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Mishima: sous la terre, la neige

Publié le 15 mai 2009 par Hortensia

Pour une fois, le métro n’est pas bondé. Plutôt que de perdurer dans une réflexion tâchant d’expliquer cette soudaine absence de foule à l’heure de pointe, Marine se rue sur le strapontin bleu laissé vide, près de la porte qui donne sur l’autre voie du métro. Le signal sonore retentit, les portes se referment et le manège matinal se met en branle.
Dans une odeur mal aimée de renfermé, typique en cette saison chaude aux allures froides laissées par l’hiver déjà échappé, Marine sort de son sac posé sur ses genoux le gros livre souple de la collection Quarto de Gallimard et l’ouvre délicatement à la page marquée par une vieille carte de visite abandonnée, trouvée la veille sur son bureau.

Elle a ce livre depuis la veille. C’est grâce à son CE, le Comité d’Entreprise. Elle est tombée dessus, elle ne sait plus comment. Elle cherchait à Mondiano de quoi se mettre quelque chose sous la dent. Seulement, il n’y avait qu’un titre, et il ne lui disait rien. Alors ses yeux ont dérivés naturellement vers la gauche, à ricochets, sur l’étalage de la bibliothèque du CE. Elle s’est retrouvée sous les M… sous les MI… et elle a vu ce gros livre posé tel un monument, respectueux, bedonné, imposant. Elle s’en est saisit. Mishima. Yukio Mishima. Heureux hasard. Elle avait lu l’avant veille un article sur cet auteur japonais relatant d’un titre venant de sortir. Ce n’était pas certes le livre en question mais la quantité de pages de la collection quarto excusait bien cet écart de modernité.

Elle emprunta donc la tétralogie ultime de Mishima : la mer de fertilité et commença comme il se doit par la neige de printemps, saison qui correspondait plus ou moins avec l’âcre humidité du métro parisien.

Elle lit. Ses yeux ne se détachent plus des lignes noires imprimées sur le léger papier aux allures presque bibliques. Les gens rentrent et sortent, Ils se calent, s’enfoncent, se bousculent. Certains la regardent. Elle ne sait si c’est à cause de son profil sage ou de sa concentration ostentatoire, mais elle supporte héroïquement, sans aucune prétention de retour, tous ces regards furtifs ou langoureusement appuyés sur elle. Seules les lignes romanesques happent son attention. Kiyoaki, le héros du livre, l’intéresse au plus au point. Il est sensible à n’en pas douter. Déteste-t-il vraiment les femmes ? Est-il homo ? Que va-t-il arriver aux princes Siam venus, éberlués, étudier au Japon?…

Marine se délecte dans l’océan de Mishima, ce continent encore mouvant, à peine découvert à l’horizon. Est-une une douce terre verte et bucolique à l’expression très conventionnée?, ou ce monde regorge-t-il de pulsions et de non-dits, comme les laissent pressentir les 60 premières pages?

Marine n’en peut plus. Elle se sent l’âme d’une héroïne chanceuse qui vient de tomber au saut du lit sur une contrée inexplorée et pleine de promesses. Que cela ne tienne si cette contrée n’est que de la traduction. Dans son métro bleu qui trottine, son âme se pâme, joyeuse et éructante, au travers du volcan littéraire entré en éruption.

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