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Les Français, l’Europe et la Turquie

Publié le 09 mai 2009 par Delits

turquie-ue-1Au Parlement Européen, il est une blague qui se raconte entre députés depuis bientôt cinq ans : lors du processus d’élargissement, l’Union Européenne a fait passer un test de connaissances à un délégué bulgare, un représentant roumain et un diplomate turc. Au premier, Bruxelles a demandé la date de création de l’Union Européenne. Au délégué roumain, on a demandé les noms des signataires du traité. Pour la Turquie, les délégués ont exigé de connaître la météo le jour de la signature du Traité de Rome….

Si l’Europe n’est pas un sujet particulièrement attractif du point de vue de l’opinion publique, la question de l’intégration de la Turquie l’est à plus d’un titre. Ainsi, alors que les élections européennes se profilent et que le scrutin pourrait se distinguer une nouvelle fois par son fort taux d’abstention, la question turque réapparaît dans les médias par le biais de sondages. Ce procédé est digne d’intérêt car il démontre l’impossibilité de passionner les foules pour les élections européennes tout en soulignant le caractère explosif et donc attractif du débat sur la Turquie.

Depuis 1963, lorsque la Turquie a émis, pour la première fois, le souhait d’intégrer ce nouvel ensemble économique européen, l’opinion des Français n’a que très peu évolué .Pourtant, en s’interrogeant sur ses limites territoriales, l’UE démontre qu’elle se cherche encore mais le contexte actuel semble agir fortement sur notre ressenti et notre perception de l’environnement politique et économique. Ainsi, si l’intégration de ce pays dans l’Union Européenne déchaîne les passions, il semble que l’opinion publique entend bien peser dans la décision finale…Sondages à l’appui.

La question turque suscite des réactions diverses dans les états européens

Ankara semble bien être la tête de turc des citoyens européens tant la question de l’élargissement se résume invariablement à un débat sur l’intégration de la patrie de M. Kemal. Un sondage publié au mois de décembre 2004 par l’Ifop fait état de véritables dissensions entre les pays membres. Cette enquête venait clôturer une année civile qui avait vu l’UE reconnaître que « la Turquie satisfait suffisamment aux critères politiques de Copenhague ». L’Ifop a testé l’hypothèse d’une intégration de la Turquie et les résultats témoignent de l’existence de clivages nationaux très marqués selon les pays.

Ainsi, Espagnols (65%) et Italiens (49%) se montrent plutôt favorables car l’arrivée d’un nouveau pays méditerranéen permettrait un déplacement du centre de gravité de l’UE plus au sud. Au Royaume-Uni le soutien est plus nuancé mais néanmoins majoritaire : 41% se déclarent favorables contre 29% qui se déclarent opposés. La vision « commerciale » de l’UE défendue par Londres explique probablement l’accueil favorable qui serait fait aux quelque 73 millions de consommateurs turcs. Enfin, les Allemands et les Français (respectivement 55% et 67% d’opinons défavorables) comptent parmi les plus fervents opposants à l’intégration de la Turquie. Pour ces deux pays l’existence d’une forte communauté turque ou issue du Maghreb pourrait expliquer un rejet manifeste de la population.

L’intégration turque pose toujours problème en France

Le Général de Gaulle avait affirmé le 16 mars 1950 que l’Europe devait aller « de l’Atlantique à l’Oural » afin de ne pas fermer la porte aux pays « satellisés » par l’URSS. S’il avait pu dire de « Brest à Hakkari en Turquie », beaucoup de problèmes seraient sans doute résolus aujourd’hui. En effet, la question turque remet en question les limites orientales de l’Europe et avec elle la nature même de cette union.

Candidate déclarée à l’intégration, la Turquie a véritablement franchi un cap en l’an 2000 quand, sous présidence française, un partenariat a été signé en vue d’une adhésion future. Entre 2002 et 2004 le gouvernement turc a d’ailleurs réalisé d’immenses progrès sur le plan des droits de l’homme, un aspect crucial aux yeux des Européens selon un sondage Ifop réalisé pour le Figaro en 2004. En effet, en mettant fin à l’état d’urgence dans les territoires kurdes, en faisant progresser les droits des femmes, en ratifiant les déclarations de la convention européenne des droits de l’homme et en s’engageant vers un plus grand respect des critères de Copenhague, la Turquie a envoyé un message fort aux Européens et à leurs représentants. Ainsi, selon l’institut CSA, la part des Français se prononçant en faveur de l’entrée dans l’UE de la Turquie a progressé de 33% à 37% entre 2002 et 2004 mais surtout Bruxelles accepta de « donner rendez-vous » (sic) à la Turquie en 2005 pour poursuivre les négociations.

En 2005, l’UE a donc entamé un véritable processus qui s’est conclu par la ratification d’un accord le 3 octobre 2005 permettant l’ouverture officielle de négociation. Pourtant, la campagne sur le referendum avait auparavant fédéré une somme de mécontents venus de tous bords politiques. Le « non » français teinté d’un fort message hostile à l’entrée de la Turquie explique pourquoi en février et en juin 2005, l’institut CSA n’a mesuré que 28% d’opinions favorables à l’intégration turque. Ces quelques données indiquent donc qu’en France, le sens de l’histoire va plutôt vers un soutien progressif à l’intégration de ce qui serait le premier pays musulman de l’UE mais que chaque « rendez-vous européen » s’avère fatal à la cause turque.

Obama au chevet de l’homme malade de l’Europe

Au mois d’avril 2009, l’institut CSA a publié une nouvelle enquête, deux mois avant le scrutin européen et l’on retrouve un chiffre proche de celui de 2004 avec 35% des Français qui se disent favorables à l’entrée de la Turquie dans l’UE. Si l’on se cantonnait à analyser ce chiffre sans observer l’actualité, on pourrait logiquement prédire une chute prochaine du souhait qu’expriment les Français à voir la Turquie devenir un nouveau membre de l’UE, à l’approche des élections européennes du 7 juin. En réalité les événements de ces derniers mois laissent penser que la Turquie pourrait être sortie de son cycle destructeur.

Plusieurs éléments permettent de défendre cette thèse. Tout d’abord, les Français ont été plutôt rassurés par le rôle de rempart joué par l’UE face à la crise. La mobilisation des économies européennes a été saluée et la catastrophe a sans doute été évitée grâce au travail collectif des dirigeants européens. Le second élément qui pourrait conduire à remettre en cause la fatalité d’un rejet de l’intégration turque à l’UE c’est sans doute la perte de puissance des partis d’extrême droite aux dernières élections (Jean-Marie le Pen et Philippe de Villiers en tête). Enfin, et c’est sans doute l’élément le plus marquant, la visite de Barack Obama et son soutien à la Turquie apparaît comme un véritable message à tous les Européens. À en juger par la popularité du nouveau locataire de la Maison Blanche, son positionnement pro-turc pourrait freiner voir inverser le rapport de force en France.

À quelques jours des élections européennes, la question turque refait surface et menace de vampiriser le scrutin tout en remettant en cause l’appartenance de la Turquie à l’Europe. Ipsos avait vu juste en 2002 en interrogeant les Français sur les raisons de leur soutien à la candidature de la Turquie à l’UE ; les « pour » insistaient sur la consolidation de la démocratie, les « contre » préféraient mettre en avant le rempart que constitue le pays face aux menaces du Moyen-Orient…Avec la crise, c’est peut-être l’Europe qui va y gagner. En effet, les Français pourraient bien être amenés à revoir leurs opinions concernant la Turquie à l’occasion de ce nouveau « rendez-vous européen ».


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