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La grippe du cochon volant (3)

Publié le 12 mai 2009 par Melusine
Un changement de nom révélateur
Suite de La grippe du cochon volant (2)
Maintenant, non seulement les victimes new-yorkaises de la pire pandémie depuis la Peste Noire montrent des signes de rétablissement remarquable après seulement quelques jours, mais l'OMS annonce aussi un changement de nom au beau milieu des événements. Le 1er mai, l'OMS, le CDC et le National Institute of Health du Maryland ont tous déclaré que le terme de "grippe du cochon" n'était plus approprié, et ce, malgré que, selon le docteur Raul Rabadan, professeur de biologie à l'Université de Columbia, 6 des 8 segments génétiques du virus sont d'une grippe porcine, les deux autres, aviaire et humain, se rencontrant chez le porc depuis quelques décennies. Nous sommes invités à l'appeler à la place grippe A (H1N1). Un nom qui sonne bien !
Le changement de nom est intervenu à la suite d'une intense campagne de lobbying menée par les producteurs de porc US pour l'abandon de l'étiquette "grippe du cochon" car elle portait apparemment tort aux ventes de porc. Le plus grand producteur mondial de porc, l'américain Smithfield Foods of Virginia, faisait certainement partie des industriels du lobby demandant le changement de désignation auprès de l'OMS et du CDC. Ils ont obtenu gain de cause. Mais changement de nom ou pas, la chaîne de production porcine de Smithfield Foods et autres fermes industrielles, ou CAFOs comme on les appelle (Concentrated Animal Feeding Operation), mérite qu'on y regarde de plus près.
Les premiers malades et morts de la grippe du cochon au Mexique ont été enregistré à La Gloria, municipe de Perote, état de Veracruz, où, avant leur signalement officiel, les habitants du coin manifestaient depuis des semaines contre les dangers que faisait planer sur le village la grande ferme - CAFO - locale de Smithfield Foods. Enfants et adultes du voisinage du site présentaient en effet toutes sortes de symptômes. Smithfield Foods est le plus grand producteur industriel de viande de porc. Il est aussi l'un de ceux qui présentent des taux records de problèmes de santé et de sécurité.
Lisier de porc et autres joyeusetés
Comme le signale GRAIN (Genetic Resources Action International, une ONG spécialisée), "le développement de fermes industrielles de grande échelle en Amérique du Nord a créé des conditions parfaites pour l'émergence et la diffusion de nouvelles poussées de grippes hautement virulentes". Le lisier de porc est au centre du problème, ce que le changement de nom proposé par le CDC tend opportunément à dissimuler.
L'étude de GRAIN montre que les fermes industrielles, en concentrant un grand nombre de bêtes, sont un foyer idéal d'agents pathogènes. En 2003, la revue Science mettait en garde contre le fait que la taille croissante des fermes industrielles et l'usage massif de la vaccine qu'on y fait mènerait à brève échéance à l'émergence d'une grippe du cochon. C'est la même histoire avec la grippe aviaire : de grandes fermes industrielles concentrant des dizaines de milliers de poulets produisent quantité de rejets toxiques.
Smithfield Foods, le plus grand boucher de cochons du monde et propriétaire de fermes industrielles, a une impressionnante liste de records en matière de violations des règles d'hygiène et de sécurité, y compris les règlements sanitaires sur l'eau. La plus grande ferme industrielle des USA est celle de Tar Heel en Caroline du Nord. Selon des informateurs locaux, la ville pourrait tout aussi bien être rebaptisée "Lisier de Cochon", étant donnée l'énorme quantité de lisier et assimilés rejetés par la ferme industrielle Simthfield Foods de Tar Heel.
Comme l'a calculé Jeff Tietz, dans une étude sur le problème du lisier de cochon, les meilleures estimations donnent un rejet total annuel de 26 millions de tonnes. De quoi remplir quatre stades de France. Même réparti entre les nombreuses petites unités de production qui entourent les abattoirs, ce n'est pas une quantité qu'on puisse traiter. Tietz ajoute que "la quantité de lisier est tellement énorme que si l'industriel traitait ses rejets comme le font les municipalités, même en ne respectant les normes qu'approximativement, il perdrait de l'argent. Aussi, beaucoup de ses fournisseurs laissent-ils s'échapper de grandes quantités de lisier du plancher incliné de leurs fermes et le laissent stagner gaiement à l'air libre, d'où par l'effet du ruissellement et de la gravité, il s'infiltre dans les nappes phréatiques et le bassin fluvial. Bien que l'entreprise affiche une "culture de la responsabilité environnementale", cette pollution ostentatoire est le pivot du business model de Smithfield.
Le problème que soulignent Tietz et d'autres critiques des fermes industrielles polluantes n'est pas juste le lisier mais la combinaison de celui-ci avec des quantités considérables d'antibiotiques et de produits chimiques toxiques utilisés par Smithfield Foods et les autres industriels du secteur pour maximiser leurs rendements. "Un monceau de lisier est une chose, écrit-il, un monceau de lisier hautement toxique en est une autre : dans l'échelle de toxicité des polluants, on est sans doute plus près des déchets radioactifs que du fumier organique. La raison de cette toxicité tient à la productivité de Smithfield. La firme produit 6 milliards de livres de porc empaqueté par an. C'est une remarquable réussite, une productivité qu'il y a 20 ans on n'imaginait même pas, et le seul moyen d'y parvenir est d'élever les cochons en des concentrations sans précédent".

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