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Narration : du lisible au scriptible

Publié le 14 mai 2009 par Eric Camel @AgenceAngie

Internet a clairement fait émerger de nouvelles formes de narration. Raconter ou lire une histoire devient un processus délinéarisé et nomade, une conversation entre le récepteur et les textes, images fixes ou animées, vidéos ou sons qui lui sont présentés. Les internautes sont donc à la fois des consommateurs et des producteurs d’information. J’ai eu envie de me replonger et de résumer quelques théories sur cette question de la narration, qui n’est pas seulement un récit détaillé, mais aussi la structure générale elle-même de ce récit :

  • L’unité aristotélicienne, sans doute la première théorie de la narration en tant que telle, avec son unité de temps, de lieu et d’action, l’histoire évoluant vers une fin paraissant logique. En un certain sens, Aristote paraît hyper moderne, notamment si l’on pense aux récits multimédias comme une suite de "briques" de contenus respectant chacune cette unité interne.
  • Dans les années 1930, Todorov proposa une théorie basique où il montre que, notamment dans les films, l’histoire commence toujours par une situation d’équilibre, une sorte de calme. Puis intervient un déséquilibre qui rompt ce calme apparent. Enfin, retour de l’harmonie entre les protagonistes et fin de l’histoire. C’est sans doute la forme de narration la plus simple, qu’on appelle parfois la théorie classique ou hollywoodienne. Bizarrement, cette théorie assez proche de nous dans le temps paraît l’archétype du storytelling de "l'avant Internet".
  • Vladimir Propp a élaboré sa théorie au début du 20e siècle. Après avoir étudié les contes de fée russes, il a identifié qu’il y avait invariablement 7 types de personnages (l'agresseur, le donateur, l’auxiliaire, la princesse et son père, le mandateur, le héros ou l’héroïne, le faux héros) qui incarnent toujours le même type de fonctions (ou combinaison de fonctions) : l’éloignement, la transgression, la médiation, la reconnaissance, la punition, etc. Chaque personnage a donc une sphère d’action propre par le type de fonction qu’il occupe dans le récit. Cette approche éminemment psychologisante est à mon sens assez applicable à la scénarisation grandissante du "Moi" par les nouvelles technologies, notamment dans l’histoire que l’on raconte de soi sur les blogs et les réseaux sociaux, Facebook en tête.
  • Lévi-Strauss et sa théorie de l’opposition binaire : selon lui, la tension narrative est fondée sur l’opposition ou le conflit. Du plus simple (combat) au plus idéologique (western, films sur la guerre froide...). Cette théorie parait particulièrement applicable à la structure narrative des jeux vidéos, sans doute moins aux nouveaux formats Web.
  • Enfin, dans la préface de son livre S/Z, Roland Barthes parle des textes "scriptibles" par opposition aux textes "lisibles".  Le deuxième type offre des textes clos, univoques et invite à une lecture passive, sans efforts. A l’opposé, le texte "scriptible", plus ouvert, semble solliciter du lecteur une réécriture ; il invite le lecteur à participer à la construction du sens.

Si l’on en juge certaines nouvelles productions visibles sur le Net, comme par exemple le très intéressant Web-documentaire à la rencontre des mineurs chinois de la vallée du Shanxi « Voyage au bout du charbon », la théorie de Barthes est particulièrement éclairante. L’internaute est constamment interpelé par le texte, l’image, la vidéo. A lui de choisir l’ordre, de passer du temps sur une séquence plutôt qu’une autre, de revenir en arrière, de commenter, il est acteur à part entière de la construction de sens.  

Irène Toporkoff-Mayer


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