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Lu dans le Figaro d'aujourd'hui mardi 12 mai 2009 :
Depuis le début de l’année, le pape a été l’objet d’intenses polémiques. Quelle est sa vraie pensée ? Comment
gouverne-t-il l’Eglise ? Jusqu’au vendredi 15 mai, Benoît XVI est en Terre sainte. A l’occasion de ce pèlerinage qui est aussi un voyage à résonance politique, Le Figaro Magazine a enquêté sur ce
pape qui fait réagir. Le voyage de Benoît XVI, chef de l’Eglise catholique, est d’abord un pèlerinage en Terre sainte, sur les lieux où le christianisme est né. Mais au cours de cette semaine, le
souverain pontife se sera également rendu au mont Nébo, sur les pas de Moïse, au Mur des lamentations ou au mémorial de Yad Vashem, qui sont autant de symboles pour le peuple juif. Il visitera
par ailleurs la mosquée al-Hussein Bin- Talal, à Amman, ou le Dôme du Rocher, à Jérusalem, deux sanctuaires musulmans. En termes politiques, enfin, le pape foulera le sol de la Jordanie, d’Israël
et des territoires palestiniens, et rencontrera leurs dirigeants. Sur cette terre d’Orient où s’entremêlent les religions, les peuples, les Etats et les cultures, les lignes de partage sont
subtiles. De même que paraît mince, hélas, la distance qui sépare l’amour de la haine. A tous ceux qui vivent ici, quelles que soient leur confession ou leur nationalité, Benoît XVI vient bien
sûr porter un message d’amour et de paix. Le patriarche latin de Jérusalem, Sa Béatitude Fouad Twal, résumait néanmoins la situation, il y a quelques jours, dans une interview recueillie par
l’agence Zenit : « Le Saint-Père arrive dans un moment difficile, dans une région difficile, pour rendre visite à des gens très sensibles ». Voyage à haut risque ? Les pays qui invitent Benoît
XVI ont intérêt à ce que tout se déroule bien. Mais le pontificat de Joseph Ratzinger, qui semblait initialement voué à couler comme un long fleuve tranquille, a suscité à intervalles réguliers
des controverses telles – depuis l’affaire du discours de Ratisbonne, en 2006, jusqu’à la série des trois polémiques du premier trimestre 2009 – qu’on en viendrait à guetter la prochaine campagne
contre lui. Benoît XVI serait-il en passe de devenir le grand incompris de notre temps, en butte à une hostilité systématique ? Quel paradoxe, pour un intellectuel au verbe doux, qui a
personnellement en horreur toute forme de radicalisme ou de fanatisme et qui ne rêve que de célébrer les noces de la foi et de la raison ! Les trois crises qui, depuis le début de l’année, ont
éclaté sur la scène publique à propos de l’Eglise, n’étaient pas du même ordre, et n’engageaient pas nécessairement le pape. Elles ont cependant eu pour résultat commun de brouiller l’image du
souverain pontife auprès du grand public. D’abord, la levée de l’excommunication des évêques sacrés par Mgr Lefebvre, acte voulu par le pape dans un esprit d’unité entre chrétiens, et qui s’est
retourné contre lui. Ce geste magnanime, compromis par le scandale Williamson et gâché par les services de la curie, qui n’ont pas su l’expliquer à temps, a conduit Benoît XVI à devoir se
justifier, après avoir subi une accusation de faiblesse envers le négationnisme – lui dont la pensée, depuis cinquante ans, est en dialogue avec le mystère d’Israël –, ou après avoir affronté le
soupçon de vouloir liquider Vatican II, lui qui participa comme expert à un concile qu’il n’a cessé d’approfondir à travers son enseignement, afin de lui donner sa place dans la continuité et
l’homogénéité du développement bimillénaire de l’Eglise. L’histoire fera la part de la manipulation dans cette affaire (en Allemagne ou à Rome, les réseaux anti-Ratzinger sont actifs), mais, même
si nul ne connaît l’avenir, le bilan, dans ce domaine, demeure celui d’une occasion ratée. L’affaire de Recife ne saurait être mise au compte de Benoît XVI. Là aussi, il faudrait faire la part de
ce qui relève de la bataille d’opinion qui a lieu au Brésil, pays où un projet de libéralisation de l’avortement déclenche un vif débat. Néanmoins, dans un cas aussi dramatique que celui d’une
fillette violée, la parole de principe a d’abord paru prévaloir sur les sentiments d’humanité. Ces sentiments ont pourtant été exprimés à tous les niveaux par des hommes d’Eglise, et notamment
par Mgr Fisichella, président de l’Académie pontificale pour la vie et homme de confiance de Benoît XVI, dans une lettre qu’il a écrite à la fillette. Mais combien de télévisions, de radios ou de
journaux l’ont répercutée ? Troisième affaire, celle du préservatif. Elle s’est déclenchée à partir d’une phrase extraite de son contexte, et avec une perception du sujet qui n’a absolument pas
été la même en Europe qu’en Afrique, où l’on considère que le voyage de Benoît XVI a été un succès. Propos déformés, amalgames, caricatures d’un côté. Déficit d’explication et de communication de
l’autre. Trois polémiques en trois mois, à propos de faits n’ayant rien à voir entre eux. Un seul fil rouge médiatique : Benoît XVI, celui par qui le mal arrive. Mgr Vingt-Trois, cardinal
archevêque de Paris, interrogé par le Talk Orange-Le Figaro, a souligné que certains avaient cherché à «se payer le pape». A cet égard, quelle valeur faut-il accorder aux sondages réalisés dans
de tels moments d’unanimité forcée ? 57 % des Français ayant une mauvaise opinion du pape (Le Parisien/Aujourd’hui en France du 21 mars 2009), 43 % des catholiques se disant favorables à la
démission de Benoît XVI (Le Journal du dimanche, 22 mars 2009), ces chiffres ont-ils un sens ? La magistrature pontificale n’obéissant pas aux règles de la « Star Academy », Joseph Ratzinger est
et restera le chef de l’Eglise catholique. Elu à 78 ans, sachant qu’il ne disposerait pas des mêmes atouts que Jean-Paul II, dont il avait été le serviteur pendant presque tout son pontificat,
Benoît XVI a d’emblée fait le choix d’être lui-même. Cet homme d’étude a pris sur lui, sans doute, en acceptant de voyager et d’aller au-devant des foules, ce qui n’est pas dans sa nature. Et
pourtant, il survient ceci, que veulent ignorer les commentaires qui dénoncent « un pape isolé » : lors de ses voyages, aux Etats- Unis, en Australie, en Afrique, en Espagne ou en France (se
rappeler la messe de l’esplanade des Invalides ou de Lourdes), les masses sont au rendez-vous. A Rome, les audiences du mercredi et la prière de l’angélus, chaque dimanche, rassemblent un public
compact, plus nombreux et peut-être plus attentif que sous Jean-Paul II. Quand Benoît XVI chausse ses lunettes de professeur et qu’il entame son discours, l’auditoire sait qu’il va dire des
choses difficiles, parfois des choses qui passent au-dessus de la tête. Mais les gens l’écoutent, car la soif de compréhension du monde et le besoin de clés pour conduire sa vie taraudent
beaucoup de nos contemporains, déboussolés par le bouleversement des repères. Or Benoît XVI veut contribuer à étancher cette soif et à donner ces clés. Dans la lettre aux évêques du monde entier
qu’il a rédigée après la polémique déclenchée par l’affaire des prélats lefebvristes – lettre émouvante, témoignant d’une grande souffrance personnelle –, Benoît XVI résumait ce qui, à ses yeux,
est l’essentiel de sa mission. « Conduire les hommes vers Dieu, vers le Dieu qui parle dans la Bible, écrivait-il, c’est la priorité suprême et fondamentale de l’Eglise et du successeur de Pierre
aujourd’hui ». Ce pape, assurément, n’est pas de la génération internet. Il réfléchit. Il travaille. Longuement. Lentement. A l’heure de la culture superficielle ou du zapping-roi, ce style peut
dérouter. Mais Benoît XVI ne changera pas. Son Jésus de Nazareth (2007) est un livre fondamental. Sa première encyclique, Deus caritas est, publiée en 2006, est une méditation sur l’amour et la
charité. La deuxième, Spe salvi, parue en 2007, forme une réflexion sur l’espérance. La troisième, consacrée aux questions sociales, devait sortir fin 2008, puis a été annoncée pour ce printemps,
et maintenant pour l’été prochain. Raison de ces ajournements ? Le texte a été remis à l’ouvrage afin de prendre en compte les effets récents de la crise économique. Qui a dit que Benoît XVI
était coupé des réalités ? Il ne cesse de les interroger, au contraire, mais à son rythme, et pour indiquer des directions qu’il est le seul à rappeler. Chacun est libre de croire ou non en Dieu.
Ou d’être ou non catholique. Mais refuser d’écouter Benoît XVI pour des motifs qui n’ont rien à voir avec lui, ou parce qu’on préférerait un pape différent, n’est-ce pas se priver d’une des plus
belles intelligences de l’époque, et d’une vigie capable de s’adresser à tous les hommes ? Dans ce domaine, pourtant, il n’y a pas pléthore.
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