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Tiqqun au cinéma : invisible, forcément invisible (films fantômes 3)

Publié le 11 mai 2009 par Joachim
Tiqqun : nom d'une revue philosophique française, fondée en 1999 avec pour but de "recréer les conditions d'une autres communauté". A fait l'objet d'un certain intérêt dans les médias en novembre 2008 après l'arrestation de Julien Coupat, l'un de ses fondateurs. (wikipedia dixit)
Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille :  Texte signé par Tiqqun en 2001. Titre étrange, forme et contenu intrigants. Collage cinglant de citations, de titres de magazines (féminins mais pas uniquement), d'aphorismes et de développements socio-culs, autant de parades conceptuelles autour de "la jeune-fille" (le tiret a son importance et puis comme il est dit "elle n'est pas toujours jeune et pas toujours fille") pour la définir non pas comme un concept sexué, mais comme une monade de la société spectaculaire marchande. Au-delà de l'idée (peut-être pas franchement très neuve d'ailleurs) de croiser les champs de l'affectif, du politique, du sociétal et de désigner la femme-objet comme emblème de la réification des êtres voire des affects contemporains, c'est le débridé de la démarche et du style qui retient l'attention .Peut-être aussi, en sourdine, un attachant donquichottisme puisque la jeune fille est partout et gagne toujours à la fin, comme l'atteste cette preuve télévisuelle :
Tiqqun au cinéma : invisible, forcément invisible  (films fantômes 3)Il est à noter que malgré la personnalité séditieuse de ses auteurs, ce texte subversif qui aurait de quoi inquiéter les autorités continue à être en vente libre pour 2,50 euros à la Fédération Nationale d'Achat des Cadres (communément désignée comme Fnac). Sinon, il est lisible ici.
Antonin Peretjatko : jeune réalisateur talentueux plusieurs fois vanté dans ces pages.
Les secrets de l'invisible : Titre d'un court-métrage tourné en août et septembre 2008 (donc AVANT "les évènements") par Antonin Peretjatko dont le scénario s'inspire des Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille. Etaient-ils faits pour se rencontrer ? Le débridé de sa démarche et de son style cinématographique aurait-il trouvé de stimulants échos dans les élans du brûlot tiqqunien ? Le texte lui-même n'entre-t-il pas souvent en résonance avec un autre film (bien que jamais il ne le cite ni l'évoque) : Tiqqun au cinéma : invisible, forcément invisible  (films fantômes 3)Tiqqun au cinéma : invisible, forcément invisible  (films fantômes 3)Masculin Féminin (Jean-Luc Godard 1966) - extrait visible ici
... notamment dans son ambition de proposer "une autre éducation sentimentale" à ceux qui "ne feignent une virginité qui ne justifie que leur impuissance" ?Pour autant, le regard de Peretjatko est plus goguenard que franchement politique. Plus que de l'adapter (ce qui est de toute façon impossible) ou de coller littérallement à son propos, le court-métrage propose de rebondir sur le texte originel, presque à la manière dont Resnais explore les théories d'Henri Laborit dans Mon oncle d'Amérique (1980), c'est-à-dire avec beaucoup de sérieux mais aussi en le détournant beaucoup. Théorie potache de la séduction ? Tableau d'époque qui choisit le camp de l'immaturité affective contre la séduction factice ? Fantaisie godardo-rohmerienne où il est plus simple d'esquiver la compétition sociale que la compétition affective ? A la lecture du scénario, il y a bien de tout cela dans le projet de Peretjatko, et encore au-delà, la proverbiale fraîcheur insolente de sa manière qui rappelle assez celle de Bande à part (Godard 1964).
Invisible : Etat dans lequel restera Les secrets de l'invisible, bien que le film ait été tourné. Alors quoi ? Rétablissement de la censure pour les "films à sujet sensible" ? Restauration de l'embargo pour les métrages subversifs ? Sabotage post-tournage des RG  après intrusion nocturne dans la salle de montage ou au labo (voilà qui donnerait sans doute le sujet d'un prochain court-métrage) ? Malheureusement pour la légende et les fantasmes, rien de tout cela, mais une (patrfois banale) erreur technique à la prise de vues : le mauvais serrage d'une vis entre l'objectif et le corps de la caméra qui entraîne le voilage d'une bonne partie des rushes. Damned ! Bon. Il reste quelques scènes où le droit à la paresse voisine avec une contemporaine carte de Tendre : 

Mais évidemment, plus de quoi faire un film. Recommencer, alors ? Pas si simple. C'est qu'entre temps, il y a eu "l'affaire", les arrestations, les fantasmes, la médiatisation d'écrits auparavant connus de quelques initiés seulement. Sans compter l'énergie envolée, la motivation à retrouver, bref... Reste donc, pour donner corps à ce film, une conjonction temporelle d'évènements plus étonnante que son esquisse ou ses traces. Et puis, comme pour Godard, une façon d'avoir, innocemment et par la bande, attrapé le climat idéologique de son temps. 
Invisible (2) : Mot récurrent dans toute cette affaire. Un dernier clin d'oeil. La une de Libé du 9 décembre 2008 :Tiqqun au cinéma : invisible, forcément invisible  (films fantômes 3)Au-dessus de l'interview exclusive de Benjamin Rosoux, l'un des "inculpés de Tarnac", sur le bandeau rouge, l'annonce du cahiers "Futurs": "le secret de l'invisibilité"... Quand on sait que subsiste encore l'ambiguïté pour savoir qui (ceux de Tarnac ? Tiqqun ? d'autres ?) se cache derrière le comité invisible...

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