Magazine Société

Pour changer l'entreprise, nous avons plus besoin de passeurs que de pasteurs...

Publié le 11 mai 2009 par Ressol

Rיvoltes de la jeunesse en Grטce, grטves et rיvoltes populaires en Guadeloupe, manifestations monstres en France et en Irlande, mouvement contre la main d’œuvre יtrangטre en Angleterre, montיe des extrךmes politiques, crises financiטre, יconomique et sociale internationales, sיquestrations de patrons, etc.

D’aucuns disent que nous sommes entrיs ces derniers mois dans une pיriode « prי-rיvolutionnaire ». En fait, nous n’en savons rien, les rיvolutions sont toujours imprיvisibles et naissent lא oש on ne les attend pas. Nul ne peut vraiment savoir ce qui se passera dans les prochains mois.

Je suis convaincu pour ma part que la « bonne » rיvolution, si on peut dire, se fera avec les entreprises, pas contre elles. Vu le rפle central qu’elles occupent aujourd’hui, pas de changement profond dans la sociיtי, sans changement profond dans l’entreprise et inversement.

Ce qui est paradoxal, c’est qu’avec la crise financiטre, les politiques et les mיdias mettent en avant depuis des mois la nיcessitי de refonder le systטme financier international et d’instaurer de nouvelles rיgulations macroיconomiques (G20, nouveau Bretton Woods, etc.). C’est une bonne chose, mais en revanche, on parle trטs peu de refonder l’entreprise, de nouvelles rיgulations dans l’entreprise elle-mךme. Or, les deux sont liיs : pas de finance raisonnיe et durable sans entreprises responsables. Et inversement, pas d’essor d’entreprises responsables sans finance patiente. Les deux combats vont de pair, il faut les mener ensemble.

Des acteurs pluriels, une vision commune

L’incandescence doit donc ךtre portיe dans l’entreprise. Mךme si la tempיrature globale reste tiטde, beaucoup d’acteurs et d’initiatives s’attachent dיjא א faire br�ler la flamme du changement dans l’entreprise.

L’יconomie sociale et solidaire, l’entrepreneuriat social, le commerce יquitable, l’יpargne solidaire, l’investissement socialement responsable, la responsabilitי sociale d’entreprise… sont plus que des jolis mots, ce sont autant de rיalitיs qui y travaillent, obtiennent des rיsultats concrets et impliquent une pluralitי d’acteurs : les entrepreneurs, mais aussi les salariיs et les syndicats, les consommateurs, les ONG, les financiers, les יlus des collectivitיs, etc.

Ce foisonnement d’acteurs et d’initiatives converge progressivement et implicitement vers une plate-forme partagיe d’idיes fortes et simples sur l’entreprise, qui je crois, ne demande qu’א s’affirmer et se formaliser. En voici deux qui me paraissent centrales.

i) Comment se prennent les dיcisions dans l’entreprise ? La prise de dיcision ne peut plus rיsulter uniquement de l’arbitraire de l’actionnaire, mais doit associer les autres parties prenantes, au premier rang desquels les salariיs.

Un cas intיressant est celui des Scop, sociיtיs coopיratives de production (Scop), comme Chטque Dיjeuner, oש ceux qui dיcident sont ceux qui travaillent, pas des actionnaires financiers strictement focalisיs sur la rentabilitי. Les Scop sont des entreprises qui appartiennent majoritairement aux salariיs qui dיcident ensemble des grandes dיcisions, selon le principe « un homme - une voix » : choix des dirigeants, orientations stratיgiques, affectation des rיsultats. Et חa marche, un cercle vertueux s’enclenche dans l’entreprise, les salariיs sont plus motivיs, plus impliquיs et donc plus productifs, ayant le sentiment de rיellement rיcolter le fruit de leur travail. Les Scop sont en plein dיveloppement (prטs de 2000 en France) et crיent chaque annיe en moyenne 1000 emplois.

ii) Comment se mesure la performance de l’entreprise ? La performance de l’entreprise ne peut plus ךtre strictement יconomique, mais doit ךtre aussi sociale et יcologique et mesurיe comme telle. Illustration avec les entreprises d’insertion, comme Envie, qui crיent elles de l’activitי יconomique pour donner de l’emploi א des personnes en situation d’exclusion et les accompagner dans leur parcours d’insertion sociale et professionnelle. Elles partent de l’idיe que «  personne n’est inemployable ». Ces entreprises rיussissent quand elles ont bien s�r un modטle יconomique qui tourne, qu’elles gagnent plus d’argent qu’elles n’en dיpensent ; mais elles rיussissent aussi quand elles parviennent א insיrer durablement des personnes sur le marchי du travail. Leur performance est double, יconomique et sociale.

Mךme si ces idיes sont encore minoritaires en terme de traductions concrטtes dans le monde יconomique, je fais le pari que dans 15 ans, les entreprises, toutes les entreprises, rendront compte plus uniquement א leurs actionnaires mais aussi א leurs parties prenantes. Je fais aussi le pari qu’elles rendront compte non seulement de leur crיation de richesses יconomiques (CA, rentabilitי…) mais aussi de leur utilitי sociale, de leur bilan carbone et de l’empreinte יcologique. Que tout cela sera une banalitי, une norme sociale. En tout cas, je l’espטre !

Construire des passerelles plutפt que des murs

Pour y parvenir, il y a urgence non pas א bגtir des forteresses autour de chaque catיgorie d’acteurs (entrepreneurs, syndicats, ONG, mouvements de consommateurs, financiers, יlus…) ou visions (יconomie sociale et solidaire, responsabilitי sociale de l’entreprise…) mais א construire des passerelles entre elles.

Je suis frappי, de voir que dans ces diffיrents milieux traditionnellement cloisonnיs, on trouve des personnes nombreuses (notamment au sein des nouvelles gיnיrations) qui pensent א peu prטs la mךme chose sur les nיcessaires (r)יvolutions de l’entreprise. Rupture essentielle en cours, les clivages les plus structurants me semblent ךtre de moins en moins aujourd’hui entre catיgories d’acteurs (par exemple salariיs contre patronat) qu’au sein mךme de chaque catיgorie d’acteurs...

Toutes ces personnes qui partagent la mךme vision de l’entreprise ont vocation א faire alliance, א faire mouvement social, pour crיer un rapport de force et peser dans le dיbat public, dיbat public qui pour le moment les ignore largement…

Ce qui implique une capacitי א dיpasser sa propre chapelle, א sortir de l’entre-soi, א comprendre comme le disait joliment Monseigneur Claverie, יvךque d’Oran assassinי par les terroristes en Algיrie en 1996, que « l’Autre est porteur d’une part de vיritי qui me manque ».

Traquons donc le mensonge, les dיrives, le Mal chez l’Autre, חa on sait tous faire, mais surtout, cherchons aussi avec la mךme ardeur, la mךme intensitי, sa part de vיritי. C’est peut-ךtre cela le dיbut de la rיvolution en France, cette capacitי א faire le pari de l’Autre, dans un pays oש rטgne trop souvent la Dיfiance et la Posture, deux maladies endיmiques de la politique franחaise…

Rיsister c’est coopיrer, coopיrer c’est rיsister

De ce point de vue, cette rיvolution dans l’entreprise est autant une rיvolution de rיsistance que de coopיration. Bien s�r, il ne s’agit pas d’ךtre angיlique, de croire que « tout-le-monde-il-est-gentil »… Nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours, il faut continuer א rיsister contre ce qui va mal dans l’entreprise, et notamment ce qui est du aux dיrives du capitalisme financier.

Mais il faut aussi, chercher א coopיrer, א construire des alliances avec ceux, diffיrents, qui veulent aller dans le mךme sens et partagent les objectifs. Personne n’arrivera א relever seul les יnormes dיfis actuels, d’autant plus qu’il reste 15 א 20 ans, selon les experts sיrieux, pour changer vיritablement de cap, avant un dיluge de catastrophes א cפtי desquelles la crise financiטre actuelle n’est qu’un יpiphיnomטne… Pour inventer l’entreprise d’aprטs-crise, nous avons besoin de faire coopיrer sociיtי civile, puissance publique et entrepreneurs. Nous avons plus besoin de passeurs pour relier les dynamiques, que de "pasteurs" qui nous assיneraient leur Vיrite infuse et forcיment exclusive...

Pendant la 2nd guerre mondiale, les Rיsistants luttaient avec force contre le fascisme mais travaillaient aussi en mךme temps, avec la mךme force, א l’יlaboration du Programme du CNR (Programme du Conseil National de la Rיsistance, adoptי dans la clandestinitי le 15 mars 1944), qui a fondי la reconstruction de la France d’aprטs-guerre. Rיsister c’est Coopיrer, Coopיrer c’est Rיsister.

Alors, א quand un nouveau « Programme de Rיsistance », qui transcenderait les clivages classiques, rassemblerait les יnergies de tous les acteurs, puissance publique, entreprises, sociיtי civile souhaitant vיritablement transformer l’entreprise et plus largement l’יconomie, dans un sens humaniste et respectueux de la Planטte ? On peut toujours rךver…

En tout cas, fait hautement symbolique, א l’occasion de la commיmoration du 60טme anniversaire du PCNR en 2004, des grandes figures de la Rיsistance avaient lancי un appel explicite א l’יlaboration et א la mise en œuvre d’un tel programme [1] … On doit toujours rךver ! [2]


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Ressol 82 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog