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143- Leïla Marouane

Publié le 11 mai 2009 par Ahmed Hanifi

El Watan lundi 10 mai 2009
Leïla Marouane (Écrivaine et féministe)
« Le bilan des femmes est triste mais la lutte ne dois pas s’arrêter »

L’écrivaine et féministe algérienne, Leïla Marouane, vient d’opposer un refus catégorique au ministère de la Culture pour la réédition de son livre La Jeune fille et la Mère. Elle refuse toute compromission avec les autorités tant que le code de la famille demeure en vigueur. Dans son dernier livre, elle retrace l’histoire du féminisme en Algérie avec un rare talent.
Vous êtes très en colère contre les autorités algériennes. Vous venez même de refuser la réédition de votre livre La Jeune fille et la Mère par le ministère de la Culture. Quelles sont les raisons de ce refus ?
Les raisons sont multiples et évidentes. D’abord, parce que je trouve que ce festival panafricain est conçu pour la façade, ensuite la première question que je me suis posée, lorsque j’ai reçu cette proposition via Le Seuil, mon éditeur, était la suivante : la culture sans liberté, à quoi cela sert-il ? Me connaissant, je suis capable, lors d’une quelconque intervention lors du festival, de tenir des propos qui ne plairont pas, notamment à l’égard du régime et de ses militaires. Comme je ne perds pas de vue certaines « affaires » de délit d’opinion dont ont été victimes des confrères journalistes. Aussi, je tiens à rester en accord avec moi-même, je rappelle mes déclarations à l’égard du régime, comme celle qui se trouve sur l’une des 4es de couverture de Les Criquelins (2004) où il est écrit que je renonce à rentrer en Algérie tant que les lois qui le régissent sont en défaveur des femmes. Autre élément rédhibitoire : la corruption qui sévit dans le pays, les placements occultes de deniers publics dans les banques étrangères, la libéralisation sauvage, la privatisation des entreprises et la promotion des investissements soutenus par un ministère ! Par ailleurs, nous continuons d’assister à la précarisation dans laquelle le peuple algérien s’engouffre jour après jour, au point où des jeunes, tristement baptisés les harraga, prennent la Méditerranée afin d’atteindre son nord au risque d’y laisser leur vie. Peut-on participer à un festival de cette envergure (on parle de 78 millions de dollars !) alors que récemment quelque 600 jeunes clandestins morts en mer ont été incinérés par les autorités espagnoles ? Alors que des milliers de familles sont mal logées ou pas logées du tout. Que des jeunes, même les diplômés, sont au chômage ? Je tiens à rappeler que je suis issue de parents révolutionnaires, ma mère, après avoir été torturée par des militaires français pour son engagement dans la guerre d’Algérie, a pris le maquis à l’âge… de 16 ans. C’était en 1958. Jusqu’à sa mort précoce, malgré sa déception, ses colères contre les passe-droits, le clientélisme, la corruption, elle n’a pas un seul jour, un seul instant regretté ce qu’elle a donné pour l’indépendance de son pays. Idem pour mon père qui a abandonné ses études pour la même cause, alors que certains de ses condisciples, dont Mohamed Arkoun, ont choisi de boycotter la fameuse grève des étudiants. A l’indépendance, mon père était commandant de l’ALN. Intellectuel, il a refusé en 1962 de poursuivre une carrière militaire.
Vous pénalisez le lecteur algérien, déjà appauvri sur le plan littéraire, par votre refus…
Pour revenir à mon refus d’être éditée via le pouvoir, je tiens à souligner que je regrette que mes lecteurs algériens ne puissent pas accéder à mes livres sur place. Mais comme je l’ai précisé à mon éditeur, je serai ravie d’être rééditée en Algérie par le biais d’une maison d’édition indépendante. Enfin pour conclure sur cette question, l’actualité, c’est bien, l’éternité c’est mieux.
Vous signez votre dernier livre Le papier, l’encre et la braise de votre vrai nom, Leyla Z. Mechentel. Vous-vous êtes réappropriée votre ancienne identité et donc Leïla Marouane disparaît ...
Leïla Marouane ne pourra pas disparaître. Il est pérenne comme les livres qui portent ce nom que j’ai dû prendre en 1996, lors des années de sang. Une sorte de protection qui, de toute façon, a été très vite révélée par Pierre Assouline, à l’époque directeur du magazine Lire. Je suis traduite dans plusieurs pays et récemment un éditeur new-yorkais a acheté les droits de mon avant-dernier ouvrage. La question est : vais-je retrouver mon nom de romancière (Leïla Marouane) où garderai-je mon nom de naissance et de journaliste (Leyla Mechentel) ? Je ne le sais pas. Pour mieux répondre à votre question, j’ai repris mon ancien nom pour répondre à certains lecteurs qui croient que je me « cache », et par là, pour faire tomber cette espèce de musellement qui ressemble à s’y méprendre à de l’autocensure non pas dans mes écrits, mais dans mes prises de paroles. Sinon d’autres raisons existent qui relèvent du privé, que je révélerai certainement quelque part, sûrement dans un livre.
Votre dernier livre retrace l’histoire du féminisme algérien depuis l’indépendance. Vous semblez désenchantée. La colère a-t-elle cédé la place à la résignation ? Quel bilan faites-vous de cette lutte ?
Désenchantée, oui. Résignée, non, car des camarades, femmes et hommes en Algérie, mais aussi ici, en Europe, continuent le combat. Les moyens sont divers et différents, mais tous conduiront à un résultat. Tous ces combats, je l’espère, finiront bien par porter leurs fruits. Inchallah, par la volonté des femmes et de ces hommes. Qui aurait crû assister à des révolutions sociales telles que celles qui n’ont de cesse de naître dans les pays d’Amérique latine, portant au pouvoir des personnalités hostiles à la mondialisation ? Je pense notamment à Hugo Chavez, au Venezuela. Le bilan des femmes en Algérie est certes triste, mais la lutte ne doit pas s’arrêter, loin s’en faut. Aucun et aucune de nous ne doit baisser les bras. On doit penser à l’héritage que nous laisserons aux générations montantes. Apprendre aux jeunes d’aujourd’hui les valeurs universelles qui font d’une nation un Etat de droit. A ce titre, un Etat de droit se distingue d’un Etat policier par le respect des droits de l’homme, n’est-ce pas ? Or, dans notre pays, le respect des droits de l’homme n’existe pas. Dois-je ajouter « hélas » ? Oui, mille fois hélas !
Comment avez-vous construit ou plutôt déconstruit votre récit ?
Le Papier, l’encre et la braise devait être un livre-document. Les éditions du Rocher, qui m’ont fait l’honneur de sa commande, s’attendaient à des portraits croisés de femmes algériennes exilées en Europe. Comme j’ai gardé le contact avec des femmes de ma génération au parcours similaire au mien, la tâche m’a paru facile. Mais tout au long de mes investigations, mes amies, d’abord enthousiastes, se sont mises à se rétracter. Chacune avait ses raisons. C’est ainsi que j’ai fait un retour en arrière, évoquant les années 1980 notamment, puis celles qui ont suivi. Ce qui m’a permis de faire une analyse en filigrane du parcours que nous avons mené, nous les femmes, pour l’amélioration de notre condition. Vous connaissez la suite...

D’abord journaliste en Algérie, puis en France, Leïla Marouane se consacre exclusivement à l’écriture romanesque depuis La Fille de la Casbah, publié en 1996. On lui doit, entre autres, Le Châtiment des hypocrites (2001), prix de la Société des gens de lettres, prix du roman français à New York, et La Jeune Fille et la mère (2005), prix de l’Association des écrivains de langue française et prix Jean-Claude Izzo.

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