Le travail s’amoncelle sur le bureau des grouillots, le rédacteur en chef s’en prend au chef de la rubrique économie qui n’a toujours pas produit les bilans mensuels, court après le plumitif qui s’en prend régulièrement à la gente animale, réclame la publication d’un billet titré “Aucun animal n’est maltraité sur ce blog”, crucifie la femme de ménage qui ne veut pas répondre à un tag.
Le rédac' chef : Le tag, Ada, c’est l’âme des blogs.
Zita : Mais Chef, c’est pas Ada mais Zita. J’ai pas fait votre bureau. J’ai touché à rien.
Le rédac' chef : On va pas en faire une tragédie. Vous la voulez toujours cette prime de salissure ?
Vous savez maintenant pourquoi je suis derrière le clavier pour m’occuper de ce chgat, eschtag, bref. Je lis l’étonnement sur votre visage, vous vous dites, cette Zita est passablement sous-employée. Vous avez raison. Si vous saviez. Et j’en ai des choses à raconter ! Il va s’en mordre les doigts. Vous n’imaginez pas sa dernière lubie : il a dicté à sa sectaire une lettre pour le estaff de Miko. Pour qu’ils changent le bolg mtichlav de catégorie ! Il veut passer de la catégorie “divers” à “littérature”. Un petit changement de rien du tout, de rien, après tout ce qu’il a fait pour Madame Bogolfière. Même que un certain Estalquer le soutient. Y pense que la compétition sera beaucoup plus à son avantage dans cette catégorie où l’usage des mots “business plan”, “stratégie manageriale” et “service qualité” sont quasiment inconnus. S’il savait ce que je lis dans le métro entre Soumoulou et Mazères-Lezons ! Ils s’y connaissent bien plus que ça mais bon, laissons-le à ses illusions.
“Après étude de votre blog il s’avère que les sujets traités dans vos articles ne traitent pas exclusivement de littérature, il ne sera donc pas possible de le référencer dans la thématique demandée.” J’ai réussi à planquer le mail pendant une semaine - c’est moi qui fais le ménage, je vous le rappelle. Et pourtant, ils ont tout fait pour ne pas le fâcher vous reconnaîtrez. Depuis le patron vocifère, se rue dans les couloirs en agitant d’une main quelques scalps poussiéreux, brandissant de l’autre un volume de La Pléiade lardé d’impacts de fléchettes. “Je veux du Gogol, je veux du Tolstoï, je veux du Mendeleïev !”
J’ai appelé d’urgence le gardien de la Réserve naturelle. Il sait ce qu’il faut faire quand on commence à être hanté par les cadavres invisibles. Rien n'y a fait. J'ai pris sa main dans la mienne. J'ai tenté de l'apaiser. "Gavalda !" y se met à gueuler. "Gavalda !"
Et pourtant, c'est pas Ada, c'est Zita.
Zita Kiskunfélegyháza
image : Fondation Bouche d'ombre