Je tourne la clé dans la serrure (identifiant, mot de passe), je mets le courant (charger le blog), j’ouvre les volets pour avoir un peu de lumière (écrire une nouvelle note). Le moteur du ventilo se déclenche. Le fluo clignote trois, quatre fois, puis se met à ronronner. Mon Atelier n’a pas bougé. Il est resté tel que je l’avais laissé, il y a une semaine, avec les outils bien rangés et l’odeur d’huile et de poussière qui flotte un peu partout. Un vieux calendrier au mur. Des boîtes en fer avec des forets, des vis neuves et d’autres foirées, des pointes à béton, un pot de graisse de machine... L’étau est serré. L’établi est zébré de coups de scie, avec quelques pointes plantées dedans par un plaisantin, juste pour voir comment ça faisait. Mon petit touret pour affuter les ciseaux à bois. Les pinces, les tournevis, les scies, les rabots et le vilebrequin sont bien collés dans les formes dessinées sur la cloison en Novopan. Et aussi la caisse avec les outils en vrac.
C’est toujours émouvant de reprendre un blog, après quelques jours d’absence. Par où on commence. Il y a bien quelques brouillons sur l’établi. Je continue les histoires à épisodes, ou je reprends les idées comme elles sont venues. ? Comme celle-là, écrite sur un coin de table. Livrée brute de décoffrage :
Homard, Belle et Sébastien
Patrick Sébastien, dans Paris Match de cette semaine, raconte le plus beau moment de sa vie. « J’avais 33 ans, j’avais une belle voiture, j’étais [à Monaco] avec la plus belle fille du Crazy Horse, la musique jouait des valses de Vienne, on était attablés devant un homard magnifique, il faisait chaud, tout le monde était vivant autour de moi, ma mère, mon fils… » Finalement, le bonheur, c’est simple, pour un blaireau : dîner sur le Rocher avec un homard et une dinde.
Je la publie tout de suite, tiens. Comme ça, c’est fait, on n’y revient plus. Je traînasse, je vérifie, je gribouille… Je regarde les statistiques : un nombre de visites à trois chiffres par jour, même pendant les ponts de mai. Suffisant pour mon bonheur de l’instant.
Un peu de stress, pourtant : j’ai vu que mon système de notation (les étoiles en bas des articles) proposait maintenant des articles qui n’avaient, mais alors rien à voir avec mon blog. D’abord éberlué, puis consterné (certains articles proposés étaient assez tendancieux, j’imagine la tête des visiteurs qui ont lu ça…), j’ai mis le holà en tombant sur le paletot de l’éditeur du widget responsable de cette incurie, et tout est rentré dans l’ordre (1). Comme quand vous rentrez chez vous après quelques jours d’absence et que vous avez une lettre recommandée comminatoire qui n’aurait jamais dû vous être envoyée. Le temps de s’énerver, de passer deux trois coups de fils pour secouer les puces des petits chefs responsables, et on a déjà perdu une partie du bénéfice des vacances.Retour à mes stats. Et là, mon stress s’évanouit, ma figure se détend et se fend d’un sourire comme un fromage entamé. Car je viens de voir la provenance de certains internautes. Celui-là ne se souvenait plus de l’histoire du directeur de zoo et du chacal. Alors il a tapé sur Google “histoire directeur zoo chacal”, rechercher, tac, tac, pouf, pouf et paf, il est tombé sur une page de résultats avec mon blog en tête. Si ça se trouve, il était dans un repas de famille, on lui a fait le coup de «Dis donc, toi qu’es rigolo, si tu nous racontais une histoire, toi qu’es rigolo…». Alors le gars a prétexté une envie pressante, il est allé aux toilettes pour pianoter sur son blackberry, et hop, il a trouvé mon blog avec l’histoire en question. Puis il a tiré la chasse d’eau, il s’est lavé les mains et il est retourné l’air faussement dégagé auprès de ses commensaux, avant de dire un truc genre «Ah oui, au fait, tu voulais que je raconte une histoire. J’en ai peut-être une, attends que je cherche, j’en connais tellement, oui, voilà, alors c’est un directeur de zoo…». De rien, mon gars, c’est cadeau, ça me fait plaisir…
Et celui-là : ça ne s’invente pas, quand même : il était pendu dans le vide à une rambarde et il voulait savoir comment se remontait par la force des bras. Ben c’est simple, tu forces sur tes bras tendus et si tu es assez costaud, tu te remontes. Bon, si tu ne te rappelles plus, tu tapes «se remonter par la force des bras» sur Google et tu trouveras la réponse sur l’Atelier Ted et Eux. Je suis devenu SOS histoires drôles et bras en l’air. Mais je vous en prie, ça me fait plaisir, je vous dis… Pas facile de pianoter dans cette position, cela dit. Magne-toi de trouver, Google. Le gars fatigue…
C’est pas tout ça, on cause, on cause, et le temps passe. Je ne m’ennuie pas avec vous, mais j’ai du taf à finir. Nom d’un chien, où est ma clé de 12 ? Je ne comprends pas, je l’avais laissé ici, je m’en souviens très bien. C’est un monde, ça, quand même. Dès que j’ai le dos tourné, on prend mes outils et on ne me les rend pas. Où est-ce qu’ils l’ont laissé, ma clé de 12 ? Bon, qu’est-ce que je fais, moi, maintenant. Tant pis, je vais chercher sur Google.
(1) enfin, pas tout à fait, là, j'ai vu que ça recommençait...