix que de travailler, encore et toujours plus, pour payer cette augmentation et augmenter le chiffre d’affaire qu’il se sera promis d’augmenté.
Et toujours, toujours, toujours, il aura bossé pour augmenter le prix d’une affaire qui ne lui appartient pas avec le bâton (se faire virer à la fin de l’année) et la carotte : que le propriétaire lui laisse gagner des sous, voire prendre une participation dans la boutique…
Ca arrive bien sûr ! Mais au bout de combien de temps ? Et quel pourcentage ?
Un jour, quand vous serez dans un bistro à une heure creuse, que le personnel aura le temps de souffler un peu et de discuter avec les clients, interrogez ces loufiats de plus de 40 ans. Tous (ou presque) auront été gérants quelques années. Ils vous raconteront : « Ah ! J’ai tenu une affaire ». Et il poursuivront : « Mais j’ai été obligé d’arrêter, les charges étaient trop importantes ».
Ils penseront, bien sûr, à la TVA, aux « charges » sociales, … Ils évoqueront avec nostalgie ce propriétaire qui leur a fait confiance et verseront presque une larme en disant qu’ils n’ont pas respecté leur contrat, qu’ils n’ont pas augmenté suffisamment le chiffre d’affaire. Qu’ils ont trahi le patron, à cause de l’état qui leur taxe du pognon, du pognon, du pognon.
Jamais ils ne réfléchiront au fait que ce propriétaire, lui, a gagné du pognon, un maximum de pognon : une location de la gérance et une augmentation de la valorisation du fond. Jamais, ils ne penseront que le propriétaire « n’a pas eu la gentillesse » de lui faire confiance mais a gagné du pognon en confiant les risques de gestion et le travail au quotidien à un gugusse sympathique…
Bien sûr, certains auront réussi. C’est un peu comme le loto : il faut des gagnants pour pérenniser le système et inciter les couillons à se lancer.
Les libéraux m’objecteront peut-être que c’est normal, que ce sont les meilleurs qui s’en sortent, patati patata…
Oui, et alors ?
Moi, ça m’amuse beaucoup que les principaux défenseurs du système libéral (vous en connaissez beaucoup de « gérants libres » de grosses affaires et de loufiat Parisiens qui votent à gauche ?) sont les principaux entubés dans cette histoire !
Et qu’après, quand ils ont échoué, quand ils discutent en fin de soirée, au bistro, ils pourfendent les charges sociales et se demandent comment faire fortune, comment ils pourront avoir l’occasion d’avoir un nouveau propriétaire qui leur confiera une affaire, une bonne cette fois !
Ou alors, ils admireront leur patron qui a réussi lui, ou le gérant du bistro où il bosse qui bosse comme un fou.
Demandez aux vieux loufiats autour de vous : « Tiens ! T’as jamais eu envie d’avoir ta propre affaire ? ».

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